Documenta, à Kassel, jusqu’au 23 Septembre.
Vous lirez ici ou là que la mouture 2007 de la Documenta est médiocre, ennuyeuse et trop noire, trop politiquement engagée. Rares sont les critiques positives. Pour ma part, j’ai trouvé que cette édition manquait de souffle. Contrairement à mes visites précédentes, contrairement à bien d’autres manifestations, je n’y ai guère eu de coups de coeur, d’émerveillements devant telle pièce, tel artiste. Beaucoup d’oeuvres honnêtes, de qualité, mais manquant de génie, d’effet “WOW!”. Et bien d’autres pièces ennuyeuses, trop de répétition. On trouve partout, dans chaque bâtiment, à chaque détour, une sculpture de John McCracken, une installation de Gerwald Rockenschaub, passe encore, mais aussi une toile bêtement provocatrice du médiocre Juan Davila. Dans cette propension répétitive des commissaires, je n’ai d’indulgence, et encore, que pour les toiles du Noir Américain Kerry James Marshall. Par contre, la dimension politique, l’inquiétude sur l’état du monde, m’ont paru plutôt pertinente et bien fondée. Voici donc, aujourd’hui et pour les jours qui viennent, trois ou quatre pièces qui m’ont frappé, et quelques autres qui m’ont intéressé.
Un peu partout, dans les différents lieux d’exposition, des chaises en bois sont parfois alignées, parfois arrangées en cercle; leur forme n’est pas commune, leur facture paraît ancienne. Il y a 1001 chaises, nous dit-on; elles viennent de Chine et datent de la dynastie des Quing (1644-1911), les Mandchous qui finirent avec le dernier empereur. C’est l’artiste Ai Weiwei qui les collectionne et les restaure, et il les a prêtées pour la durée de l’exposition. En même temps, il a fait inviter 1001 Chinois “ordinaires”, ouvriers, étudiants, musiciens,.. à venir passer quelques jours à Kassel. L’opération se nomme Fairytale, Conte de fées, ce qui est approprié dans la ville des frères Grimm. Les chaises restent le témoignage de cet échange, de cette rencontre. Ai Weiwei a aussi édifié une tour de 12 mètres de haut faite de portes et de fenêtres provenant de maisons détruites pour la rénovation de Pékin, des époques Ming et Quing. De manière tout à fait appropriée, la tour s’est effondrée au bout de quelques jours, incapable de résister aux vents de Kassel.
Adressant différemment le sujet de la rénovation urbaine en Chine, Lu Hao a peint sur 100 mètres de rouleaux de soie le panorama de l’avenue Chang’an à Pékin, celle qui passe place Tien An Men devant la Cité Interdite. A côté de quelques bâtiments historiques et de rares hutongs, défilent des immeubles modernes qui témoignent des ravages urbanistiques de la capitale chinoise. Tout cela est minutieusement peint à l’ancienne et présenté dans de longues vitrines dans la plus pure tradition de la Chine impériale. Le contraste entre le propos et le style est saisissant, l’ampleur de la pièce frappe l’imagination.
Une des plus belles pièces de la Documenta est la barque de Romuald Hazoumé. Celle vue au quai Branly était colorée et sonore, et parlait d’esclavage; celle de Kassel, nommée Dream, est sombre et tragique, elle parle d’émigration clandestine et de morts en mer. Faite de jerricans brunâtres, longue de 14 mètres, elle est présentée devant une photo de plage africaine paradisiaque. Au sol, des textes en plusieurs langues évoquent le rêve du départ. C’est une installation tragique, poignante et forte. Du même, les masques-visages sont plus anecdotiques, décoratifs.
Pas très loin, la Congolaise Bill Kouélany a construit un mur de 20m en papier mâché qui barre la salle d’exposition. Il est orné de coupures de journaux parlant de guerres et de tragédies; au verso, des feuilles garnies de pictogrammes sont cousues. Sur des moniteurs vidéos, le visage de l’artiste apparaît déformé, éclaté, comme un témoignage de violence. Est-ce trop politique, trop noir ?
Crédits photos :
Ai Weiwei, 1001 Wooden Chairs Qing Dynasty © Courtesy Ai Weiwei; Galerie Urs Meile, Beijing–Lucerne Sponsored by: Leister Foundation, Switzerland ; Erlenmeyer Foundation, Switzerland.
Lu Hao, recording 2006 chang’ an street, 2005 │ Exhibition view. Collection Sigg. © LU Hao; Courtesy Galerie Urs Meile, Beijing–Lucerne. Photo: Ines Agostinelli.
Romuald Hazoumé, Dream, 2007 | photograph mounted on wood; boat made from plastic canisters, glass bottles, corks, cords, letters, photographs | floor inscription with asphalt paint. Installation area 1660 × 1200 cm. Photograph 250 × 1250 cm, Boat 177 × 1372 × 128 cm. │ Exposition view © Romuald Hazoumé / VG-Bild-Kunst; photo Hans Nevidal / documenta GmbH Courtesy the artist.
Bill Kouélany, Ohne Titel, 2006–2007. | Paper-mâché, newspaper cut-outs and sewing, 3 monitors, 2 videos© Bill Kouélany / photo Ines Agostinelli.
Romuald Hazoumé étant représenté par l’ADAGP, la photo de son oeuvre sera retirée du site à la fin de l’exposition.