Auprès de moi toujours, c'est le titre d'une chanson qu'écoute en boucle Kath, une jeune fille vivant dans un pensionnat anglais. En apparence, elle et ses copains sont comme les autres : ils ont des amis, des hantises, des besoins matériels auxquels succèderont des besoins physiques... Seulement, Kath, Ruth, Tommy et les autres ne sont pas des ados ordinaires. Racontée des années plus tard par Kath, l'histoire met en lumière leur méconnaissance de l'extérieur, leur absence de famille, leur préparation à des rôles dont on ne sait rien d'autre que l'appellation (donneurs et accompagnants). L'idée de Kazuo Ishiguro (écrivain britannique auteur, entre autres, des Vestiges du jour), bien qu'on baigne dans le mystère, n'est pas de faire un livre en forme de point d'interrogation. On comprend rapidement Auprès de moi toujours s'affranchit de tout suspense, et qu'il n'existe que pour livrer une réflexion sur la condition de l'être vivant.
Le style est simple, tout comme les problématiques abordées dans les deux premiers tiers du roman : des histoires de cassette audio, de trousse, de garçons, d'art. S'il ne livre des informations qu'avec parcimonie, Ishiguro lève bien vite le voile sur la singularité de ses héros. Même s'il n'entrera jamais dans les détails, on comprend bien de quoi il retourne, et ce qu'implique leur condition. Difficile d'en dire davantage, si ce n'est que le roman est d'une lenteur assez exquise, d'une opacité étrangement attirante, et qu'il a tout pour donner un grand film - ou une oeuvre d'un ennui mortel.
Pour réussir ce pari, on peut compter sur Alex Garland, lui même romancier et auteur de scénarios comme La plage ou Sunshine. Cette fois, ce n'est pas Danny Boyle qui s'y colle, mais Mark Romanek, clippeur très estimé dont ce sera le deuxième long après Photo obsession. Subitement libre après avoir laissé The wolf man à Joe Johnston quelques jours avant le tournage, il a rapidement accepté de mettre en scène cette histoire belle, étrange et un peu inquiétante, pas évidente à mettre en images. Il faudra d'abord donner du rythme sous peine de livrer un film somnifère, mais l'essentiel n'est pas là : le roman laissant une grande place à l'indicible, l'immontrable, le film devra sans doute être plus frontal sans pour autant déflorer ces jolis mystères. Un défi fort complexe pour le réalisateur, Ishiguro étant très avare en détails.
Côté casting, Keira Nightley s'est engagée pour incarner Kath adulte, et pourra exploiter à loisir sa pâleur maigrichonne. Face à elle, Andrew Garfield (révélation de Boy A) et Carey Mulligan (Orgueil et préjugés) seront ses amis Tommy et Ruth. Le tournage débute en avril.
Pour finir, une précision et un ordre. La précision, c'est que la chanson Auprès de moi toujours (Never let me go en V.O.) n'existe que dans l'imaginaire de Kazuo Ishiguro, tout comme son interprète Judy Bridgewater. L'ordre, c'est de ne pas aller lire les résumés et articles sur le film à venir avant d'avoir lu le roman. Ça risquerait de gâcher le plaisir des cent premières pages.
Le livre : Auprès de moi toujours de Kazuo Ishigiro. Disponible en poche chez Folio. 441 pages. 7,60 euros.
Le film : Never let me go de Mark Romanek. Tournage en avril. Sortie non fixée.