A l’annonce du rejet, Denis Oliviennes confiait au Monde son amertume, ce qui est bien normal, puisque le projet de loi dérive directement de son rapport. Dans l’entretien, il soulignait : « La France est à la fois le pays en Europe qui a su le mieux préserver ses créateurs grâce au principe d’exception culturelle, et le pays qui est le paradis du piratage. »
Accuser ainsi les Français d’être les Barbe Noire, Francis Drake ou (version littéraire), Long John Silver du monde dématérialisé contemporain n’était pas sans gravité. Cela revenait à ternir l’image de la France sur la scène internationale, la réduite à l’état d’un de ces îlots des Caraïbes du XVIIe ou du XVIIIe siècle tels que décrits par Stevenson ou Daniel Defoe. Sans doute cette accusation reposait-elle sur des études sérieuses, menée par des cabinets spécialisés, voire par un organisme international. Il semble – hélas ! – qu’il n’en soit rien.
Ce propos répondait comme un écho à celui exprimé par Christine Albanel dans un
En voici toutefois un extrait :« […] La France est championne dans la musique […] on a un cinéma assez fantastique […] et en même temps, comme nous sommes Français, comme nous adorons détourner les lois […] et bien, on est les champions du téléchargement également parce que illégal [sic], également parce qu’on est bien équipé. C’est à dire qu’en France le haut débit paraît normal alors que dans la plupart des pays, vous n’avez pas le haut débit, vous avez un nombre de giga limités et en plus on a l’adsl, et puis donc on a l’adsl.[…] on est le paradoxe [sic] d’être un des pays les plus fort culturellement et celui qui est en train de mettre en péril ses propres industries culturelles avec la moitié de nos petites PME musicales qui ferment leur porte […] »
Si nous comprenons bien, la France serait arbitrairement décrétée champion du téléchargement aux seuls motifs que les Français « adoreraient détourner les lois » et que la France bénéficierait de l’adsl… Bien d’autres pays d’Europe et du monde bénéficient du haut débit, soit par adsl, soit par fibre optique ou autres moyens. Un rapport de l’OCDE (OECD broadband statistics to June 2007) situe même les Français au 12e rang des abonnés au haut débit, après des pays comme le Danemark, la Suisse, la Finlande ou la Belgique, et devant l’Espagne (19e), l’Italie (21e) et la Grèce (27e). Le seul argument à retenir serait donc notre prétendue propension à détourner les lois.
Ce type de méthode, qui consiste à accuser un groupe de personnes sans véritables preuves et en usant d’un stéréotype grossier, est une vieille ficelle. Dans ce même esprit, les groupes de pression hygiénistes qui voudraient voir disparaître l’alcool en général et le vin en particulier de nos habitudes prétendent que les Français sont les champions de la consommation d’alcool. Le subterfuge se révèle efficace si l’on s’adresse à un auditoire qui n’a jamais franchi les frontières ou n’a pas la curiosité de vérifier le bien fondé de ce qu’on lui dit. Il suffit de voyager en Islande, en Finlande, en Pologne ou en Russie pour s’apercevoir que les Français consomment moins d’alcool que leurs voisins et surtout consomment différemment (le plaisir l’emportant sur la recherche de l’ivresse, la qualité sur la quantité, le vin sur les alcools forts). Cet hédonisme déplaît aux tenants de l’ascétisme hygiénique.
Une autre étude, concernant le piratage des logiciels, tous types confondus, menée par la très sérieuse Business Software Alliance en 2007 place la France au 82e rang sur 107 ! Est-ce là le score d’un champion ? Enfin, une autre étude, publiée par Ipsos MediaCT sur
Le projet de loi sera sans doute présenté une seconde fois devant le parlement. Les majors, qui auront bien davantage les moyens de s’offrir les services de sociétés de tracking pour repérer les piratages que les PME dont parlait Christine Albanel, tiennent beaucoup à ce texte. Et il sera sans doute voté. Pour autant, était-il nécessaire de présenter la France comme « le paradis du piratage » aux yeux du reste du monde pour en arriver là ? Curieuse conception d’une vertu qui s’appelle le patriotisme, méthode étrange qui, en revanche, rappelle un vieil adage : « quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage »…
Illustrations : Capitan - Pantalone - Barbe Noire - Long John Silver.