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L'homme libre - entretien avec William T. Vollmann (4)

Par François Monti

Votre dernier livre est « Poor people ». La critique US n’a pas été tendre. J’ai l’impression qu’on vous reproche votre refus d’expliquer et de donner des solutions.

Je n’ai pas vraiment d’ego, et je m’attendais à avoir de mauvaises critiques parce « Central Europe » en a reçu de bonnes. Les journalistes aiment démontrer leur libre-arbitre : s’ils ont écrits un bon papier la dernière fois, ils veulent montrer qu’ils sont libres en écrivant un mauvais la fois suivante.

Les meilleurs moments de « Poor people » sont les chapitres purement journalistiques. Bien que votre travail soit très différent du sien, il me fait penser à celui de Joan Didion. Je n’ai jamais rien lu qui s’approchait plus de l’objectivité que ses reportages, et il y aussi chez vous une refus de prendre clairement parti.

J’essaie de me souvenir que je ne suis pas pauvre et qu’il serait facile de faire une erreur et de dire plus que ce que je veux dire. Je veux vraiment que les personnes parlent pour elles-mêmes et malheureusement, l’une des conséquences de la pauvreté est qu’elles ont souvent eu une éducation réduite, une imagination peu développée et des moyens d’expression limités. C’est très différent, par exemple, des victimes de l’holocauste qui étaient souvent capables de décrire ce qu’ellees ont vu et subi. Ici, je parle de gens qui n’arrivent pas faire passer leurs souffrances. J’aurais pu utiliser mon imagination, rendre vivante leur souffrance, mais avec un thème comme celui-ci, il faut garder à l’esprit ce qui est vrai. Même si je décidais de vivre dans la pauvreté pendant un an, je ne connaîtrais jamais assez le sujet. Je préfère ne pas me faire d’illusions, ne pas essayer. Je parlais avec mon père l’autre jour et il n’aime pas. J’aime vraiment beaucoup « Louons maintenant les grands hommes » de James Agee, c’est un excellent livre, mais il est excellent malgré ce qu’il a essayé d’être : les passages politiques sont embarrassants, Agee donne l’impression d’être presque Staliniste. Moi, ce que j’essaie de faire c’est d’avoir, plutôt que de la profondeur, un panel très large, d’aller dans énormément d’endroits et voir s’il il y a un modèle commun. Ce que j’ai vu, c’est que si on demande aux gens pourquoi ils sont pauvres, les réponses varient de régions en régions et que la pauvreté est en partie une expérience, pas un statistique du type de celles présentées par les Nations Unies. D’une certaine façon, je trouve que ça donne aux pauvres une certaine maîtrise sur leurs vies. C’est le sujet du chapitre Under the road. J’y parle de gamins au Cambodge qui sont heureux de jouer avec leurs chiens sans avoir rien d’autre, ça ne me donne pas le droit de les prendre de haut et de penser que je ne dois pas me soucier d’eux, que tout est génial mais c’est aussi un bon rappel que si quelqu’un reçoit un salaire quotidien inférieur à ce que je pense qu’il faut à un individu pour vivre confortablement, voir seulement survivre, eh bien malgré ce que je pense il est toujours capable de s’adapter et de bien se débrouiller. Pour revenir au libre-arbitre, si les gens contrôlaient leurs choix et attitudes, il se peut que certains pourraient se persuader de se sentir un peu mieux. C’est mieux que d’attendre de l’aide qui ne viendra jamais.

Certains disent que Vollmann est au fond un écrivain politique, mais il est très difficile de vous cerner sur ce point-là.

En tant qu’individu, j’ai tendance à apprécier et sympathiser avec la plupart des gens que je rencontre. En tant qu’écrivain, c’est à la fois mon talent et mon devoir de compatir avec la plupart des gens que je rencontre. Quand je suis allé au Yémen, on m’a dit que je devais devenir leur frère et me convertir à l’Islam. Et je vois qu’ils sont très heureux, qu’ils ont le sens de la fraternité, je me dis donc que c’est une bonne religion. Ça me rend très heureux, j’aime parler du Coran. Il y a un gars avec lequel j’ai voyagé dans les trains de marchandise – je viens de finir un livre là-dessus- et c’est un chrétien évangéliste. Je suis certain qu’il pense que je vais finir en enfer. Lorsqu’il me parle de Jésus, il a les yeux pleins de larme, et j’aime l’écouter parce que je vois que c’est important pour lui. Qui suis-je pour le contredire ? Tout le monde peut connaître l’enfer ou le paradis à sa façon, je n’ai pas à dire aux gens comment ils doivent agir ou se comporter. Lorsqu’il y a une autorité qui essaye de s’imposer à moi, qui me dit ce que je peux et ne peux pas faire, je me fâche. C’est ça, ma politique. Ces pauvres, comme ceux qui veulent se saouler, ça me rend triste qu’ils n’aient pas de meilleure façon d’échapper à leur misère, mais s’ils n’ont que ça, qui peut leur dire qu’ils ne peuvent pas ?

William T. Vollmann, Poor People, Ecco, $29.95
Traduction chez Actes Sud au printemps prochain

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