Le déjeuner de Pâques en Bresse Bourguignonne (1) :
Opéra en trois actes avec ouverture, intermède et final
Ouverture: Le jambon persillé
Au début est le jambon. Votre charcutier, que je suppose sans reproche, l’aura choisi pour vous, pesant entre cinq et six livres, ni trop gras ni trop maigre et venant d’un animal élevé selon de sains principes. Il l’aura conduit au demi-sel et vous le livrera au moins deux jours avant sa cuisson. Pourquoi ? Tout simplement pour que vous le dessaliez, au nom de cette vérité proclamée par Apicius et confirmée par Brillat-savarin : « Sel de conservation n’est point sel de cuisson ».
Vient le grand jour. Chaussez vos bottes, prenez le petit couteau pointu dont la lame, trop souvent aiguisée, tend, malheureusement, à disparaître et rendez vous au jardin. Le persil vous y attend. Plat, bien sûr, tout neuf, vert sombre, luisant, gorgé de sève et de goût. Il en faut assez, c’est-à-dire beaucoup. Pour les fanatiques de l’exactitude disons trois cents à trois cent cinquante grammes feuilles et branches comprises.
Pendant ce temps, la marmite fredonne. N’oubliez pas d’aller de temps à autre vous assurer de la qualité de l’assaisonnement pour, si besoin est, le rectifier. Mais vous avez tout le temps qu’il faut (x fois vingt minutes) pour vous livrer à d’autres activités. Pourquoi ne pas les consacrer à une relecture de la Physiologie du goût ou de la vie de Dodin Bouffant ? L’audition des concertos Brandebourgeois, la rédaction d’une note d’un optimisme mesuré sur l’avenir de l’humanité, une conversation avec un(e) ami(e) proche sont aussi des activités qui permettent d’attendre sans ennui que le carillon de la pendulette héritée de votre tante Suzanne ou la sonnerie préréglée de votre portable vous avertissent qu’il est l’heure de passer à la suite des opérations.
Extrayez alors le jambon de son court-bouillon et remplacez le par un pied de veau, fendu par le milieu, qui y cuira durant les deux prochaines heures. Posez le jambon sur la planche à découper et laissez le refroidir assez longtemps pour que vous puissiez le manipuler sans vous brûler les doigts (ce qui serait dommage).
A ce moment, un autre verre d’aligoté s’impose (il en reste dans la seconde bouteille que vous avez eu la sagesse de mettre au frais). Il n’est pas interdit d’offrir à l’ami(e), au conjoint ou à tout individu majeur et sympathique se trouvant à proximité, de partager cet instant de détente avec vous. Munissez vous maintenant de votre couteau de cuisine favori (manche solide et bien riveté, lame large et solide, aiguisée par un pro). Commencez par retirez la couenne du jambon et garnissez en le fond et les bords de la jatte hémisphérique dans laquelle vous allez mettre le reste de la pièce, que vous découperez en morceaux très approximativement cubiques dont l’arête variera entre trois et cinq centimètres. Vous opérerez selon le principe suivant : une couche de viande puis une mince couche de persil infusé, le tout jusqu’à épuisement des deux ingrédients.
Il suffit ensuite de recouvrir le tout d’une assiette plate, de taille adaptée, qu’on charge d’un poids de un à deux kilos et de mettre le tout au frais jusqu’au lendemain. Le court-bouillon dans lequel aura cuit le pied de veau auquel vous aurez joint, pour plus de goût, l’os du jambon s’est transformé en une gelée que vous avez passée tant qu’elle était encore chaude et qui, depuis s’est solidifiée. Dégraissez la et faites la fondre doucement. Dès qu’elle est liquide, clarifiez au blanc d’œuf. Il ne vous reste plus, après avoir retiré l’assiette et son poids, qu’à couler doucement ce qu’il faut de gelée sur votre jambon pour le recouvrir sans le noyer. Ensuite, la jatte va passer un ou deux jours au réfrigérateur, le temps, pour le dimanche de Pâques d’arriver.
Chambolle
[1ère diffusion le 01 mars 2008]
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