Mgr D. Rey, À la lumière du mystère pascal, le courage de la vérité

Publié le 10 avril 2009 par Walterman



Le lundi 6 avril 2009, Mgr Dominique Rey a présidé la messe chrismale en la cathédrale Notre-Dame de la Seds à Toulon. Plus de 200 prêtres et diacres étaient présents entourés de très nombreux fidèles, religieux et religieuses. Rentrant de l’Assemblée plénière des évêques de France qui vient de se tenir à Lourdes pour sa session de printemps, Mgr Rey a prononcé une homélie très en lien avec l’actualité de l’Église. Fait rare, l’homélie s’est achevée par un tonnerre d’applaudissements.


LA TEMPÊTE MEDIATIQUE que l’Église a traversée depuis quelques semaines, nous invite à faire une relecture spirituelle et ecclésiale de ces événements, à la lumière du mystère pascal que nous allons célébrer tout au cours de cette semaine.

J’ai reçu beaucoup de courriers. Les uns exaspérés, scandalisés, vindicatifs…devant l’attitude du Pape, ou de tel évêque, bien sûr sans que l’accusateur ait pris le soin de remonter à la source de l’information pour rechercher l’exactitude du propos et la vérité des faits, otage qu’il était de la vague émotionnelle ou des slogans… D’autres manifestaient leur soutien indéfectible au St Père, en sachant qu’à travers sa personne, on s’en prenait à l’Église tout entière puisque le successeur de Pierre est le garant de sa communion et de son Magistère.

Sans doute, ceux-là percevaient-ils, qu’au-delà des maladresses réelles de communication interne et externe, la bourrasque relevait d’autres enjeux, sur le fond et sur la forme.


D’abord sur le fond

L’indignation médiatique s’est imposée à propos des questions éthiques : aujourd’hui, c’est la question de l’avortement, l’utilisation du préservatif. Hier, c’était la question de l’euthanasie ou du statut de l’embryon, demain, ce sera le mariage homosexuel et l’homo-parentalité.

On baptise facilement l’évolution des mœurs du nom de « progrès », et le législateur est convoqué à la cérémonie du baptême pour enregistrer officiellement l’adoption des nouveaux modes de vie.

À la remorque des groupes de pression, au départ très minoritaires, et par électoralisme, le politique sanctionne la « dérive morale des continents » comme inéluctables. Elle se contente d’enregistrer l’évolution des mœurs…

Lorsqu’il s’agit de l’avenir de la planète, de la disparition de la faune et de la flore, des gaz à effet de serre, le Grenelle de l’environnement adopte prudemment des mesures disciplinaires et contraignantes. En ce qui concerne l’éthique et la vie humaine, les repères font défaut. La reconnaissance par la loi des situations particulières prend le pas sur toute approche globale qui serait portée par une anthropologie commune.



La mission prophétique de l’Église

L’Église elle, ne se détermine pas à partir des sondages et du changement du climat idéologique. Elle a pour boussole l’Évangile. Elle met le cap vers un Royaume où l’homme a été libéré par le Christ du mensonge et de l’idolâtrie. Il y a été rendu à sa dignité originelle et à sa vocation filiale. Par la voix du successeur de Pierre, qui se trouve placé à la proue du navire, l’Église désigne de loin, à travers les tempêtes et les péripéties de l’histoire, le port où Dieu nous attend.

Elle manquerait à sa mission prophétique, si sa voix se taisait par timidité, par lâcheté ou par compromission. Sa vocation, c’est la fidélité à son Epoux, le Christ, à sa présence en elle, à son enseignement, par sa parole.

Oui, l’Église ne peut que protester lorsqu’offense est faite à la vie humaine dès sa conception, dans le sein de sa mère. Elle proteste pour ces 220 000 avortements pratiqués chaque année en France, et qui tendent peu à peu à devenir un moyen contraceptif. Elle proteste en pensant à l’aveuglement de ceux qui les pratiquent, au déchirement de celles qui les subissent, et qu’elle se doit d’accompagner parce qu’elle est mère, elle aussi. L’Église prie pour ceux que l’on a empêché de vivre pour mille raisons qui ne se justifieront jamais, malgré la légalité des actes, de leur légitimité morale.

L’Église proteste encore quand elle s’inscrit en faux lorsqu’on promeut des modèles de famille qui privent l’enfant de la référence paternelle ou maternelle, indispensable à sa croissance humaine.

Face à la propagation du Sida, tout en prenant en compte les besoins de précautions, l’Église fait appel en premier lieu à la responsabilité dévolue à chacun d’inscrire la relation affective et sexuelle à l’intérieur d’un projet de vie stable et par une promesse dans la donation de soi, que Dieu vient bénir. Les actes que pose l’Église accompagnent son enseignement. En Afrique elle est la première ONG à œuvrer pour accueillir, soigner, accompagner les populations séropositives dans des dispensaires ou hôpitaux, et à rappeler dans ses écoles, avant les mesures prophylactiques à prendre, surtout à éduquer à la dignité de la sexualité, au sens de la maîtrise de soi et au respect du corps.

Un évêque camerounais de passage dans le Var, et qui venait d’accompagner le Saint Père dans son récent voyage en Afrique, était outré par les commentaires suffisants des soi-disant experts. « N’y-aurait-il pas du racisme lorsqu’on veut imposer aux Africains l’usage du préservatif comme si nous sommes jugés incapables de modifier nos modes de relations affectives ? » Et l’évêque d’ajouter : « Cette infantilisation culpabilisante est insupportable. Elle relève d’une forme de néo-colonialisme. »


Il y a peu, l’Église dénonçait — non pas l’acharnement thérapeutique — mais l’euthanasie lorsque la prétention eugénique d’une société, décide qui doit vivre et qui doit mourir.

Elle s’insurge aussi contre la manipulation de l’embryon humain, traité comme un matériau de laboratoire, du corps humain considéré comme une boîte à outils.

La protestation de l’Église touche en réalité la transgression des interdits fondamentaux qui structurent toute vie en société : le refus du meurtre, alors que l’atteinte à la vie est légalisée dès le sein de la mère ; la différentiation sexuelle homme/femme alors qu’elle est niée par la promotion de nouveaux modèles de sexualité et la confusion des genres (le culturel n’assumant plus le biologique) ; la prohibition de l’inceste qui est contournée par la revendication d’engendrer pour autrui, avec la possibilité, par exemple, de devenir mère porteuse de sa petite fille.



La dictature de la pensée unique


Un célèbre publicitaire m’avait confié : « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface. »

C’est à l’aune de cet adage que j’interprète la virulence des commentaires qui se sont exprimés vis-à-vis de Benoît XVI.

La violence insidieuse, banalisée, faite à la personne humaine en violant les interdits constitutifs de son humanité, enfante la brutalité vis-à-vis de quiconque oserait les dénoncer. Oui, Benoît XVI, dans la fidélité à l’enseignement de l’Église, a osé braver la dictature de la pensée unique ! La tolérance revendiquée si souvent…a alors fait place à l’incantation autiste, sans qu’on ait pris le temps de comprendre les faits, de croiser l’information, de relire les déclarations du pape. L’aveuglement émotionnel est devenu inquisition véhémente et lynchage, condamnant quelqu’un (le pape) de façon caricaturale pour des idées qui ne sont pas les siennes, pour des actes qu’il n’a pas commis, des propos qu’il n’a pas tenus. La curée médiatique s’est faite sous impunité garantie.

Beaucoup de chrétiens n’ont pu que se sentir blessés par de tels outrages, par le cynisme de certains représentants de la nation qui complaisamment, ont sali l’image du Saint-Père.

Je souhaite qu’au cours de cette semaine sainte, nous puissions particulièrement prier à son intention dans toutes nos communautés chrétiennes, et plus particulièrement le Vendredi Saint. Nous le ferons ici dans le centre ville de Toulon, par une procession publique et solennelle. Le Chemin de Croix partira à 12h de l’église St-Louis jusqu’à la cathédrale. Venez nombreux !

En ce temps liturgique, comment ne pas associer, sans spiritualiser à l’excès, ces vociférations médiatiques aux cris de la foule en furie qui s’en prenait au Christ sur la route du Golgotha ? A un moment ou à un autre de notre itinéraire spirituel, ou de la marche de l’Église, notre route croise, comme Simon de Cyrène, Celui qui est chargé d’une croix trop lourde à porter. L’Évangile n’est pas plus facile à vivre ni à proclamer aujourd’hui qu’il y a quelques siècles.



Avoir le courage de la vérité

Et pourtant, en son temps, Jésus fut maître en communication. Le Verbe de Dieu savait parfaitement user de la parole humaine. Les évangiles sont une leçon de rhétorique. Néanmoins, Luc note soigneusement que la première prédication à Nazareth se conclut par un échec évident. Je le cite : « Ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville pour le précipiter en bas. »

La semaine passée, l’évangile de Jean rapportait qu’après avoir annoncé aux siens son unité avec le Père, les auditeurs « à nouveau, ramassèrent des pierres pour le lapider ».

« Le langage de la Croix est folie pour ceux qui se perdent. Mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, pour nous, il est puissance de Dieu », dira l’apôtre Paul aux chrétiens de Corinthe (1 Cor, 18 sq).

Cette sainte Croix que nous allons baiser de nos lèvres, dans quelques jours, nous convoque à la suite du Christ qui l’a embrassée, à avoir le courage de la vérité. Le courage de la proclamer. Le courage de l’enseigner, à temps et à contretemps. C’est ce qu’on attend du prêtre dans la responsabilité pastorale que l’évêque lui confie. C’est ce qu’on attend du fidèle laïc en raison de l’engagement baptismal au cœur du monde.

Mais cette parole n’est audible et crédible que si nos propres vies font la preuve de sa fécondité.

Les soubresauts médiatiques de ces derniers jours nous invitent à ne pas nous dérober à la responsabilité prophétique que l’Église doit assumer face aux défis anthropologiques et éthiques des temps à venir. Nos silences seraient complices des dérives possibles.

Cette responsabilité est en premier lieu éthique. Face à la crise économique et financière sans précédent et à l’émergence des nouvelles pauvretés et des clivages grandissants entre riches et pauvres qu’elle provoque, face au chômage et à l’endettement de beaucoup, face aux menaces écologiques et environnementales qui pèsent sur la planète…, les appels répétés à une « moralisation » de la vie publique, dans la gestion des ressources naturelles et financières, et dans le management des décideurs et des institutions, rejoignent les protestations de l’Église en faveur d’une « écologie de l’homme » (Benoît XVI), en faveur d’une éthique de la vie humaine, pour en décliner la grammaire et la syntaxe.

Sauver la planète : oui.
Sauver l’économie : oui.

Mais d’abord sauver l’homme de lui-même. Le sauver de la tentation de Babel. Dans un monde globalisé, de plus en plus interconnecté et interactif, il s’agit de préserver son unicité, sa singularité, sa liberté intérieure, sauver sa raison. Bref, honorer son humanité.

Cette indignation que l’Église, comme autorité morale, porte seule, n’est pas un retour en arrière. Malgré les accusations de ses contradicteurs, elle ne vire pas au conservatisme en marchant à rebours de l’histoire. Bien au contraire, elle énonce audacieusement les conditions d’un avenir possible. Elle confesse une espérance en faisant mémoire de son origine. Elle porte à notre monde l’exigence que son futur soit aussi une promesse. Elle conteste ses leurres. Parce qu’elle est uniquement attachée au Christ, qui lui confie ses paroles de salut, l’Église est libre de tout autre intérêt ou calcul. Et cette liberté la situe en posture critique, décalée et dissidente par rapport au conformisme qui fait le lit du totalitarisme.




Deuxième responsabilité de l’Église : la communion


Le pape l’a magnifiquement signifiée aux évêques du monde entier par la lettre qui fait suite et explique la levée de l’excommunication des évêques lefebvristes.

L’Église, sacrement universel du salut, doit fournir le signe de cette communion de l’intérieur d’elle-même, et dans la relecture lucide de sa propre histoire. Cette communion est la tâche quotidienne du pasteur. Sa joie et sa souffrance. Il l’exerce au prix de sa vie et de sa prière. Chaque eucharistie nous rappelle que cette communion ne relève pas d’abord d’un art de la médiation sociale ou de l’arbitrage affectif, mais qu’elle se noue au pied de la Croix, dans l’engagement sacerdotal à suivre le Maître jusqu’au bout, dans l’exercice de la miséricorde.

C’est ce que le Pape a redit avec tellement de justesse dans son dernier courrier. Par un curieux retournement de l’histoire, un nouvel intégrisme pointe le nez lorsqu’on refuse que l’Église tende la main à ceux qui se sont éloignés, en les enfermant dans leur étiquette et dans leur passé. Benoît XVI a été explicite : « Pouvons-nous les exclure, comme représentant un groupe social marginal, de la recherche de la réconciliation et de l’unité ? » Ni le négationnisme affiché par Mgr Williamson, ni le pharisianisme de ceux qui s’arrogent le monopole de l’interprétation de Vatican II, ne parviendront à altérer cette communion ecclésiale qui s’enracine dans la vie trinitaire, se déploie en premier lieu dans la famille, et puis s’incarne dans chaque communauté chrétienne.

Chers Frères dans le sacerdoce, dans cette crise aux multiples visages que traverse notre société, l’Église nous convoque à être promoteur de cette communion. Face à la poussée des individualismes, de l’anonymat et du protectionnisme, la diaconie du Christ et de l’Église (que nous célébrons cette année dans notre diocèse) fait de nous des serviteurs, humbles et joyeux, d’une fraternité nouvelle, où l’on découvre peu à peu que le vrai bonheur c’est faire celui des autres, pour devenir ainsi « une oasis d’espérance pour notre prochain » (Benoît XVI).


+ Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon.

Source : www.diocese-frejus-toulon.com avec son aimable autorisation

Intertitres de la direction de la communication du diocèse.
www.libertepolitique.com


Voir la vidéo de l'homélie de Mgr Rey :

Sauver la planète? Oui! Sauver l’économie? Oui! Mais d’abord sauver l’homme de lui-même!