Le feuillet qui accompagne l’exposition la définit comme une « réflexion anthropologique ». C’est effectivement le cas : les peintures, dessins, photos, films et autres pochettes de disque et affiches rassemblés ici ont été choisis pour les rapports qu’ils entretiennent avec le Jazz. Leur qualité intrinsèque est donc variable, surtout celle des toiles.
Cet ensemble composite tient toutefois parfaitement son pari : convoquer l’esprit protéiforme du Jazz, qui ne cessa d’évoluer tout au long du XXème siècle. Afin que le néophyte ne se sente pas perdu, l’architecte a conçu une « timeline », vitrine placée au centre de l’exposition et qui retrace, extraits sonores à l’appui, les mutations du Jazz, des années 1917 à nos jours. Autre point de repère, les panneaux en hauteur indiquant les noms des sections.
Bref, un choix pertinent et une très grande variété d’œuvres alliés à l’astucieuse utilisation d’un espace difficile (la Galerie Jardin est un peu biscornue).
Afin de rentrer un peu dans le détail, quelques temps forts et un regret.
Josephine Baker dans "La Revue des Revues" , 1927, photo de Waléry
1. Le caractère dionysiaque du Jazz
Dans un extrait de L’Aurore de Murnau, le Jazz apparaît comme une danse sensuelle et libératrice, impression confortée par les dessins de Winold Reiss qui montrent des corps devenus incandescents être consumés par cette « musique nègre » arrivée en Europe en même temps que les soldats noirs Américains.
A ses débuts le Jazz est entouré d’une réputation un peu sulfureuse. N’a – t-il pas vu le jour dans les maisons de plaisir du Quartier de Storyville à la Nouvelle-Orléans ?
2. La jazzïte aiguë
Dans les années 20 et 30 en Europe, la culture noire est à l’honneur sous tous ses aspects, du cubisme qui s’abreuve en partie à la source de l’art africain au Jazz avec Joséphine Baker qui éclipse avec sa Revue nègre la grande star de l’époque, Mistinguett. Son succès lance celui de l’affichiste Paul Colin, dont un somptueux portfolio est présenté dans l’expo.
A Harlem toute une culture prend forme autour du Jazz, qui inspire également des artistes blancs comme Carl Van Vechten. Ce dernier, influencé par Man Ray, photographie de nombreux musiciens et chanteurs noirs.
La chanteuse Billie Holiday par Carl Van Vechten, en 1949
La fascination pour le Jazz se poursuit dans les années 1950 : tandis que le Warhol d’avant le Pop Art réalise plusieurs pochettes de disque, on note de troublantes correspondances baudelairiennes entre certains drippings de Pollock et les rythmes du Jazz.
3. L’ambivalence de la condition des Afro Américains en général et des musiciens de Jazz en particulier
Succès à l’envers, le Jazz sera considéré comme « musique dégénérée » par les Nazis. Les photos présentées font écho à celle du cadavre d’un noir victime d’un lynchage, sur fond de « What did I do to be so black and blue » de Louis Armstrong.
Louis Armstrong, photo New York World-Telegram
Tandis qu’en Europe les orchestres de Jazz sont constitués de musiciens noirs, aux Etats-Unis les formations de musiciens blancs (the Original Dixieland Jazz Band, Benny Godman …) sont à l’honneur. Cette récupération pousse les jazzmen noirs à innover constamment afin de se réapproprier ce langage.
Stars adulées des deux côtés de l’Atlantique, les musiciens de jazz noirs continuent d’être méprisés et redoutés par une partie de leurs compatriotes blancs qui les accusent de violer des blanches. Et Louis Armstrong de répliquer doucement : « My only sin…is in my skin ».
La “timeline” est un peu laconique sur le sujet, de même que sur celui des mouvements libertaires : l’affiche des Black Panthers et la photo de la militante Angela Davis, qui attendit seize mois en prison avant d’être jugée et acquittée, se retrouvent noyées au milieu des pochettes de disques. Quelques mots d’explication auraient permis de replacer l’histoire du Jazz dans un contexte socio-politique plus large, sans pour autant faire digression.
Enfin, ne passez pas à côté du parallèle assez émouvant créé entre deux photos. La première, prise devant un immeuble de Harlem dans les années 50 ou 60, présente les principaux acteurs du jazz New-Yorkais de cette époque. Dans les années quatre-vingt-dix, une seconde photo a été prise, où il est plus aisé de compter les présents que les absents. A travers l’hommage, on ressent toute la brutalité du temps qui passe. Cela tombe bien, cette seconde photo est exposée sur la vitrine de la “timeline”.
Dans un autre registre, ne manquez pas non plus le dessin très politiquement incorrect de Siné représentant un Noël à la mode du Ku Klux Klan…