Paris est sa banlieue relaie la lettre ouverte que Stéphane Gatignon, maire et conseiller général de Sevran en Seine-Saint-Denis adresse aux élus franciliens. Le maire PC de Sevran n’a pas l’habitude de manier la langue de bois, les lecteurs de Paris est sa banlieue ont déjà eu l’occasion de s’en rendre compte, et une nouvelle fois fait entendre sa différence. Espérons que ce nouvel appel de Stéphane Gatignon, dont je rappelle qu’il est membre du bureau de la Conférence Métropolitaine, sera entendu par ses collègues élus. Avec cette lettre ouverte, Stéphane Gatignon fait également des “propositions pour une métropole parisienne utile et démocratique” à commencer par “un véritable pouvoir métropolitain, c’est à dire un gouvernement local, adossé à une assemblée représentative et décisionnelle avec des compétences précises“.
Voir aussi les deux interviews de Stéphane Gatignon sur Paris est sa banlieue
le 4 mars 2009 et le 8 octobre 2008
Jean-Paul Chapon
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Mes chers collègues,
Tandis que la crise économique et sociale se déploie et que les tensions s’accroissent, notre tribu, celle des édiles locaux, se condamne au « far niente »* du fait de l’absence de projet de société et des luttes de pouvoir entre Paris et la Région, ainsi qu’entre le pouvoir présidentiel et les féodalités locales.
Voilà le très cryptogirondin rapport Balladur enterré sous les applaudissements des Maires franciliens les plus enclins au conservatisme.
Voilà le novateur projet de conférence métropolitaine embolisé par la prolifération des syndicats intercommunaux, l’annonce de création d’agences à la sauce anglo-saxonne et pour seules perspectives des études sans vision, ni légitimité politique.
Voilà le « tout petit Paris » abandonné à l’attentisme et à l’insignifiance dans l’océan de problèmes que rencontre la région capitale.
Jamais depuis la grande poussée du chômage de masse de la fin des années 70 et du début des années 80, il n’y a eu une demande si pressente de développements, d’aménagements, de logements, d’emplois, de transports en commun, de solidarité, de lien social et de culture commune. Jamais les inégalités entre territoires n’ont été aussi fortes. Jamais depuis les événements des Minguettes et la Marche pour l’égalité en 1983, nous n’avons été aussi près de la rupture entre une partie significative de la jeunesse des banlieues et la société elle-même. De nouveaux événements pourraient se produire à côté desquels la crise de novembre 2005 nous paraitra un gentil monôme estudiantin. Les tirs contre les forces de l’ordre à Villiers-le-bel et ailleurs en attestent malheureusement.
Jamais, en fait, depuis plus de trente ans nous n’avons eu autant de besoin d’identité urbaine, de cohérence, d’égalité et de projets « Grand format ». Jamais nous n’avons eu autant besoin d’un pouvoir démocratique commun pour le devenir d’une métropole parisienne commune.
Il aura fallu que les équipes d’architectes mobilisées par le gouvernement nous redisent l’urgence d’une décision pour couper court à l’attentisme qui nous envahit. Car tous, au palais de Chaillot, ce 17 mars 2009, furent unanimes en matière de logement comme en matière de transports, d’aménagement et de développement durable des territoires : l’approche métropolitaine est incontournable.
Continuer à laisser pourrir la situation sur pieds, au prétexte de développer ici et là des « Grande Défense » ou des « grands machins trucs », c’est accentuer la concurrence entre les territoires et les réduire à une peau de chagrin par émiettement inégal et combiné. Bien entendu, il faut de l’inter-communalité, mais celle-ci n’est pas une fin en soi. Le développement économique et la richesse qui suit la ligne dite de la grande dorsale Rhin Rhône va nous échapper si nous ne constituons pas une force politique et urbaine cohérente et attractive. Tous les architectes, dans la diversité de leurs visions l’affirment: pour toutes les mégalopoles mondiales, c’est dans les trois ou quatre années que se joue l’avenir métropolitain. Pas plus.
Pour régler les problèmes de transport en commun il faut 54 milliards d’euros !
Pour régler les problèmes du logement, il faut construire 200 000 logements en Île-de-France !
Croit-on que ces urgences fondamentales peuvent être réglées par des agences isolées ou des collectivités concurrentes ?
Croit-on que l’on va pouvoir réduire les émissions de gaz à effet de serre essentiellement concentrées au centre de la région Île-de-France en demeurant sans levier politique commun ?
Croit-on que l’on va pouvoir réduire les déséquilibres territoriaux sans une fiscalité métropolitaine homogénéisée pour les ménages comme pour les entreprises et une répartition des richesses plus équitable ?
Croit-on que l’on va offrir une perspective d’avenir à la jeunesse en lui interdisant l’espace grand parisien et en la laissant confinée dans des logiques de patelins étriqués et incertains ?
Évidemment, non.
A Sevran comme dans n’importe quelle ville de banlieue, quand on voyage et que l’on dit d’où l’on est, on cite sa ville et puis évidemment Paris. Le fait métropolitain est là comme une évidence. C’est cette réalité identitaire là qui est dynamique et non celle du repli sur des morceaux d’urbanité isolés.
Far niente, c’est la décrépitude assurée, la condamnation de Paris aux activités muséales et la banlieue au chaos urbain. Tous, nous savons qu’en première ou en deuxième couronne ainsi que dans le cœur historique métropolitain, c’est de cette décrépitude-là qu’il est question si nous ne réunissons pas nos énergies politiques, nos idées et nos projets fondés sur les valeurs républicaines, un pacte métropolitain pour la justice sociale et l’égalité.
La mobilisation qu’il s’agit d’engager pour ne pas laisser s’installer durablement une crise urbaine profonde, c’est la constitution d’une unité démocratique métropolitaine dotée de compétences précises et d’un pouvoir indéniable. Mais pour ce faire il faut agir en politique au noble sens du terme. Il faut privilégier l’intérêt général et non les petits intérêts communaux ou intercommunaux. Il faut, comme le disait Roland Castro, bâtir des ministères en banlieue, proposition hautement symbolique dans notre pays si jacobin. Pourquoi pas la ministre Lagarde à Sevran et le ministre Devedjian à Grigny ?
Pourquoi pas des temps de transports garantis comme le suggère Jean Nouvel de même qu’à partir de 1789 fut garanti que les préfectures de département ne seraient pas à plus d’une journée de cheval de n’importe quel point du territoire administré? Pour cela il faut bouger, s’extraire des conservatismes, du pessimisme et de l’esprit viager. Retrouver un peu de l’énergie des preneurs de Bastilles.
Le Far niente duquel les architectes essaient de nous sortir par le nouvel électro-choc que constituent leurs propositions, est mortifère. L’égotisme et l’égoïsme communal ou intercommunal, départemental ou même régional ne sont plus de mise. Il y a urgence car nous ajoutons par nos atermoiements la crise à la crise. Cette double peine, nous ne pouvons continuer à l’infliger à nos concitoyens. Les institutions locales doivent changer. Respectueux de la commune, unité de base de la démocratie, le pouvoir territorial du Paris métropolitain doit être institué.
Mes chers collègues, le monde change, ses exigences aussi. Il nous faut redonner de l’enthousiasme, de l’efficacité, bref du sens politique à nos engagements locaux pour mériter la confiance de nos concitoyens. « Le pessimiste se condamne à être spectateur » dit Gœthe. En l’occurrence, si nous continuons à végéter comme aujourd’hui, le spectacle sera la décrépitude francilienne. Évitons-nous ce tragique destin de voir l’Île-de-France se transformer en myriade de p’tits coins perdus d’un gigantesque monde globalisé.
Stéphane Gatignon, maire et conseiller général de Sevran (93)
* « Il y a dans l’air du temps une sorte de far niente,
à l’œuvre dans les tribus urbaines » (Michel Maffesoly, Apocalypse, CNRS éditions)