Il était scrupuleusement observateur, absolument sans pitié, et extrêmement drôle. Rien n'échappait à sa plume incisive : les petits vieux un peu trop lents, la mère possessive, le ravi qui n'a jamais pris le TGV ; ceux qui partent en vacances, ceux qui travaillent, ceux qui dorment. J'ai déjà parlé de lui à l'occasion d'un voyage qui ne m'avait pas permis de profiter de tout le confort du TGV, et avait même eu la fierté de voir une de mes photos de princesse à vapeur être affichée chez lui.
Longtemps, à chaque fois que l'occasion m'était donnée de monter dans ce train que l'Amérique nous envie (1), j'ai pensé qu'il était peut-être à quelques sièges de moi, en train de chercher sa future victime. Aujourd'hui encore, alors précisément que j'écris cette chronique dans un TGV (2), il me revient en mémoire une minuscule anecdote, survenue il y a quelques mois, et dont il aurait peut-être pu faire son miel.
***
Montant enfin dans le train après avoir victorieusement résisté à la tentation de dévaliser une librairie de la gare de Lyon, je me saisis, une fois installé à mon siège, de cet opuscule que la SNCF fournit à ses usagers voyageant à grande vitesse (3), et commençai à le feuilleter distraitement.
Mon attention fut arrêtée par la publicité reproduite ci-après ; je trouvai originale cette façon d'intégrer le dessin dans la photographie, et sautai donc directement à la page 87 comme on me le demandait, m'attendant à trouver quelque chose comme un publi-reportage sur le développement durable, l'élégance des éoliennes ou les perspectives de développement de Gaz de France, elles aussi durables et élégantes.
L'examen de cette nouvelle page m'occupa de longues minutes, dans le but de déterminer si j'avais affaire à une vraie publicité ou pas. J'ai des excuses, c'était la fin de la journée, le wagon n'était pas très bien éclairé, les sangliers avaient mangés des cochonneries... Au risque de passer pour un brelot, j'ai attentivement scruté le trait si léger qu'il ne creuse pas la page, cherchant à déceler le sillon du stylo. Le personnage est si bien intégré que l'hypothèse d'une campagne en faveur du handicap ne me quitte pas tout à fait, malgré la mention du site Doctissimo et les fautes d'orthographe.
Je finis malgré tout par pencher en faveur de la solution la plus évidente : quelqu'un s'était amusé à raconter une histoire en utilisant habilement deux publicités. Cela dit, dois-je l'avouer ? Ce n'est qu'après avoir constaté l'absence de dessins dans un autre exemplaire lors de la descente du train que j'ai été pleinement convaincu.
Maintenant, il faut poser la vraie question : Clothylde existe t-elle vraiment ? Est-ce une mystification ? Si l'histoire est fausse, allez savoir quelle sorte de créature peut bien se cacher derrière ce pseudonyme ; si elle est vraie, ces dessins jetés sur le papier ressemblent fort à une bouteille lancée à la mer.
C'est moi qui l'ai trouvée. Aujourd'hui je la relance.
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- (1) Trains américains : vers le TGV, mais à petite vitesse / Rue89
- (2) Il faut bien s'occuper quand on a rien emmené à lire
- (3) C'est paradoxal d'ailleurs : plus on va vite, moins on a de temps pour lire
Greased Lightbox
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