Une revue de livre par Noël Kodia, le 9 avril 2009 - Voici un livre qui demande aux Africains d’assumer leur destin devant l’insolence de l’Occident qui continue souvent à se comporter comme pendant la colonisation. Un livre publié chez l’Harmattan en février 2009 qui se fonde sur les relations on ne peut plus boiteuses entre l’Europe et l’Afrique, où la Françafrique est encore présente. L’auteur le spécifie par l’exemple de son pays la Côte d’Ivoire (dont il est le président du Parlement) avec sa rébellion de 2002, et qui peine à organiser la prochaine élection présidentielle.
Depuis la chute du mur de Berlin et le discours de la Baule de Mitterrand, l’Afrique s’est vue imposer par l’Occident une démocratie pluraliste, démocratie que le professeur Koulibaly qualifie de « tropicalisée ». Les intérêts des Occidentaux en Afrique sont trop importants et pourraient être menacés si la véritable démocratie s’y installait, et ce, malgré la confiance que leur font les dirigeants au pouvoir depuis plusieurs décennies. Comme ces derniers n’ont de compte à rendre à personne, et pour se montrer démocrates tout en gardant leurs privilèges, ils ont inventé une démocratie à l’Africaine qui se résume par l’équation : multipartisme + élection = Démocratie – un système bien rodé pour se maintenir au pouvoir après des élections soi-disant libres et indépendantes. Et quand, à l’issu de celles-ci, le président s’autoproclame vainqueur, naît un mécontentement chez le vaincu qui crie à la fraude avant de prendre les armes. Commence une répression brutale qui fragilise socialement et économiquement les populations.
Les pays riches, constatant leurs intérêts menacés, vont au secours de ces Africains malades politiquement par le biais de l’ONU et l’UE et certaines institutions régionales. On installe alors le système du partage du pouvoir entre vainqueurs et vaincus avec des gouvernements hybrides et incompétents, en attendant d’autres élections supervisées par la Communauté internationale. Malheureusement, ces élections n’ont jamais réussi à installer la démocratie. Les exemples de l’Angola et de la République démocratique du Congo où la guerre a resurgi à la proclamation des résultats contestés par les perdants, sont encore frais dans nos mémoires.
Et l’auteur de marquer son inquiétude car il constate que la même stratégie semble se mettre en place en Côte d’Ivoire. Comment les Ivoiriens peuvent-ils aller à l’élection présidentielle sans pour autant régler le problème du ramassage des armes malgré l’acceptation de Gbagbo et Soro de diriger le pays ensemble ?
Pour l’auteur, la générosité de l’Occident qui aide le pays dans sa mise en œuvre des élections, n’est pas gratuite car étant sous son contrôle. Il nous annonce que beaucoup d’argent a été donné au Premier ministre Soro pour réaliser le programme pour lequel il a été nommé et pour lequel on lui a imposé de travailler avec le Président Gbagbo. Avec des chiffres à l’appui, il nous fait constater l’imbroglio dans lequel se trouve Soro qui devait s’occuper des audiences foraines et du désarmement des rebelles, préalables pour le bon déroulement de la présidentielle.
Mais le bicéphalisme imposé à la tête de l’Etat depuis Marcoussis provoque des conflits de compétence entre le Président et son Premier ministre. L’ordre et la discipline des premières années de Gbagbo auraient cédé la place au désordre et à l’indiscipline maîtrisées au cours des premières années de la Réfondation initiée par lui. L’ouvrage nous révèle que le désastre que connaît la Côte d’Ivoire a des rapports avec le pacte colonial entre la France et ses ex-colonies car, comment comprendre par exemple que Chirac s’occupât personnellement du dossier de la Côte d’Ivoire par le biais de Marcoussis ?
Pour Mamadou Koulibaly, la France par ses Constitutions de 1958 et 1995 n’a pas changé la logique de ce pacte colonial qu’il faudrait maintenant dénoncer après une quarantaine d’années d’indépendance fictive. Il s’appuie sur le message de Benoît XVI du 1er janvier 2006 dans lequel le Pape demande aux hommes de se conformer à l’ordre divin, dans la vérité, la justice et la liberté. Il s’en prend de même à l’ONU qui impose des injustices et des inégalités intolérables qui ne peuvent réaliser le bonheur et la paix.
La dernière partie du livre est consacrée à la critique du discours du président Sarkozy à Dakar en juillet 2007, un discours maladroit qui reçoit une réplique acerbe de l’auteur qui lui demande de respecter la liberté et la dignité des Africains. L’amour de Sarkozy pour l’Afrique est intéressé et les Accords de coopération par le biais de l’Eurafrique et la Françafrique ne sont que pillage et néocolonialisme. Comment faire valoir la démocratie en Europe et favoriser l’autocratie en Afrique ?
Aussi l’ouvrage nous rappelle que la France a du mal à assumer son passé colonial contrairement à d’autres pays comme l’Italie devant la Libye, l’Allemagne devant la Namibie, le Canada condamnant les actes posés par les gouvernements passés, l’Australie qui s’est excusée pour avoir humilié les aborigènes. Quand la France reconnaît l’injustice coloniale sans se repentir, elle remet paradoxalement en cause son état de pays des droits de l’homme. Mais en étant toujours présente de manière glorieuse dans la politique et l’économie de ses anciennes colonies, elle continue son néocolonialisme. Comment pourrait-elle alors demander pardon pour un acte qu’elle continue à perpétrer ?
Eurafrique et Librafrique, un livre qui pose un grand nombre de questions sur les relations entre l’Europe et l’Afrique, afin que cette dernière soit véritablement libre. Et cette liberté viendrait de la véritable démocratie pluraliste, si l’Occident s’empêchait de soutenir les pays à démocratie tropicalisée ainsi que leurs présidents corrompus.
Noël KODIA est essayiste et critique littéraire.