Le mardi 26 mars 1964 est à marquer d'une pierre blanche: ce jour-là, les Martiens débarquèrent sur Terre et commencèrent immédiatement à faire tourner en bourrique les humains.
Quelques instants avant, Luke Devereaux, auteur de SF isolé en plein désert afin de recouvrer l'inspiration, avait touché du doigt l'ombre d'une idée pour son prochain roman: "Et si les ..." C'est alors qu'il entendit frapper à sa porte. En plein désert, la nuit, qui peut bien lui rendre visite? Luke ouvre la porte et ce qu'il voit pourrait être une absolue hallucination si l'apparition ne l'avait salué d'un "Salut Toto!". Un petit homme vert, vêtu entièrement de vert, se tient devant lui et commence à l'observer presque impoliment.
Très vite, le Martien, à l'image de ses congénères, se montre de fort désagréable compagnie: rien d'intime ne lui échappe, ne leur échappe, les secrets les mieux gardés sont battus en brèche, les mensonges révélés et les vérités en deviennent plus que dérangeantes! Les Martiens semblent posséder la désagréable manie de semer la zizanie autour d'eux et d'y prendre un immense plaisir. Les êtres humains, comme les animaux (cependant en moindre proportion ) se retrouvent confrontés à des humanoïdes exaspérants au possible, hâbleurs, cyniques, graveleux, outranciers, moqueurs, d'une folle arrogance, tenant des propos plus égrillards les uns que les autres, se repaissant inlassablement des craintes, des mines offusquées, des blocages et des désespoirs humains. Seuls les chats parviennent, après une période agitée, à les ignorer superbement!
Qu'il est difficile de les ignorer, ces abominables petits hommes verts: ils "couiment" sans cesse, tels des mouches du coche, pour attiser les divergences, mettre en furie les hommes, déballer le linge sale en public et transformer les sociétés humaines, mêmes les plus primitives, en bazars désespérants.
L'arrivée des Martiens est le déclencheur de l'effondrement économique et financier de la planète: les places boursières sombrent dans les limbes des pires banqueroutes, les états ne savent plus que faire du nombre croissant des chômeurs, les armées n'ont plus de raison d'être puisque les secrets militaires sont éventés joyeusement par la bande d'affreux garnements que sont les Martiens! D'autant qu'avec le rapport d'1 Martien pour 3 humains, personne ne peut échapper à leur acuité visuelle ni à leur langue acerbe! Pire: plus on veut être gentil avec eux, plus ils deviennent ignobles et d'une méchanceté dépassant l'imaginable!
Les Martiens provoquent donc la pire des crises économiques que le monde ait connu: depuis la perte de vitesse des romans de SF à l'écroulement du système économiques en passant par le démantèlement de l'industrie des loisirs (cinéma, théâtre...les Martiens adorent semer la panique dans les lieux très fréquentés) et celui de l'automobile, rien ne semble pouvoir résister aux petits sapeurs verts. Certains pensent que Dieu, lassés des frasques des humains, a ouvert la porte des Enfers aux diablotins verts afin de punir l'Homme, d'autres que les martiens sont en fait des lutins, korrigans et autres elfes venus chahuter le monde des humains.
Derrière le contexte désopilant du roman, se cache non seulement une réflexion sur le pouvoir de l'imagination de l'écriture, la force de l'imaginaire alimentée par les mots et leurs images, mais aussi une réflexion philosophique sur la conception de notre société et la perception du monde. La force de l'imaginaire que fait peser l'auteur sur ses lecteurs, un pouvoir qui permet à ces derniers de donner une consistance réelle à l'histoire qu'ils lisent. La force psychologique créée par l'auteur sur ses personnages, même ces affreux gnomes désagréables et agaçants que sont les martiens, les rends quasiment palpables aux lecteurs. Mais aussi, la force d'une vision sociétale (nous sommes, en 1964, en pleine guerre froide) où l'ingérence du pouvoir dans la sphère privée est légitimée par l'inquiétude vis à vis de l'autre système politico-social. Aujourd'hui cette vision est toujours d'actualité: ce n'est plus l'URSS le grand méchant loup dont il faut juguler les appétits, mais la nébuleuse terroriste qui a secoué les consciences lors d'un triste 11 septembre. Notre perception du monde peut préférer ne plus voir ce qui est outrancier, dérangeant à l'extrême: comme Luke Devereau, on peut choisir de ne voir, percevoir, que sa femme, sa famille, et ignorer les petits êtres, farfadets cyniques, qui s'agitent autour de soi. Quelle est la réalité? Où commence et où finit la folie due à une hallucination, collective ou non? Le pouvoir imaginaire qui a la capacité de créer, a-t-il aussi celui de défaire ce qu'il a tricoté?
Autant de questions et de considérations que "Martiens, go home" déroule au gré du récit burlesque de la visite des habitants de Mars!
Un roman, que d'aucuns pourraient voir comme vieilli, aux accents terriblement d'actualité malgré sa date de parution (1954 aux Etats-Unis, 1957 pour la traduction française)! Je me demande si les scénaristes de "Mars Attacks" n'ont pas été de fervents lecteurs de Fredric Brown....
Roman traduit de l'anglais (USA) par Alain Dorémieux
Les avis de nirgal castle amaury gachucha essel MrFernand