Une femme prétendait être la fille naturelle d’un riche homme d’affaire aujourd’hui décédé. La reconnaissance juridique de ladite filiation n’avait cependant pas été établie malgré une première action initiée puis abandonnée par cette femme en 1979. Dans le prolongement de l’ouverture de la succession du père supposé et de la procédure formée par l’intéressée afin d’en être reconnue héritière légale, une nouvelle action en recherche de paternité fut examinée par les juridictions internes. Or, celles-ci rejetèrent cette action du fait du dépassement du délai de prescription. La Cour européenne des droits de l’homme a donc été saisie d’une allégation de violation du droit au respect de la vie familiale (Art. 8 CEDH), ce à quoi la Cour a fait droit en condamnant la Turquie.
Turnali c. Turquie (Cour EDH, 2e Sect. 7 avril 2009, req. n° 4914/03)
Actualité Droits-libertés du 9 avril 2009 par Nicolas Hervieu
Dans un premier temps, les juges européens estiment que la procédure litigieuse entre bien dans le champ de l’article 8 et ce, nonobstant la finalité principalement successorale de l’action. En effet, selon les juges, « le fait que la requérante espérait non seulement établir sa filiation paternelle mais aussi bénéficier de l’héritage de son père présumé ne saurait suffire pour justifier la privation de toute possibilité d’établir son ascendance » (§ 34) car aucune autre procédure d’établissement de la seule filiation ne lui était ouverte. Ce faisant, la Cour cherche à dissocier la présente solution de celle adoptée dans une récente affaire, assez similaire, où elle avait affirmé à l’inverse qu’ « un requérant ne saurait déduire de l’article 8 un droit à être reconnu, à des fins successorales, comme l’héritier d’une personne décédée [sauf à] étendre de manière excessive la notion de vie familiale » (Cour EDH, 2e Sect. 13 janvier 2004, Haas c. Pays-Bas, req. n° 36983/97, § 43). En d’autres termes, la Cour refuserait toujours de placer sous la protection de l’article 8 les actions visant à établir un lien de filiation à des fins exclusivement successorales. Néanmoins, lorsque les procédures de reconnaissance d’une filiation, d’une part, et celle d’établissement des droits successoraux, d’autre part, sont jointes et imbriquées dans une même action, comme c’est le cas en l’espèce, la situation tombe sous l’empire de cet article. Cette position apparaît cependant assez fragile voire byzantine (v. l’opinion dissidente du juge Sajó). D’ailleurs, il est révélateur que la Cour ne se place pas, comme dans l’affaire Haas, sur le terrain de la seule « vie familiale » mais vise aussi in fine « la vie privée » (celle-ci « englobe des aspects importants de l’identité personnelle dont l’identité des géniteurs fait partie » - § 35).
Dans un second temps, la Cour relève au fond une violation de l’article 8 par la Turquie en éludant toutefois le plus possible une position de principe. De façon très circonstanciée, elle constate simplement que la requérante n’a pas eu la possibilité de bénéficier d’une disposition interne, récemment adoptée et d’applicabilité immédiate, qui ouvrait une exception à la prescription de l’action en recherche de paternité (§ 44).
Turnali c. Turquie (Cour EDH, 2e Sect. 7 avril 2009, req. n° 4914/03 )
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