Pacification et luttes d’influences…
Secouée depuis plus de 40 ans par des guerres d’une violence sans nom, la région des Grands Lacs attire singulièrement les grandes puissances du fait de sa richesse minière incomparable. Le Congo et le Rwanda sont le centre de toutes les attentions à cause des massacres qui s’y déroulent sur fond de maîtrise des ressources minières.
Alors que Washington a présenté un plan de pacification pour la région en décembre dernier, la France est venue présenter sa vision de la paix et défendre son influence dans cette région. Lors de sa tournée éclair des 26 et 27 mars en Afrique, le Président Sarkozy s’est rendu entre autre en République Démocratique du Congo (RDC). Il a tout d’abord essayé de lever les malentendus suscités par de précédentes déclarations [1] suggérant un partage « de l’espace » et des « richesses » minières entre la RDC et le Rwanda voisin. Son discours avait soulevé l’indignation des deux pays visés et amoindri les possibilités françaises de se placer en compétiteur du plan américain pour la région. Durant sa présence en RDC, il s’est soigneusement attaché à ne pas prononcer de mots qui fâchent et a présenté un plan de paix volontariste et participatif pour les Grands Lacs afin de contrer l’insistance anglo-saxonne à se positionner dans la région.
Les accords de Nairobi et de Goma illustrent le nouveau rôle de sauveur de la paix des Etats-Unis autour des Grands Lacs. Face à une France au passé colonial sans cesse rappelé, ils bénéficient de leur image de porte-drapeau de la liberté… Toutefois, que l’on ne se leurre pas, les intérêts ne sont jamais loin des grands idéaux : Herman Cohen, ancien sous secrétaire d’Etat américain aux Affaires africaines et instigateur de ce plan, propose, pour la pacification et le développement économique, la création d’un marché commun entre la RDC, le Rwanda, le Burundi, le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda. Ce marché permettrait aux produits échangés de transiter par les ports de l’Océan Indien plutôt que ceux de l’Océan Atlantique. A long terme, les conséquences de cette nouvelle route pour l’influence française en Afrique seraient très importantes. En effet, le transit des minerais, ne se ferait plus par la sphère d’influence hexagonale qu’est le Golfe de Guinée mais par la sphère d’influence anglo-saxonne qui borde l’Océan Indien.
La part belle donnée au Rwanda et à son économie dans ce plan vise aussi à la défense d’intérêts stratégiques. En prenant une place à Kigali d’où la France a été balayée après le génocide rwandais de 1994 [2], Washington cherche à assurer la sécurité de ses approvisionnements miniers, notamment en coltan, et de son influence dans la région. Le Rwanda, il faut le rappeler, était un pays francophone depuis 1918. Il a aujourd’hui adopté l’anglais comme langue d’enseignement et Tony Blair est devenu le conseiller officiel de Paul Kagamé, Président du Rwanda formé à Fort Leavenworth aux Etats-Unis. Ce sont des indices forts de la prise de position anglo-saxonne dans la région et, sous couvert de règlement pacifique, les Etats-Unis proposent en réalité d’y étendre leur influence au détriment de celle de la France.
Enjeux stratégiques et co-développement
Dans le contexte de tensions entourant l’approvisionnement en uranium, le choix stratégique de la France en faveur de l’énergie nucléaire exige une attitude offensive sur les marchés. Pays à la pointe de cette technologie, la France produit 80 % de son énergie grâce à elle. Un pari risqué quand on sait qu’elle est dépendante de l’étranger pour ses approvisionnements. Le malentendu du 16 janvier dernier aurait en effet pu coûter plus qu’une sphère d’influence au numéro un mondial.
La visite en RDC a été l’occasion d’une avancée stratégique en termes d’approvisionnement. En effet, malgré le quasi-monopole de la société d’Etat congolaise Gécamines, Areva a réussi à obtenir le droit d’explorer et exploiter les gisements d’uranium qui seraient découverts sur tout le territoire congolais. Cet accord intervient dans un contexte de lutte d’influence avec les Anglo-saxons et marque une belle victoire : il fait en effet suite à la rupture d’un contrat équivalent annoncé entre l’Etat congolais et la Brinkley Africa, filiale du groupe britannique Brinkley.
“Au Niger, la France a des intérêts, elle les assume, elle les promeut, mais en toute transparence”, disait Nicolas Sarkozy dans un entretien accordé au journal nigérien Le Sahel.
Face au Canada et à la Chine qui cherche à sécuriser ses approvisionnements en uranium en prévision de la construction de 30 réacteurs d’ici 2020, la France a aussi réussi à obtenir le permis d’exploitation de la mine d’Imouraren par un accord signé le 5 janvier dernier. Lors de son ouverture en 2012, ce sera la deuxième mine du monde et elle permettra à Areva de doubler sa production.
La France, qui exploite les mines nigériennes depuis 50 ans a réussi à maintenir un partenariat essentiel et à devancer Pékin, pourtant très en vogue sur le continent africain.
La position française de transparence et d’exemplarité [3] en sont-ils les raisons ? Ce peut être une piste mais ce qui est évident, c’est qu’Areva pait cher sa place puisque le gouvernement nigérien a négocié une hausse du prix d’achat de l’uranium de 50 %.
Une France-Afrique rénovée ou décomplexée ?
Le secrétaire national de l’association Survie, Fabrice Tarrit, n’a vu dans ces accords que l’expression d’une « Françafrique décomplexée » où « les intérêts économiques de grandes entreprises françaises (priment) sur les questions de démocratie et de droits de l’Homme ». Immanquablement taxée de néo-colonialisme, la France ne peut faire un pas sur le continent africain sans que cette accusation soit lancée. Cependant, cette visite est peut-être l’indice d’une relation assainie et plus transparente où la France ne cache pas ses buts, au contraire des Américains qui avancent la paix pour défendre des intérêts stratégiques.
Et l’éternelle question revient : promotrice des droits de l’Homme et sans influence sur un continent où elle se fait damer le pion par une Chine moins scrupuleuse et des Etats-Unis plus puissants ou influente et puissante sans paternalisme moralisateur et avec la possibilité de mettre en place des actions en faveur des populations locales ? Il lui faut continuellement faire ce choix sans solution satisfaisante entre le discours en faveur du seul respect des droits de l’Homme et l’interventionnisme et une vraie politique de puissance.
La démarche française illustrée par ce dernier voyage, bien qu’elle ne soit pas exempte de faux-pas, semble dénoter une certaine continuité de l’approche évoquée à Dakar ou au Cap : moins paternaliste, plus transparente… mais qui doit rester très offensive pour protéger des enjeux stratégiques et conserver une sphère d’influence où elle peut engager un co-développement mutuellement fructueux.
JB
1: Lors de ses vœux au corps diplomatique, le Président avait proposé d’aider à établir un dialogue bilatéral et « structurel » sur deux sujets tabous : « Il faudra bien qu’à un moment ou un autre, il y ait un dialogue qui ne soit pas simplement un dialogue conjoncturel, mais un dialogue structurel : comment dans cette région du monde, on partage l’espace, on partage les richesses et on accepte de comprendre que la géographie a ses lois, que les pays changent rarement d’adresse et qu’il faut apprendre à vivre les uns à côté des autres» alors qu’une initiative commune de Kigali et Kinshasa visait à éradiquer la violence dans le Kivu.
2 : Pour aller plus loin concernant l’opération de désinformation dont la France fait l’objet à propos de ce drame, lire l’article du Colonel Jacques Hogard, A propos du Rwanda, des Grands Lacs et de la politique française en Afrique, paru dans le magazine Diplomatie de mars-avril 2009.
3 : Premier partenaire au développement du Niger, la France a mis en place une coopération dans trois domaines (éducation, santé, eau et assainissement), et trois secteurs de développement national (renforcement de l’Etat de droit et décentralisation, enseignement supérieur et recherche, promotion de la diversité culturelle dans le cadre de la Francophonie). Le Président Sarkozy et Anne Lauvergeon ont aussi annoncé que les gains pour le Niger dus aux investissements d’Areva seraient rendus publics et qu’ils « auront un impact sur l’ensemble de l’économie nigérienne ».
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 18 avril à 23:08
Rappellons que Anne Lauvergeon a été sherpa de Françoise Mitterrand au début des années 90; qu'elle ne peut rien ignorer du génocide des Tutsi et de la complicité de l' Elysée. Elle ne peut ignorer le passé de Fabien Singayé et les accusations contre lui de - et je suis polie- , Hutu coplice de génocide;