« Quelqu'un est venu ici vous dire que "l'Homme africain n'est pas entré dans l'Histoire".
Pardon pour ces paroles humiliantes et qui n'auraient jamais dû être prononcées et qui n'engagent pas la France. Car vous aussi, vous avez fait l'histoire, vous l'avez faite bien avant la colonisation, vous l'avez faite pendant, et vous la faites depuis. »
Je n’ai pas aimé ces propos !
Quelque soit le sujet évoqué, Ségolène Royal n’est certainement pas
habilitée a «demander pardon » pour des paroles prononcées par le
Président de la République. Contrairement à ce qu’elle prétend les paroles du
Président de la République française, en voyage officiel à l’étranger, engagent
la France, c’est le principe de la démocratie républicaine. Ségolène Royal n’a
pas été élue à la présidence et en conséquence n’a aucune légitimité à décider
de ce qui engage la France ou non.
De plus, quel sens cela a-t-il de demander pardon pour des propos tenus par quelqu’un d’autre, opposant politique de surcroit ?...demander pardon est un acte de contrition vis-à-vis d’une faute que l’on a commise ou dont on se sent responsable or dans le cas de Madame Royal on n’est ni dans le premier cas ni dans le second puisqu’il m’étonnerait qu’elle se sente responsable de quelconque actes ou propos de Nicolas Sarkozy.
Enfin et surtout, demander « Pardon pour ces paroles humiliantes.. » c’est dire que le Président de la république française a énoncé des paroles « humiliantes » et donc laisser entendre qu’il les a prononcées afin d’humilier ce qui n’est évidemment pas le cas !...c’est aller dire aux africains « vous avez été à juste titre humiliés par les propos de Sarkozy » …il me semble que ce n’est pas servir la France que de dire cela !
Pourtant, je n’avais vraiment pas aimé cette partie du
discours de Sarkozy à Dakar :
« Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.
Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de progrès…. » Dans cet univers où la nature commande tout, l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne mais l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout semble être écrit d'avance.
Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin. Le problème de l'Afrique et permettez à un ami de l'Afrique de le dire, il est là. Le défi de l'Afrique, c'est d'entrer davantage dans l'histoire. C'est de puiser en elle l'énergie, la force, l'envie, la volonté d'écouter et d'épouser sa propre histoire. Le problème de l'Afrique, c'est de cesser de toujours répéter, de toujours ressasser, de se libérer du mythe de l'éternel retour, c'est de prendre conscience que l'âge d'or qu'elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu'il n'a jamais existé.
Le problème de l'Afrique, c'est qu'elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l'enfance. »
Cette idée là est à la fois fausse et stupide.
Fausse parce qu’elle relève à la fois d’un ethnocentrisme d’un autre âge.
C’est ne pas comprendre que notre notion de « progrès » est toute
relative, que c’est une notion historiquement datée et localisée.
Pourtant la crise actuelle, ou la notion même de « développement
durable » qui est une autre conception du progrès que celle admise jusqu’à
peu, devrait permettre d’en prendre conscience.
N’est ce pas, en partie parce que nous avons imposé à l’Afrique notre notion
typiquement occidentale du progrès, qu’elle se trouve dans cette
situation ?
Est-ce que le progrès c’est de faire en sorte que le plus de monde possible
puisse s’acheter un jean Dolce & Gabbana à 14 ans, un téléphone portable
qui fait même le café à 16ans, une Mercedes à 25 ans et une Rolex à 50 ans
?
Cette idée est également stupide parce qu’il faut être particulièrement
prétentieux pour aller dire aux africains:
« Jamais l'homme (africain) ne s'élance vers l'avenir. Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin » ou encore « Le problème de l'Afrique, c'est qu'elle vit trop le présent dans la nostalgie du paradis perdu de l'enfance. » !
C’est dommage parce que du coup on ne parle plus de ce qu’il y a d’autre
dans ce discours !
Or, au risque de choquer les anti-sarko primaires, qui souvent n’ont même
pas lu le discours incriminé dans son intégralité, je trouve que ce discours de
Dakar est globalement un beau texte, certainement un peu paternaliste mais bien
écrit et auquel j’adhère sur beaucoup points à l’exception notable de celui qui
fait scandale qui malheureusement fout en l’air l’ensemble.
Car on ne peut pas réduire le discours de Dakar à cette phrase
malheureuse : « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain
n'est pas assez entré dans l'histoire » !
Qu’y trouve-t-on d’autre ?
Tout d’abord l’affirmation (ou la réaffirmation) que l’esclavage est un
crime contre l’humanité :
« Je ne suis pas venu effacer le passé car le passé ne s'efface pas. Je ne suis pas venu nier les fautes ni les crimes car il y a eu des fautes et il y a eu des crimes. Il y a eu la traite négrière, il y a eu l'esclavage, les hommes, les femmes, les enfants achetés et vendus comme des marchandises. Et ce crime ne fut pas seulement un crime contre les Africains, ce fut un crime contre l'homme, ce fut un crime contre l'humanité toute entière. »
Et ce sans tomber dans la repentance stérile, dans l’auto-flagellation
exclusivement tournée vers le passé.
« Jeunes d'Afrique, je ne suis pas venu vous parler de repentance. Je suis venu vous dire que je ressens la traite et l'esclavage comme des crimes envers l'humanité. Je suis venu vous dire que votre déchirure et votre souffrance sont les nôtres et sont donc les miennes. Je suis venu vous proposer de regarder ensemble, Africains et Français, au-delà de cette déchirure et au-delà de cette souffrance. Je suis venu vous proposer, jeunes d'Afrique, non d'oublier cette déchirure et cette souffrance qui ne peuvent pas être oubliées, mais de les dépasser. »
Tout en réaffirmant la faute de l’occident :
« Mais la colonisation fut une grande faute qui fut payée par l'amertume et la souffrance de ceux qui avaient cru tout donner et qui ne comprenaient pas pourquoi on leur en voulait autant. La colonisation fut une grande faute qui détruisit chez le colonisé l'estime de soi et fit naître dans son cœur cette haine de soi qui débouche toujours sur la haine des autres…. »
Mais au-delà des paroles fortes qui ne laissent pas de place à l’ambigüité,
c’est également l’affirmation que l’Afrique ne peut pas se réfugier derrière la
colonisation et l’esclavage pour justifier tous ses maux :
« La colonisation n'est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l'Afrique. Elle n'est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux. Elle n'est pas responsable des génocides. Elle n'est pas responsable des dictateurs. Elle n'est pas responsable du fanatisme. Elle n'est pas responsable de la corruption, de la prévarication. Elle n'est pas responsable des gaspillages et de la pollution. »
C’est la reconnaissance de la richesse de l’identité africaine, de ses
valeurs, de sa culture source d’inspiration pour l’Europe :
« Je veux vous dire, jeunes d'Afrique, que le drame de l'Afrique n'est pas dans une prétendue infériorité de son art, sa pensée, de sa culture. Car, pour ce qui est de l'art, de la pensée et de la culture, c'est l'Occident qui s'est mis à l'école de l'Afrique ».
Enfin c’est l’affirmation que l’Afrique doit prendre elle même son destin en
main :
« Dès lors que vous regarderez bien en face la réalité de l'Afrique et que vous la prendrez à bras le corps, alors commencera la Renaissance africaine. Car le problème de l'Afrique, c'est qu'elle est devenue un mythe que chacun reconstruit pour les besoins de sa cause. »
« Jeunes d'Afrique, vous voulez le développement, vous voulez la croissance, vous voulez la hausse du niveau de vie. Mais le voulez-vous vraiment ? Voulez-vous que cessent l'arbitraire, la corruption, la violence ? Voulez-vous que la propriété soit respectée, que l'argent soit investi au lieu d'être détourné ? Voulez-vous que l'État se remette à faire son métier, qu'il soit allégé des bureaucraties qui l'étouffent, qu'il soit libéré du parasitisme, du clientélisme, que son autorité soit restaurée, qu'il domine les féodalités, qu'il domine les corporatismes ? Voulez-vous que partout règne l'État de droit qui permet à chacun de savoir raisonnablement ce qu'il peut attendre des autres ?
Si vous le voulez, alors la France sera à vos côtés pour l'exiger, mais personne ne le voudra à votre place. »
Pour conclure, je dirais que même si ce n’est pas lui qui l’a écrit, ce
discours est à l’image de Sarkozy, une volonté louable de marquer une rupture
avec ses prédécesseurs avec un discours novateur et une réelle sincérité, de
bonnes idées mais le tout gâché par un manque élémentaire de psychologie et une
suffisance exacerbée.
Dommage, l'Afrique mérite mieux qu'un discours raté et une mesquinerie
d'ex-candidate aigrie.