4Chan ou la liberté d’expression poussée à son extrême

Publié le 08 avril 2009 par Michael Pierlovisi

A l’origine des plus importants « memes » (voir cette note pour plus d’information) et des plus grosses polémiques, 4Chan est un espace de conversation définitivement à part dans le paysage du Web. Oubliez tous les artifices de l’ère 2.0 (réseau social, collaboration, taxonomie, couleurs chatoyantes, mise en page soignée, etc.), vous êtes face à une communauté d’un autre âge.

“Il est interdit d’interdire”

Héritier direct des BBS des premières heures d’Internet, ce forum de discussion axé sur le partage d’images cumule les adjectifs : révoltant, passionnant, affligeant, raciste, misogyne, faiseur de tendance, idiot, anarchiste, libertaire, etc. Et finalement, en suivant la célèbre citation de Frédéric Lefebvre, on pourrait croire qu’il est la parfaite illustration que “les trafiquants d’armes, de médicaments ou d’objets volés et les proxénètes ont trouvé refuge sur Internet, et les psychopathes, les violeurs, les racistes et les voleurs y ont fait leur nid”. Quoi qu’il en soit, avec ses 300 millions de pages vues par mois, ses 250 millions de messages publiés et ses 30 000 membres déclarés, 4Chan est un acteur incontournable de la culture underground Online.

Son mode de fonctionnement est d’ailleurs simplissime : il n’y a pas de règles, aucune charte de modération et les messages publiés peuvent être totalement anonymes. En fait, 4Chan ne recherche pas la célébrité et ne fait d’ailleurs aucun effort pour accueillir les nouveaux arrivants. La mise en page n’a pas changée depuis sa création (soit plus de 5 ans) et à moins de savoir exactement ce que vous cherchez, vous risquez d’être très rapidement perdus dans les différentes rubriques.

Celles-ci sont d’ailleurs regroupées en 6 grandes catégories (Japanese Culture, Interests, Creative, Adult (18+), Other, Misc) et se divisent en 44 sections baptisées avec une plusieurs lettres de l’alphabet (a / b / c / d / e / f / g / gif / h / hr / k /, etc.). Vous l’aurez compris, l’accès à 4Chan est réservé aux initiés qui souhaitent parler de tout et de rien : des mangas japonaises aux armes à feu en passant par la photographie, la cuisine, le porno hétérosexuel, homosexuel ou encore le cosplay. Aucune de ces thématiques ne vous intéressent ? Qu’à cela ne tienne, la section Random vous permet, comme son nom l’indique, d’aborder n’importe quel sujet. Baptisée /b/, il s’agit justement de la rubrique la plus populaire avec 150 000 à 200 000 messages publiés quotidiennement…

4Chan, créateur de buzz

Ainsi, au détour d’images pornographiques, zoophiles et/ou xénophobes (aucune règle ne modère ce forum rappelons le) émergent de façon régulière parmi les plus gros buzz de la toile. Ainsi, avant de débarquer sur votre blog favori, sur Twitter ou sur Facebook, des vidéos telles que David after the dentist (16 millions de lectures sur Youtube) ou le clip Chocolate Rain de Tay Zonday, un chanteur amateur (plus de 32 millions de lectures et un passage TV pour l’intéressé) ont fait leurs début dans cette fameuse section /b/.


Les exemples ne s’arrêtent d’ailleurs pas là puisque les membres de 4Chan sont également à l’origine du phénomène LOLcats, du Rickrolling (basé sur le clip “Never Gonna Give You Up” de Rick Astley), du piratage de la boite email de Sarah Palin ou, plus récemment, de l’arrestation de Kenny Christopher Glenn, un adolescent boutonneux qui immortalisait sur Youtube les tortures qu’il faisait subir à son chat…

Bienbien a rédigé un très bon article à ce sujet mais en substance, les membres de la rubrique /b/ ont décidé de réagir après avoir visionné cette vidéo en menant une véritable investigation sur le jeune adolescent. Après avoir repéré sa page Facebook, ils ont ainsi réussi à l’identifier et, après avoir avertit la police et les médias locaux, ont tout simplement publié sur une page Web toutes les informations qu’ils avaient récolté : nom, adresse, coordonnées de sa mère, numéro de téléphone, etc.


L’avenir de 4Chan en question…

Parce qu’il n’y a justement aucune règle, ni aucune modération, 4Chan est le parfait exemple des espaces de discussion libertaires qu’à connu Internet à ses débuts. Le pire côtoie ainsi des sujets drôles voire sérieux pouvant donner naissance à de véritables buzz. Et c’est justement cette liberté de ton qui favorise cette créativité. Doit-on pour autant saluer ce type d’initiatives ? Certainement pas mais 4Chan fait partie de la scène underground du Web qui, au même titre que dans la musique ou l’art, est un véritable vivier de créativité. La grande majorité des sujets abordés choqueront certainement (et à raison) la plupart d’entre nous et resteront confinés à la longue traine. Qu’à cela ne tienne, les membres de 4Chan se focalisent avant tout sur « leur communauté » dont le maître mot pourrait bien être : « We are anonymous » (nous sommes anonymes)…

Aujourd’hui, et à l’image de cette note, 4Chan sort progressivement de l’ombre et certaines agences n’hésitent pas à parcourir les forums afin de déceler les prochains buzz voire d’implémenter le leur en guise de test ou d’accélérateur. Malheureusement, comme tout mouvement underground populaire, le plus grand danger de 4Chan n’est pas son absence de règles mais plutôt sa popularité. A force de générer autant de visibilité (FoxNews leur a d’ailleurs consacré un article), il pourrait bien devenir « grand public » (toutes proportions gardées bien entendu) et perdre ainsi tout son attrait pour le noyau dur des membres. Après tout, n’est-ce pas le lot de tous les grands mouvements contre-culturels de ces dernières décennies telles que le Punk, le Grunge, le Hip-Hop ou… les Hippies ?

Si l’étude de la contre-culture vous intéresse, je ne saurais trop vous recommander la lecture de l’excellent « Révolte consommée : Le mythe de la contre-culture » de Joseph Heath, Andrew Potter, Michel Saint-Germain, et Elise de Bellefeuille