Le terme placebo - première personne du singulier de l’indicatif futur du verbe latin «placere» (plaire) - signifie «je plairai».
Historique
Cette formule qui nous semble aujourd’hui aller de soi, est née avec le laboratoire du double insu. Le Littré de 1886, oeuvre d’un médecin, ne contient pas le mot placebo . La formule est contemporaine. Son histoire est brève, moins de 50 ans ; elle date de l’invention des études cliniques après la Seconde Guerre mondiale.
Une étude publiée dans la revue Science le confirme: les médicaments sans principe actif peuvent être aussi efficaces que les vrais
Prenez un groupe de volontaires. Faites-leur mal - une petite brûlure, par exemple. Donnez-leur un placebo (substance neutre sans effet pharmacologique) ou un médicament opiacé pour combattre cette douleur. Observez alors ce qui se passe, grâce à une machine ultra perfectionnée, appelée TEP (tomographie par émission de positons), qui offre une image dynamique du cerveau. Résultat? Les zones cérébrales activées sont les mêmes, quel que soit le produit donné. Cette expérience, réalisée par des chercheurs suédois et finlandais, est publiée dans le dernier numéro de la revue Science. Elle constitue, note le Dr Patrick Lemoine, «la première preuve visuelle d’un effet placebo».
Placebo de chirurgie…
Pour vérifier l’intérêt de la ligature de l’artère mammaire interne dans le traitement de l’angine de poitrine rebelle, Diamond réalisa l’essai suivant : 18 sujets atteints de formes graves d’angine de poitrine furent opérés. 13 subirent la ligature. 5 furent simplement endormis, le chirurgien se contentant de pratiquer une simple incision cutanée pour leur faire croire qu’ils avaient été réellement opérés. Ces derniers se portèrent aussi bien que les autres. L’année suivante, Cobb utilisa un protocole expérimental beaucoup plus rigoureux que celui de Diamond : le chirurgien n’était prévenu qu’au moment de l’intervention. 17 patients furent opérés. 8 subirent l’intervention et 9 le simulacre. Six mois après l’intervention, 5 sujets de chacun des groupes présentaient une réduction significative du nombre de crises d’angor et de la consommation d’antiangineux. L’électrocardiogramme s’était même amélioré chez un patient qui avait subi l’intervention placebo.
Les attentes du patient et du médecin
Le médecin tient vraisemblablement le premier rôle. Deux paramètres difficilement mesurables entrent en ligne de compte : sa bienveillance et son degré de conviction vis-à-vis du traitement qu’il propose. A placebo égal, un médecin sympathique et convaincu est beaucoup plus efficace qu’un autre, indifférent et sceptique. En effet, comprimés, sirops, injections ou bistouri ne sont pas indispensables à l’obtention d’un effet placebo. Ainsi un médecin de famille de Southampton, K.-B. Thomas, choisit dans sa clientèle deux cents patients qui se plaignaient de vagues douleurs abdominales, de maux de tête, de douleurs lombaires, de maux de gorge, de toux ou de fatigue et pour lesquels il lui était impossible de faire un diagnostic précis. Il sépara ces patients en deux groupes, dont le premier fut l’objet d’une consultation dite «positive» : il affirma un diagnostic et les rassura vigoureusement en leur certifiant qu’ils se rétabliraient très vite. Aux patients du second groupe, il dit : «Je ne suis pas certain de savoir ce dont vous souffrez ; si vous n’allez pas mieux dans quelques jours, revenez me voir.» Au bout de deux semaines, 64 % des patients du premier groupe gratifié de la consultation «positive» allaient mieux contre 39 % de ceux de l’autre groupe.
Plus fort encore, l’histoire du Dr Stewart Wolf, médecin américain réputé, survenue au début des années 1960: chargé du cas d’un asthmatique gravement malade, il découvre dans la littérature scientifique un article sur un médicament, non encore commercialisé, qui semble révolutionnaire. Il demande donc au laboratoire un échantillon et le prescrit à son patient. Pour la première fois depuis dix-sept ans, ce dernier ne fait plus de crises d’asthme. Etonné par une telle efficacité, le Dr Wolf réclame à la firme pharmaceutique un placebo (même couleur, même présentation). Deux jours après l’avoir avalé, le patient rechute. Après cinq allers-retours entre placebo et médicament, qui donnent tous un résultat identique en faveur du «vrai» comprimé, le médecin, enthousiaste, fait part de ses observations au laboratoire. Réponse de ce dernier: «Depuis le début, nous vous avons fourni uniquement des placebos.» L’essentiel serait donc d’y croire…
Le laboratoire du double insu
Au coeur de la recherche médicale moderne, la laboratoire du double insu a pour fonction: “Le médicament que je mets au point est efficace indépendamment du médecin“. C’est la signification profonde du triomphe du double insu.
Dans l’univers du laboratoire du double insu, rien ne passe sans la statistique.
Le statisticien n’a que faire des démonstrations biologiques, donc avec ce qui pourrait mériter le label du savoir scientifique. Le rapport entre médecine clinique et science expérimentale telle qu’elle est représentée dans la figure du chercheur ne va, en effet, pas de soi. On dit souvent que la médecine relève à la fois de l’art et de la science. En fait, la pratique clinique est reliée, articulée, pourrait-on dire, à la science, par la statistique.
Cela signifie que les rapports existant entre les deux pratiques, celle des médecins d’un côté, celle des chercheurs des laboratoires de l’industrie pharmaceutique de l’autre, ne sont pas des rapports linéaires de diffusion. Les deux domaines entrent en contact par le biais de la statistique. La notion de double insu prend ainsi un sens nouveau : elle décrit au fond la complexe relation entre la figure du tiers et la figure du thérapeute. Rien de sérieux ne passe entre les deux qui ne soit filtré par le statisticien.
Toutes les tentatives pour essayer de construire, par exemple, ce qu’on a appelé “pharmacologie rationnelle”, celle qui permettrait d’aller directement de la molécule à l’action thérapeutique, ont été défaites. Aujourd’hui quelle que soit l’origine savante d’un candidat médicament, il faut le soumettre à l’épreuve du double insu. Par exemple, bien des tentatives récentes de thérapeutique dite “génique” s’y sont cassées les dents. Les études en double insu n’ont pas tendance à voir leur importance diminuer face aux avancées de la biologie et maintenant de la génomique ; au contraire, elles se renforcent chaque jour davantage.
L’effet placebo est une tentative de constituer de manière incontestable une sorte de “degré zéro”, pourtant empiriquement construit, permettant de juger un candidat-médicament. En vérité, on appelle effet placebo une série entassée de mécanismes baroques non contrôlés : améliorations ou guérisons spontanées, modifications des patients indépendamment de toute action chimique/biologique directement observable, sentiment subjectif – et peut-être illusoire – d’amélioration, partagée ou non par le médecin, etc. C’est l’entassement de ces phénomènes communs qui est magnifié et réifié sous le nom d’effet placebo. Sitôt nommé, il est rendu inanalysable. Car dans ce laboratoire on ne cherche jamais à définir, à comprendre ce qu’est cet effet, comme on ne cherche jamais à vérifier ou à démentir une hypothèse biologique en tant qu’hypothèse scientifique. On veut seulement savoir si “ça marche” ou “si ça ne marche pas” – quelles qu’en soient les raisons.
Cette expression: «effet placebo», seuls les médecins l’emploient ; les patients chercheront toujours une raison plus intéressante à cette guérison que leur médecin n’a pu expliquer autrement. Remarquons aussi le caractère gênant de ce quasi-compliment que les médecins s’adressent du même coup à eux-mêmes – placebo , “je plairai (au docteur)”. Mais est-ce si certain qu’ils guérissent pour plaire au docteur, lui qui est parfois si fâché de les voir guérir hors la médecine?
L’effet placebo , c’est d’abord la manière dont on reçoit des patients, dont on dit leur maladie, dont on les recrute pour une étude, dont on leur demande leur accord écrit, dont on leur prescrit un médicament sans nom et sans références connues – en bref : la manière dont on les enferme dans un système de contraintes particulièrement fort et original. Supprimez ces éléments qui définissent la contrainte particulière dans laquelle est mise le patient (le thérapeute aussi d’ailleurs, ce qui fait que la contrainte ne laisse pas apparaître sa singularité et son artificialité) et vous arrêtez immédiatement de le modifier. Tous les experts des études cliniques savent que les taux de guérison et d’amélioration sont beaucoup plus faibles quand on quitte le laboratoire du double insu. C’est le contraire qui aurait été surprenant. C’est pourtant ce que l’interprétation psychologique ne permet pas de comprendre.
Tout cela doit nous appeler à plus de modestie. Comme les expériences qui ont mis en évidence ce qu’on a appelé effet placebo sont aussi, paradoxalement, une extraordinaire leçon de modestie : nous ignorons tout de ce qui se passe entre un corps humain et une substance étrangère tant qu’on ne l’a pas testée réellement. Aucune science biologique ou chimique n’a encore su nous l’apprendre. Pour reprendre la formule de Spinoza, nous ne savons toujours pas de quoi un corps est capable.
Compléments d’informations et sources:
- L’Express.fr février 2002
- Pseudo-Sciences.org mai 2002
- Philippe Pignarre - L’effet placebo n’existe pas !
Références pour cet article
- Placebo and Opioid Analgesia - Imaging a Shared Neuronal Network
www.kzoo.edu/psych/Petrovic%20et%20al.2002.pdf... - article publié dans L’Express.fr février 2002
www.lexpress.fr/informations/placebo-la-foi-qui-sa... - Pseudo-Sciences.org mai 2002
www.pseudo-sciences.org/spip.php?article78#nh23... - Philippe Pignarre - L’effet placebo n’existe pas !
www.recalcitrance.com/placebo.htm...