1919, Proust reçoit le prix Goncourt et est décoré de la légion d’honneur. 1922, il achève sa besogne avant de mourir d’une bronchite.
Ecrire ainsi l’essentiel d’une œuvre si introvertie, sociologiquement si étroite, au moment même où le monde a basculé dans l’horreur de la première guerre mondiale. Fallait le faire ! On l’imagine respirant avec peine dans sa chambrette aux volets clos, virevoltant en songe entre salons cossus et backrooms d’un autre temps, pendant qu’au dehors cette classe dirigeante cupide et imbécile, si bien décrite par lui dans ses petites parties de branlettes, envoie au casse-pipe des millions de braves gens. Peu importe ceux-là qu’ils aient été hétéros, sodomites, homos, invertis, ou hommes-femmes ; tous ont été jetés dans la plus effroyable des boucheries.
Proust, on le sait, a été définitivement réformé en 1915. Néanmoins se peut-il qu’il ne s’aperçoive pas en quoi Zola et la balistique l'ont méchamment rattrapé ? Sait-il que le bal des trous de balle est terminé, depuis remplacé par les trous des balles, d'autres genres de trous, en pleines têtes, en pleines poitrines ceux-là. Sait-il que les masques sont à gaz désormais parce que dans les tranchées on ne se brûle pas les ailes à cause du sexe, mais les poumons au gaz moutarde ?
Sans doute sait-il tout cela ; en théorie du moins ! Car, même si l’auteur radieux vit enfermé, il s’informe comme l’atteste le postscriptum de l’une de ses lettres écrites en 1915 à Georges de Lauris : « Si vous avez des “tuyaux” sur la guerre, vous seriez bien gentil de me les écrire en une ligne. Je vis si seul que je ne sais rien. » Il lit aussi la presse, beaucoup, et se documente auprès de « sommités » stratégiques pour alimenter ses écrits. (On peut lire à ce sujet le long article écrit par le Centre Proust de l’Université de Paris-3)
Mais l’homme obscur, lui, que sait-il de ses semblables au combat, de leurs souffrances ? Peut-être ce qu’il en apprend au hasard des petites séances de « troufignolage » (l’expression est de Céline) organisées rue de l’Arcades à Paris avec quelques permissionnaires (Un rapport de police daté du 12 janvier 1918 l’atteste.) ?
Voilà sans doute pourquoi La Recherche ne me touche guère, avec son atmosphère de bonbonnière et ses parfums de tisane. Réduite au souci d’une intimité édulcorée devenue du même coup douteuse dans le contexte de l'époque, elle manque terriblement d'humanité.
Pardon à Stéphane Zagdanski de l’avoir raillé plus haut, j’ai adoré son livre. Mais bon, on comprendra pourquoi, au delà des ronds de jambes et acrobaties de plume, j’étouffe dans l’univers littéraire de Marcel. Comme la piaule dans laquelle il l'a écrite, l'œuvre derrière ses tentures stylistiques sent terriblement le renfermé. Tous ces petits marquis peine-à-jouir qui s’agitent comme des marionnettes sexuées tout au long des livres ne forment finalement qu’une micro société sans grand intérêt.
Alors je sais bien, vous me direz que ça traite de l'âme ce long fleuve d'écriture et que la littérature comme disait Flaubert c'est la science des âmes justement. Et puis, il y a le style aussi !
Ah ! Le style monsieur…