Le lyrisme véhément de Jean Pérol
Asile exil : le titre d’un recueil de 1987 (qui
figurera dans un deuxième tome de Poésie), énonce le paradoxe qui donne
une force singulière à l’œuvre poétique de Jean Pérol. C’est au bout du monde,
notamment au Japon, que, après une enfance pauvre traversée par la guerre (il est
né en 1932), puis loin des menaces de la guerre d’Algérie, Pérol a trouvé son
propre souffle, à l’écart de tout formalisme. Loin aussi de son pays, et de sa
langue maternelle, devenue langue d’écriture, et dotée d’une vigueur abrupte.
Jean Pérol a longtemps vécu et travaillé au Japon (d’abord lecteur à
l’Université de Fukukoa puis directeur de l’Institut français de Tokyo), pays
dont il connaît fort bien la culture (on lui doit un beau Tokyo aux
éditions Champ Vallon et un excellent essai, Regards d’encre-Écrivains
japonais 1966-1986). Il a voulu récemment rendre hommage à ce pays, dans un
ample et ambitieux roman, Le soleil se couche à Nippori (La Différence
2007). « J’ai voulu sortir des limites qu’on impose à la poésie, nous
confiait-il (le Monde des livres du 12 octobre 2007) mais je n’ai pas
l’impression de la trahir .... Ce qui compte c’est l’énergie vitale du
projet d’écriture ».
Une énergie qui irrigue cinquante ans de création poétique,
jusqu’à A part et passager 2003 (prix Max Jacob 2004). Précieux
travail que celui des Éditions de la Différence, qui permet de retrouver dans
ce premier volume, Poésies I, 1953-1978, des recueils de jeunesse
introuvables, publiés avant le départ pour le Japon en 1961. D’abord Sang et
raisons d’une présence, publié par Seghers en 1953, grâce aux
encouragements d’Aragon : la voix n’est pas encore très assurée, mais le
titre annonce l’œuvre à venir, fortement incarnée.
Les recueils suivants, Le Cœur de l’olivier 1957 et Le Feu du gel
1959 sont publiés par Armand Henneuse, éditeur lyonnais d’origine belge et
grand résistant, qui avait édité Éluard, Aragon et Ponge et aidait beaucoup les
jeunes poètes (dans son très beau premier roman, Un été mémorable
Gallimard 1998, Jean Pérol lui rendait un émouvant hommage).
Un autre éditeur de poésie, Guy Chambelland, rencontré en 1959, publie L’Atelier
en 1961 et en 1965 Le Point vélique. Dans ce recueil, composé en partie
au Japon, apparaît la trace du choc sensoriel éprouvé devant ce nouveau
paysage : « on émerge on respire
au gris lent de la mer /un pays noir en vous au bord du soir s’efface/au loin
la brume tend sa gorge de pigeon/on écoute on se tait et le calme s’est
fait ».
Puis vient Le cœur véhément (1968) - le premier de
plusieurs recueils publiés par Gallimard. Un beau titre, qui convient bien à
ces proses pleinement affirmées, dont une partie, écrite au Japon et
récompensée par un prix du Japan Pen Club en 1964, avait d’abord donné lieu, à
Tokyo, à une édition bilingue intitulée D’un pays lointain - un salut respectueux
à Michaux. Le livre avait attiré l’attention amicale de Kawabata
Yasunari : une rencontre décisive. On y trouve également un hommage fidèle
à Roger Vailland, aîné bienveillant à qui Pérol a consacré une étude dans la
NRF.
Quant aux « récit-poèmes » de Ruptures 1970, ils
montrent - selon une note liminaire- le poète « métaphoriquement et
littéralement, rompu à toutes les tentatives d’écriture ».
Malgré les amitiés, les rencontres autour de la NRF (Cluny, Oster, Salabreuil,
Réda), Jean Pérol commence à ressentir la « chaux de
l’exil ». Malgré l’amour, la mélancolie de l’âge. L’écriture reste une
lutte : « Rage d’écrire au bout du bras comme une flamme au
chalumeau(…) La page incandescente reste toujours à faire ».
Maintenant les soleils, « journal-poèmes » 1972, qui
inscrit dans l’époque les poèmes datés de trois années (de 1969 à 1971), n’en
laisse pas moins place à un lyrisme souvent véhément, parfois élégiaque. Ainsi
le 19 novembre 1971 : « Ouvert d’amours et de terres étrangères/fidèle
étrangement au sol de la patrie/avide nostalgie vers la claire lumière/tourné
vers la photo que l’exil a jauni ».
Enfin Morale provisoire (Gallimard
1978) - composé entre Tokyo et la Nouvelle Orléans entre 1972 et 1977 -
dans sa poésie chaleureuse et charnelle, marque une sorte de temps fort, où la
passion de vivre semble l’emporter sur les rages et les refus : « tu
es debout devant la terre pour encore quelque temps/centre ébloui de l’arc
exact de ces forêts/tu salues cette éternité et son infime passager/de plus en
plus les matins sont des portes qui s’ouvrent ».
Ce recueil somptueux se termine par une importante Postface (nourrie de
citations de nombreux écrivains) où Jean Pérol s’explique sur sa conception de
la création poétique. « Que le poème, qui ne sera jamais un compte
rendu falsifié, étriqué, soit le nœud nerveux douloureux d’un instant, d’une
circonstance, parcourus par une pluralité de faits et de sens qu’aimante d’un
seul coup sur la page un sens plus fort que le poète privilégie pour des
raisons qu’il met à jour.
Oui, que le langage, avec l’aide du poète, serve à remonter du chaos vivant ce
sens majeur d’un instant, ce sens majeur étoilé dans le corps du poème, au lieu
de le dissoudre et de l’égarer (ce qui est après tout si facile) et il
sera plus que justifié, il sera
généreux. »
Contribution de Monique Petillon
Jean Pérol
Poésie I, 1953-1978
Editions de la Différence, 2009
Avant-dire de Claude Michel Cluny
Préface de Pierre Perrin
Présentation du livre dans la rubrique Poezibao a reçu