Quelques jours après la remise du rapport Balladur sur la réforme des collectivités locales, Jacqueline Gourault, sénatrice de Loir-et-Cher (Modem) et Vice-Présidente de l’Association des Maires de France (Présidente de la commission Intercommunalité), revient pour Délits d’Opinion sur les enjeux de ce texte mais également sur le rôle que vont jouer les acteurs locaux face à la crise.
Délits d’Opinion : D’après les enquêtes d’opinion réalisées depuis plusieurs années, les Français font preuve d’un attachement très fort à deux échelons identitaires différents : la commune et la France. La région ressort également des sondages comme un échelon politique autour duquel les Français se retrouvent fortement. Doit-on y voir de la part de nos concitoyens un attachement aux différents pouvoirs et contre-pouvoirs que représentent ces niveaux institutionnels ou est-ce l’expression d’une réalité culturelle ancrée ?
Jacqueline Gourault: « C’est surtout l’expression d’une réalité culturelle mais aussi institutionnelle. Le fait d’élire depuis 1962 le Président de la République française au suffrage universel a permis de renforcer, dans un pays de tradition jacobine, le rôle de l’Etat, sa mission et donc la nature du lien qui unit l’Etat en tant qu’institution et les concitoyens.
Pour ce qui est de la mairie et de l’attachement à la commune c’est la proximité qui l’explique. Ce lien entre les Français et leurs communes provient aussi d’un héritage historique. En effet, les communes sont le prolongement révolutionnaire des anciennes paroisses. La continuité de l’histoire de France est visible et réelle au travers des mairies, qui sont les lieux où « l’intérêt politique » naît pour beaucoup de Français.
Les scores de participation aux différentes élections témoignent bien de ce double attachement car c’est lors de l’élection du maire et du Président de la République que les Français se déplacent le plus massivement aux urnes. Pour les Français, ces deux instants démocratiques sont les moments où ils ont l’impression de peser le plus dans le jeu politique.
Délits d’Opinion : À l’inverse, l’attachement des Français aux départements est en net retrait. Les Français se sont-ils faits à l’idée d’un sacrifice de l’échelon départemental ou est-ce lié plutôt à des perceptions négatives des pouvoirs politiques qui lui sont attribués ?
Jacqueline Gourault: Je pense que les départements ont un peu vieilli au cours de leur existence. La réforme des collectivités est aujourd’hui nécessaire, mais la suppression de cet échelon institutionnel et politique n’est pourtant pas une obligation.
C’est sans doute le conseil général en tant qu’institution qui doit être modernisé et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que le mode de scrutin cantonal fait apparaître des bassins de population souvent déséquilibrés démographiquement et qui ne sont plus représentatifs de la réalité sociale, économique, culturelle et politique. De plus, le rapide succès de l’intercommunalité a contribué à brouiller l’image du canton. Enfin, la raison la plus forte selon moi tient au rôle même de ces institutions.
Les conseils généraux sont devenus des services déconcentrés de l’Etat et plus de 50% des dépenses des conseils généraux sont directement dictées par l’Etat lui-même. Ils sont devenus des exécutants malgré eux. Aujourd’hui, on peut dire que le conseil général est moins l’expression de la décentralisation que de la déconcentration de l’Etat.
Délits d’Opinion : La réforme des collectivités, qui pourrait à première vue sembler un sujet assez technique, interpelle beaucoup les Français. Comment les institutions de la République peuvent-elles travailler et faire les choix qui s’imposent face à une opinion mobilisée ?
Jacqueline Gourault: Tout d’abord il faut se rendre compte que de nombreux élus n’ont pas saisi l’attente des citoyens sur le sujet des collectivités ; un thème qui leur tient particulièrement à cœur comme le démontrent les enquêtes d’opinion. La modernisation qui doit être apportée doit permettre une simplification des attributions et des missions non seulement des collectivités mais aussi de l’Etat.
Les Français demeurent fortement attachés à leurs territoires. Ce ressenti est quelque chose qu’il ne faut pas sous-estimer, surtout dans une période troublée comme aujourd’hui. Les collectivités locales doivent à ce titre rester des remparts et des repères de ce que doit être la bonne gestion de l’économie mais également de la société. La mobilisation de l’opinion ne doit pas constituer un frein mais plutôt un soutien pour mieux réformer et accompagner les changements dans les territoires.
Délits d’Opinion : Nous sommes actuellement en période de crise et la réforme des collectivités ne fait pas partie des priorités politiques des Français selon les enquêtes d’opinion. Est-ce le bon moment pour mettre en oeuvre cette réforme alors que l’on parle crise, pouvoir d’achat et licenciements ?
Jacqueline Gourault: Je pense qu’au contraire il est crucial d’associer et de reconnaître le rôle que doivent jouer les collectivités locales dans le contexte de crise actuel. Les Français doivent prendre conscience du travail réalisé par les collectivités dans l’effort de relance prévu par le Président. Ainsi, elles assument près des trois quarts de l’investissement public en France et jouent à ce titre un rôle majeur.
Finalement, si la réforme de nos collectivités pouvait participer d’une manière générale à la restructuration d’un Etat qui a besoin de se moderniser alors, elle aura joué son rôle dans cette crise. De plus, la question du modèle économique pourrait venir des territoires et des collectivités locales qui, au niveau de la gestion, pourraient être un exemple à suivre et à méditer.
Ce qui est mal vécu par certains élus c’est l’impression d’êtres tenus responsables, au travers des discours du Président, de la dégradation de la situation économique actuelle. Pourtant, les collectivités ne représentent que 10% du déficit de la France et lorsque leurs responsables travaillent à la réduction de ce déficit, ils ont parfois l’impression qu’on leur demande de réparer les pots cassés par les autres.
Aujourd’hui, l’Etat, les territoires et les Français sont dans le même bateau et il est important de bien définir le rôle de chacun pour traverser sans trop de dégât cette crise.
Délits d’Opinion : Les élections européennes approchent. L’Europe est un enjeu important dans l’organisation des territoires. Comment prendre en compte les exigences européennes, jugées parfois lointaines, sur des questions qui concernent la proximité des citoyens avec leurs institutions ?
Jacqueline Gourault: La première chose qu’il est nécessaire de dire c’est qu’il faut arrêter d’accuser l’Europe de tous nos problèmes. Cette pratique s’est répétée depuis 50 ans par tous nos gouvernements et au final, cela a participé à créer ce mythe d’une Europe qui ralentit et handicape la France.
Sur de trop nombreux sujets, les réussites ont été attribuées aux gouvernements et les échecs à l’Europe.
Il est également important de faire comprendre aux citoyens le fonctionnement de l’Europe que cela soit au niveau des contributions, des aides, des fonds européens ou des lois plus globalement. Ce déficit d’intérêt pour la chose européenne est, à mon avis, une conséquence de la trop grande complexité du langage de l’Union Européenne. La pédagogie est indispensable pour que les Européens puissent mieux appréhender le fonctionnement de l’Union et sur ce sujet ce sont sans doute les élus locaux qui peuvent le plus. Leur proximité avec la population et leur connaissance des problématiques de financement et de régulation des politiques communautaires représentent un véritable atout.
L’Europe et la réforme des collectivités répondent aux mêmes problématiques et je fais partie de ceux qui réclament une gestion des fonds distribués par l’Europe non par les préfets de régions mais par les exécutifs régionaux, comme c’est le cas aujourd’hui en Alsace, pour offrir plus de visibilité à la population et renforcer la connaissance de ce que l’Europe fait chaque jour pour les citoyens. Face à cette crise, je demeure persuadée qu’il y a une réponse européenne à donner et à partager.
Enfin, il faut revenir aux fondamentaux de l’Europe tels qu’ils ont été pensés après la guerre : la paix, la défense commune européenne et le « vouloir vivre ensemble ». À ce sujet, la décision de réintégrer l’OTAN apparaît comme un élément paradoxal à quelques semaines des élections européennes…
Propos recueillis par Raphaël Leclerc et Mayeul l’Huillier.