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Le Grand Nouméa ne doit-il pas entrer en cure de désintoxication ?

Publié le 07 avril 2009 par Servefa

Tandis que Amy Winehouse chante avec gravité son titre polémique Rehab', j'ai eu la joie d'assister à une conférence, non moins grave, qui avait pour but de s'interroger sur la réhabilitation des autoroutes urbaines.

La conférence était organisée par la direction de la santé publique de la Province du Québec et avait pour invités principalement des ingénieurs américains, ainsi que l'ancien maire de Milwaukee.

En effet, les autoroutes urbaines génèrent non seulement des pollutions importantes et nuisibles aux citadins, mais constituent surtout le symbole de la ville automobile et de l'american way of life (et, en prolongement, même de la démocratie !). Ce mode de vie américain constitue un pilier de la sédentarité qui génère de biens terribles maladies, l'obésité en étant une des plus importantes.

Pourcentage d'obèses aux USA

Un nouveau pan des études en santé publique prend ainsi une dimension considérable: la santé environnementale. En effet, les études montrent que les personnes qui prennent les transports collectifs, à Montréal, marchent, en moyenne, 24 minutes par jour, quand l'OMS conseille 30 minutes d'exercice physique quotidien pour éviter les risques liés à la sédentarité.

Ainsi le thème de la journée a-t-il été de remettre les modes de déplacement actifs (piétons et cycles) au coeur de la construction des villes. Les conférenciers, excellent communicateurs, ont commencé par montrer les limites du système actuel, avec l'élargissement permanent des voies express qui loin de dynamiser les villes les ont vidé de leurs activités commerciales et de leur dynamisme. Ainsi, la ville de Detroit, qui a souhaité lutter contre la congestion avec d'ambitieux programmes d'autoroute urbaine a-t-elle rempli sa mission...il n'y a plus de congestion à Detroit mais la ville est passée de 2 000 000 habitants à son apogée à 800 000 habitants aujourd'hui, alors que l'agglomération dans son ensemble a continué à connaître une croissance démographique ! Le centre-ville de Detroit, symbole de luxe et de l'Amérique triomphante dans les années 30 se retrouve aujourd'hui parcouru de friches et de parkings, l'ancien théatre de la ville ayant même été aménagé en stationnements ! Cela m'a fait pensé à un article des Nouvelles-Calédoniennes sur les rues piétonnes où un commercant, étrangement contre les voies piétonnes, remarquait: «le nouveau plan de circulation a fluidifié, mais aussi vidé le centre».

Ainsi, les ingénieurs en circulation qui animaient la journée se sont-ils efforcées de nous inviter à changer notre façon de voir: les villes sont très difficiles à concevoir dès lors que la voiture est au centre de leur développement, alors qu'en reconcevant la ville autour du piéton tout devient beaucoup plus simple,un peu comme lorsqu'on cherchait à trouver les orbites en mettant la Terre au centre du système: les calculs étaient très complexes, alors que le placement du soleil au centre du système a permis de simplifier considérablement la compréhension des orbites.

Ainsi, les mots ont-ils une importance capitale, comme le mot capacité, largement utilisé en ingénierie de la circulation pour déterminer le nombre de voitures qui passent sur une route en une heure, auquel il conviendrait d'élargir le sens, aux piétons et aux activités offertes par le foncier disponible.

De même, les experts américains nous ont-ils conviés à abandonner les habitudes consistant à vouloir ségréger les types de trafic en privilégiant un trafic apaisé dilué dans une maille viaire développée. Ainsi, une attention particulière doit-elle être portée sur le squelette des villes.

Une trame viaire classique, dense et bien maillée, favorise les déplacements plus courts et efficace (dans un milieu multifonctionnel), tandis qu'un développement en lotissements peu maillés et non interconnectés, avec une gestion des circulations basées sur la ségrégation des types de trafic, multiplie les déplacements et favorise les embouteillages.

Les vieux adages de séparer trafics de transit et trafics locaux, qui faisaient le culte de la vitesse, doivent donc être abandonnés. Ces ingénieurs proposent donc, tout comme l'urbaniste français Marc Wiel, de se désintoxiquer de la vitesse pour rendre aux villes une dimension plus compacte et moins anarchiques Le retour vers les formes urbaines issues de l'époque de la généralisation des tramways (c'est à dire avant la généralisation de l'automobile dans les années 50) est-il ainsi proposé. C'est là tout le sens de la coordination entre urbanisme et transport.

Plutôt que de développer des lotissements n'importe où, il est donc essentiel de maîtriser l'urbanisation afin de la coupler avec un système de transport collectif efficace, pour ne pas sombrer dans un modèle de ville qui génère toujours plus de déplacements (polluants) et qui tôt ou tard conduira à la congestion (au regard du relief, à Nouméa plus que partout ailleurs).

Il apparaît donc essentiel de repenser la ville et de cesser les développements des infrastructures routières urbaines de type express et leurs flots de béton.

Et de travailler sur le maillage pour plus de capacité, de résilience et au final une mobilité accrue.

Mais au-delà de la cessation de la construction d'infrastructures routières, quelques villes nord-américaines se sont lancées dans la réhabilitation de leurs autoroutes en boulevard urbain, sans que cela n'ait créé de lever de bouclier ou de congestion-thrombose, quand bien même un niveau de congestion a demeuré (mais, comme le dit l'ancien maire de Milwaukee, la congestion c'est comme le cholesterol, il y a le bon et le mauvais). Mieux, une ville comme Vancouver a refusé toute construction de voie express urbaine : elle fait aujourd'hui référence en Amérique du Nord pour le cadre de vie qu'elle offre, de nos jours condition indispensable pour attirer la classe productive économique. Nos amis ingénieurs travaillent ainsi sur de nombreux projets de réhabilitation, transformant des no-man's land en lieux de vie offrant emplois et activités, que je me prends parfois à rêver sur la VDO où à l'échangeur de Montravel (par exemple).

Ainsi, le Grand Nouméa a-t-il le choix de chanter comme Amy Winehouse "They tried to make me go to rehab, I said, no no no"  ou bien de prendre son développement en main et de repenser intégralement son urbanisation. Car sinon, voilà comment finira la ville:

François

PS: Pour approfondir, deux liens, un vers le bureau d'ingnierie-urbanisme-planification Glatting Jackson, dont les intervenants les plus intéressants provenaient: http://www.glatting.com/presentations.html , l'autre vers un guide tout à fait intéressant qui s'intitule "Planning and Designing Highways and Streets that Support Sustainable and Livable Communities" mais qui pourrait être encore plus audacieux (je m'adresse particulièrement ici à mes anciens collègues...) http://www.smart-transportation.com/guidebook.html


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