Magazine Journal intime

« La belle histoire »

Par Markhy

J’ai tout vu en direct. En allant à Leader Price, pendant la pause. Tout vu. Le dernier texto pour bien confirmer le rendez-vous, le sourire impatient, les copines qui rigolent et qui s’arrêtent en haut de la rue, pour espionner. Je compte ma monnaie. 1€95 les Brownies en sachet individuelle. C’est les meilleurs chez Leader Price. Il y a beaucoup d’huile, de beurre. C’est comme ceux que font les mamans. Une vieille en chaise roulante se fait refouler du magasin. Elle n’a pas pu passer le portillon alors le molosse a essayé de trouver une solution, sans que je ne comprenne pourquoi, elle s’est énervée, et elle a dit qu’elle allait à Franprix, en face. Le gars a dit : « Bah ok, casse toi ! » gentiment. À Franprix il n’y a que des marches, j’ai pensé. J’écoute un vieux mix de Morillo. J’ai tout vu en direct. Il était là le premier mais il s’est caché. Justement dans l’allée du Leader Price. Il jetait des coups d’œil, il cherchait à arriver le dernier. Il a quitté le magasin en même temps que moi.

Un pas décidé. Son jogging Lotto traine par terre, c’est ok. Elle, elle arrive au milieu de la rue, à sa rencontre, elle ne dit rien, elle tend la joue. Il attrape son visage pour le replacer face à lui. Elle ne comprend pas. Elle tend les lèvres. Ils s’arrêtent un instant, à cause du bruit. Une vieille en chaise roulante, au pied des marches du Franprix, elle gueule pour qu’on l’aide. Je m’arrête, apprécie la mauvaise foi, le discours sur les jeunes. « Et bah j’irais à Leader Price » elle a conclu. Je crois qu’elle fait ça toute l’après-midi. La petite attrape les mains du gars. Il les repousse. « C’est fini », il balance sèchement. Je continue mon chemin. Ses potes l’appellent : « Un foot ? ». Ok. Elle court vers ses copines, elle me dépasse. En larmes. Les plus belles larmes qu’on puisse faire quand on a douze ans. Elle s’assoit sur les marches au pied de l’immeuble, le visage plein de sanglot : Ensangloté. Je ne peux pas m’empêcher, je la fixe, elle me voit, se cache sous ses mains. Ses copines me jugent aussi. À cet instant je crois qu’elles détestent tous les hommes de la terre : Ils veulent juste faire un foot.

Je voulais m’asseoir à côté d’elle, lui dire qu’elle en profite. Que les chagrins d’amour c’est mieux à douze ans. Plus tard, c’est juste de la négoc : Ado, de la négoc pour éviter les soirées où sont les exs. Adulte, de la négoc pour éviter les meilleures amies, la famille, les gosses si il y en a, le frigo qui ne se range plus tout seul, et la déco sous le miroir de la salle de bain : Toujours pas fini de la recoller. Les chagrins d’amour c’est mieux à douze ans, surtout pendant le printemps. La peau prend quelques boutons, et on se sent impuissant : Cet arbre est attirant. Cet écureuil aussi. Ce garçon là bas : Pourquoi pas. On supprime les trois textos qu’il a envoyé pendant qu’on était encore en couple. On s’endort. Et Hier a l’air tellement loin. Profites en petite sœur, profites de tes chagrins d’amour d’enfant. Ils sont plus attachants.


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