FRANCE
PREMIER ROMAN
Editions Sabine Wespieser, 2008
Ce titre énigmatique (qui désigne un établissement de bains turcs à Budapest) est le premier roman du directeur de la prestigieuse collection Gallimard "Du monde entier". Et pour un premier opus, c'est une vrai réussite, une plongée au coeur de l'intime dans l'âme d'un homme à la recherche de ses origines.
Récit à la première personne, dévoilement d'un secret, récit des origines, confession d'un homme coupable ; pas d'autofiction au sens péjoratif du terme mais au contraire un récit subtil, tout en nuances, d'un être qui souffre.
Gabriel est un traducteur de langue allemande renommé. Il est tombé amoureux du rire de Laura qui l'a subjugué. Mais au moment où elle lui annonce qu'elle attend un enfant, il prend la fuite. Il prend alors la plume pour tenter de dire ce qu'il n'a jamais réussi à dire, lui, le spécialiste, le mécano des mots.
La mort accidentelle de sa soeur alors qu'il avait dix ans, ses grands parents qu'il n'a pas connus et dont on ne parle jamais et cette sentence biblique implacable prononcée par son père : "Dieu a donné, Dieu a repris"
Une sentence qui ne lui permet pas d'aimer et qui lui fait faire des cauchemars où il voit tous ses proches disparaître....
La traduction du Faustus de Thomas Mann sera pour lui l'occasion de découvrir ses origines juives refoulées et peut-être d'obtenir le grand pardon....
Point de misérabilisme ni de traité sur les coutumes juives mais au contraire le questionnement universel d'un homme malade des mots, qui se réfugie derrière la mécanique bien huilée de la syntaxe et de la traduction, pour justement ne pas dire l'essentiel, les mots de l'amour et de l'amitié.
Ce récit est à la fois un poignant récit des origines, fondé sur le thème du secret et du refoulement, mais aussi une fabuleuse réflexion sur les pouvoirs et les limites du langage : pourquoi n'arrive-t-on pas à parler, emploie-t-on la langue des autres ou sa propre langue ? Les mots des dictionnaires parviennent-ils à nous faire exprimer nos sentiments ?
Entre confession et pudeur, Jean Mattern nous entraîne également pour un fabuleux voyage en Europe de l'Est, au pays de Thomas Mann, des cimetières juifs et des bains turcs...
A découvrir.
"J'ai préféré me consacrer à la musique des mots, et voyager d'une langue à l'autre, avec la fierté du passager clandestin qui ne se fait pas prendre. Passer inaperçu, imiter la moindre intonation d'un nouvel idiome, et restituer l'équivalent exact dans une autre langue, voilà ce dont j'étais fier. Mais c'est une jouissance solitaire, celle des dictionnaires, et Janos n'est peut-être pas si insensé quand il compare les masturbateurs compulsifs aux traducteurs obsessionnels.
Je l'avoue, souvent, au plus fort du plaisir, je voyais nos corps-à-corps comme un prolongement de mon intimité avec les mots. il me suffisait d'entendre ceux de Laura, chuchotés, susurrés, pour que j'aie envie de les traduire par les miens, en dedans, et lui répondre. Des soupirs sur une ligne de chant, un peu comme le portamento italien, et un dialogue de peu de mots. Quelques voyelles étirées, des oui et des encore murmurés, rythmant l'entente de deux corps entrelacés-mais une conversation si intime, si mystérieuse, que tous les dictionnaires du monde resteront à jamais muets devant la beauté de notre musique.
Son corps me manque, nos corps me manquent. Le mien dans le sien. C'est là, précisément, le point de rupture : nos corps enchevêtrés qui ont engendré. Nous avons commencé une page d'écriture pour laquelle toute grammaire me fait défaut. Cet enfant, je ne sais pas comment lui parler, et quelle syntaxe lui enseigner. Dans quel dictionnaire trouver les mots? C'est pour cela que je suis parti. Ce nouveau chapitre devait s'écrire sans moi.