Magazine Politique

Jean-Phi à New York

Publié le 07 avril 2009 par Jean-Philippe Immarigeon

Il n'y a que deux Obamasceptiques qui tiennent la route : votre serviteur (en toute modestie), et mon ami John R. MacArthur, patron de Harper's Magazine, que vous avez pu voir sur les télés françaises au moment de l'élection de novembre dernier, ou entendu à la radio.

Outre une tribune que la revue Défense nationale a publiée dans son numéro spécial (anti?)-OTAN sur mes recommandations, voici sa dernière chronique en date parue hier dans Le Devoir de Montréal. Attention : Obamaniaques s'abstenir, surtout ceux qui supportent encore moins que leurs rêves soient interrompus non pas par un débile de Français comme moi, mais par ce qu'ils admirent le plus dans leur Amérique sublimée : un intellectuel new-yorkais de gauche, francophile et francophone. Mon Dieu, protégez-moi de mes amis...!

OBAMA & BALZAC

John R. MacArthur

Maintenant que les vents politiques se mettent à souffler contre le président Obama – jusqu'à présent objet d'adoration des classes « médiatico-politiques » –, allons chercher une explication dans la littérature plutôt que chez les journalistes et les sondeurs. Pour ce faire, il n'y a pas mieux que l'oeuvre du jeune Honoré de Balzac, expert en psychologie du pouvoir politique et de l'argent, et lui-même victime d'un surendettement personnel qui le menait souvent à la crise financière.

J'avoue que la cote de popularité du nouveau locataire de la Maison-Blanche reste élevée en dépit d'une récession croissante. Maints commentateurs ont remarqué que ses fréquentes interventions à la télévision et sur Internet – malgré quelques gaffes – ont certainement contribué à une image de chef d'État énergique, compétent et branché. En revanche, les belles paroles ne suffisent pas toujours, et les derniers sondages Gallup montrent de légères baisses du taux de satisfaction (de 68 % au début du mandat à 60 % la semaine dernière) et de plus fortes hausses du taux d'insatisfaction (de 12 % à 31 %).

On pourrait conclure que le président a buté sur la question des primes scandaleuses payées aux cadres de AIG – en était-il conscient ou s'oppose-t-il vraiment au système de récompense de Wall Street ? La colère qui a conduit au projet de loi imposant une taxe de 90 % sur ces paiements mal vus s'étant assourdie, on évoque aujourd'hui une loi plus timide qui permettrait aux entreprises recevant des subventions publiques de payer des primes, sauf si le gouvernement les trouve « déraisonnables ou excessives ».

Cependant, certains Américains sont peut-être aussi troublés par les changements subtils dans le comportement de Barack Obama. J'ai récemment remarqué un Obama franchement plus arrogant dans ses interventions publiques, un homme qui prétend pouvoir tout expliquer sans vraiment rien expliquer. Nous le voyons arriver à ses conférences de presse empruntant, comme George W. Bush, le même long tapis rouge royal. Il parle nettement trop longtemps, jouant tantôt au professeur s'adressant à des étudiants, tantôt au père parlant à de jeunes enfants avec une patience exagérée. Ayant critiqué la cupidité de Wall Street, il fait vite marche arrière : « Nous n'avons pas les moyens de voir un démon en chaque investisseur ou entrepreneur qui essaie de faire un profit. C'est cette ambition qui a toujours alimenté notre prospérité, et c'est cela qui va finalement pousser les banques à prêter et à faire de nouveau bouger notre économie. »

Par contre, voici Balzac. Dans La Peau de chagrin, publié en 1831, il met en scène Rastignac, partisan du « système anglais » des finances, une théorie corrompue très semblable au système du libre marché actuel en Amérique. Le protagoniste du roman, Raphaël, raconte comment son ami Rastignac « voulait absolument m'établir un crédit et me faire faire des emprunts, en prétendant que les emprunts soutiendraient le crédit. Selon lui, l'avenir était de tous les capitaux du monde le plus considérable et le plus solide ». Bernard Madoff, bouc émissaire du système financier américain, n'aurait pas dit autrement aux clients qu'il invitait à participer à sa combine Ponzi. En effet, Rastignac propose que Raphaël fasse confiance à ce genre d'escroc : « En hypothéquant ainsi mes dettes sur de futurs contingents, il donna ma pratique à son tailleur, un artiste qui comprenait le jeune homme et devait me laisser tranquille jusqu'à mon mariage. »

Mais la naïveté d'Obama sur les bienfaits du capitalisme à l'américaine cache quelque chose de plus sinistre. Dans sa grotesque escalade en Afghanistan et avec son plan de relance qui accentue l'aide aux créanciers plutôt qu'aux débiteurs, ce prétendu bon père de famille dévoile un côté malsain qui pourrait mener à la débauche et au désastre.

Balzac précise bien que la « débauche » se présente sous des formes différentes du vice classique : « La Guerre, le Pouvoir, les Arts sont des corruptions mises aussi loin de la portée humaine, aussi profondes que l'est la Débauche, et toutes sont de difficile accès, » déclare Raphaël. « Les généraux, les ministres, les artistes sont tous plus ou moins portés vers la dissolution par le besoin d'opposer de violentes distractions à leur existence si fort en dehors de la vie commune. Après tout, la guerre est la débauche du sang, comme la politique est celle des intérêts. Tous les excès sont frères ».

Devenu chef de guerre contre l'islam radical, Obama a perdu le sourire bienveillant qui a marqué sa campagne électorale. Ne faisant aucune distinction entre al-Qaïda et les talibans, entre mouvement religio-nationaliste et terrorisme fanatique, il prône une politique wilsonienne basée sur une prétention de supériorité morale, semblable à celles de Lyndon Johnson au Vietnam et de George W. Bush en Irak.

Là, Obama le littérateur devrait s'arrêter et se mettre à genoux devant Balzac le maître. Si vraiment il a l'intention de faire la guerre en Afghanistan, il lui faudrait d'abord songer à cette question : « En guerre, l'homme ne devient-il pas un ange exterminateur, une espèce de bourreau, mais gigantesque ? » Un beau jour, il sera trop tard pour revenir en arrière et démentir le carnage des innocents, soit des civils afghans, soit des vétérans américains comme Joseph Dwyer. Enivré par son héroïsme en Irak (célébré par les médias), mais en même temps traumatisé par son service dans le corps médical de l'armée, Dwyer est mort d'une overdose de drogue après son retour à Long Island l'été dernier.

Pour Obama et Dwyer, la leçon balzacienne est similaire : « Moqueuse ou jalouse, une puissance leur vicie l'âme ou le corps pour neutraliser les efforts de leurs talents... À travers ce délire perpétuel, le jeu vous verse, à votre gré, son plomb dans les veines. Un jour, vous appartenez au monstre, vous avez alors, comme je l'eus, un réveil enragé : l'impuissance est assise à votre chevet. »

John R. MacArthur © Le Devoir de Montréal, édition du 6 avril 2009


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