André Dorais
On invoque une autorité à l’appui de sa thèse pour y donner du poids, mais lorsqu’on met l’accent sur la première plutôt que la seconde, c’est souvent le signal de remettre en question et la thèse et l’autorité. Cela vaut pour toutes les sciences, mais particulièrement pour celles qui revendiquent l’action politique pour atteindre leurs buts. Invoquer la force de la loi pour arriver à ses fins, c’est favoriser la contrainte plutôt que la science, passer de l’autorité intellectuelle à l’autorité tout court. C’est chercher un monde à son image, soit de la dictature en puissance.
La science économique ne devrait pas faire partie des sciences qui font appel à l’État pour accroître la coopération humaine, car elle revendique en ce domaine des mécanismes autorégulateurs. Ceux-ci étant applicables à tous les échanges économiques, on doit conclure que seule une incompréhension de cette science puisse revendiquer l’aide de l’État. Cela n’est pas peu dire lorsqu’on constate que la vaste majorité des économistes revendiquent l’intervention de l’État pour sortir de la crise.
Une science pervertie
La science économique est pervertie par ses figures d’autorité. Quelques exemples suffisent à le démontrer. Joseph Stiglitz, lauréat Nobel d’économie en 2001, écrivait, le 10 mars dernier, qu’une augmentation de l'épargne est bonne pour la santé à long terme des finances des ménages, mais désastreuse pour la croissance économique. Or, comment ce qui est bon pour les individus puisse être mauvais pour l’économie? Après tout, celle-ci n’a pas de vie en soi; elle n’est rien sans les individus qui la composent. Le fondement de cette croyance, partagée par la majorité des économistes, se trouve dans l’idée qu’une économie en santé en est une qui dépense toujours plus. Dans cette optique, lorsque les consommateurs et les producteurs ne dépensent plus, les gouvernements doivent prendre la relève. Stiglitz écrit :
«C'est un soulagement de constater que les États-Unis ont enfin un président capable d'agir, et ce qu'il a commencé va faire une grande différence […] Malheureusement, cela ne suffira pas […] Les gouvernements répugnent à admettre le coût total du problème. Par conséquent, ils donnent au système bancaire juste assez pour survivre, mais pas assez pour recouvrer une bonne santé […] Il faudra davantage d'argent, mais les Américains ne sont pas d'humeur à le donner et sûrement pas dans les conditions qui ont prévalu jusqu'à maintenant.»
Dans le même texte, il dénonce le manque de «générosité» du programme américain d’assurance emploi. Dans un autre texte, il invite les gouvernements à dépenser davantage pour les pays en voie de développement. Bref, pour Stiglitz, morale et croissance économique s’établissent par l’entremise de l’État. Il aimerait un monde à son image et pour y arriver, il encourage les gouvernements à suivre ses suggestions. Les gouvernements ne demandent pas mieux. Considérant ses positions et sa réputation, il n’est guère surprenant que l’Organisation des Nations unies l’ait mandaté pour produire des recommandations de «sortie de crise» lors de la dernière rencontre du G20.
Paul Krugman, lauréat Nobel d’économie en 2008, conçoit la science économique à la manière de Stiglitz. Il considère l’épargne au niveau individuel comme étant acceptable, mais pas au niveau collectif, d’où le paradoxe. À ce niveau, l’épargne est un problème et la consommation, la solution à ce problème. Puisque les consommateurs ont tendance à se serrer la ceinture en temps de crise, il revient au gouvernement, selon Krugman, de dépenser à leur place. Dans sa chronique hebdomadaire au New York Times, il écrivait, le premier mars dernier (traduction libre) :
«Une façon d’envisager la présente situation internationale est qu’on souffre du paradoxe de l’épargne : partout l’épargne désirée [et accumulée] excède les montants que les entreprises sont prêtes à investir. Le résultat est une crise mondiale qui affecte tout le monde.»
À l’instar de la majorité des économistes et de la quasi-totalité des médias qui rapportent leurs propos, Krugman considère l’épargne comme quelque chose qui échappe au «bien commun économique». Leur façon de voir est la suivante : Lorsque les consommateurs épargnent, ils ne consomment pas. Les biens s’accumulent dans les entrepôts et les entreprises doivent effectuer des mises à pied. Cela crée de l’incertitude qui incite les gens à épargner davantage. Pour Krugman et Cie., il s’agit d’un cercle vicieux, d’où le besoin de l’État. Tant et aussi longtemps que les gens ne se remettent pas à consommer, alors l’économie, comme entité indépendante des individus, s’enfonce davantage. Ces économistes demandent donc à l’État de se substituer à la fois aux consommateurs et aux producteurs pour sauver l’économie telle qui l’entendent.
Lorsque les coupables sont vus comme des sauveurs…
Lorsqu’on demande aux politiciens de jouer les sauveurs, règle générale les candidats ne manquent pas. À une récente entrevue accordée à la télévision de Radio-Canada, le premier ministre, Stephen Harper, disait qu’il est nécessaire pour un gouvernement, en temps de crise économique, de se substituer à la fois aux consommateurs et aux entreprises parce que ceux-ci dépensent et investissent moins. Pour relancer l’économie, dit-il, un gouvernement doit emprunter de l’argent et l’«engager», soit dépenser et investir (écoutez notamment la 6e minute). Il est à noter que les partis d’opposition non seulement pensent la même chose, mais jugent que le premier ministre n’en fait pas assez.
Lorsque l’animatrice lui souligne que c’est surprenant pour un «conservateur» de s’adonner à pareille dépense (intervention), il répond qu’il est également économiste, le premier ministre possède une maîtrise en économie de l’université de Calgary, et qu’il s’agit d’une exception à la règle, car il faudra tôt ou tard revenir aux surplus budgétaire. Lorsque tous les gouvernements du monde, voire tous les partis politiques, et la vaste majorité des économistes et autres experts revendiquent une même direction pour sortir de la crise, il faut être convaincu ou fou pour proposer la direction inverse. Lorsqu’on n’a pas de conviction, on tend à suivre le troupeau et lorsque celui qui le mène dépense comme jamais, les autres tendent à l’imiter.
L’idée qu’il suffise aux gouvernements de dépenser de l’argent pour relancer l’économie est non seulement fausse, mais liberticide. Les gouvernements se financent par l’emprunt, la taxation, l’imposition et l’inflation. La façon la plus illégitime de se financer est par l’entremise de l’inflation, soit en augmentant la masse monétaire. Dans le monde d’aujourd’hui, l’inflation a pour source l’État et les banques. Celles-ci, toutefois, utilisent l’inflation uniquement parce ce qu’elles y sont encouragées par les gouvernements. L’inflation permet aux gouvernements d’honorer leurs contrats, soit de rembourser leurs dettes, mais en réduisant le pouvoir d’achat de tous. Ainsi, malgré que l’emprunt soit une façon légitime pour un individu de se financer, ce l’est moins pour les gouvernements puisqu’ils remboursent toujours leurs dettes par l’entremise de monnaie créée ex nihilo.
Non seulement l’inflation ne relancera pas l’économie, mais elle va la ralentir. Elle risque même de la détruire. Une plus grande quantité d’argent créée ex nihilo et tirée des poches des contribuables non seulement n’ajoute pas de richesse, mais la réduit. Celle-ci passe des mains des prêteurs aux mains des gouvernements qui la diluent et la dépensent selon leurs priorités. Ces derniers justifient leurs gestes sous le prétexte de parler au nom de la collectivité. La réalité est que les choix des individus sont réduits au profit des gouvernements et de ceux qu’ils veulent bien privilégier.
Les gouvernements prétendent parler au nom de tous pour s’attirer le vote majoritaire, qui constitue rarement plus de 30 % de la population éligible à voter. Par exemple, aux dernières élections québécoises, 57% des gens éligibles à voter ont exercé leur droit de vote et 38% d’entre eux ont donné leur appui au parti Libéral. Cela signifie que le gouvernement parle au nom de 22% (57% x 38%) de la population. Et encore, cela est vrai uniquement au moment des élections, car par la suite ce pourcentage varie selon les actions qu’il prend ou ne prend pas. La démocratie offre-t-elle vraiment la plus grande justice qu’on puisse espérer?
Lorsqu’on considère que les politiciens sont en mesure de ruiner des millions de gens tout en s’assurant pour eux-mêmes des retraites dorées, on ne doit pas se gêner de remettre en question ce régime, voire tous les régimes politiques. Lorsqu’on constate que la majorité des économistes tentent d’influencer les politiciens dans cette voie, on ne doit pas se gêner de remettre en question leur connaissance. Et lorsqu’on retrouve, parmi les lauréats Nobel d’économie, des gens qui préconisent une réduction des libertés individuelles au profit des gouvernements dans le but de sauver l’«économie», on ne doit pas se gêner de remettre en question la valeur de ce prix et l'institution qui le décerne.