Le français moyen est-il un animal en voie d'extinction ?

Par Theclelescinqt


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Hier soir, vers 21 h30, mon père m'a téléphoné. Mon mari a décroché, avant de me tendre le combiné.

Pffff...Je suis crevée moi à cette heure-là, et n'ai pas forcément envie de ferrayer avec un faux prolo qui n'aime pas les femmes. Car Houellebecq, à côté, c'est un amoureux du genre humain.

Pourquoi avait-il envie de parler à sa morue fumelle bourge fille, d'abord ? N'y-a-t-il pas une heure limite que les faux prolos ne peuvent dépasser pour appeler leur prochaine ?

J'ai bien tenté de négocier à mi-voix avec mon cher époux : mais parle-lui, toi. Il préfère discuter avec la gent masculine, de toute évidence. Mais il a mis deux filles au monde, c'est comme ça.

Bien fait.

Et donc une à deux fois par an j'ai le plaisir d'avoir mon père en ligne et en veine de contacts familiaux. Va venir nous voir ce week-end, à la campagne. Prêt à pousser jusqu'à Verte-Ville (à 450 km!) si besoin est, en semaine.

Pas retraité pour rien, ce poitevin barré de la Camif à temps, avec tous les avantages.

Pour une fois je ne me suis fait ni rembarrer, ni limite insulter par mon géniteur. Qui souvent s'étonne qu'on soit assez cons pour ne pas nous être acheté de résidence principale alors que les prix sont ici prohibitifs, même pour des cadres sup, et qu'il vaut mieux de toute manière voyager léger en cas de licenciement, chose qui devient de plus en plus fréquente de nos jours. Qui s'étonne que depuis dix ans nous n'ayons même pas été foutus de fournir une chambre à chacun de nos gosses, alors que nous en sommes déjà à 1527 euros mensuels pour un trois pièces (aux murs non plaqués or.)

Car c'est officiel, notre appart de 67 m2 vient de voir son loyer dépasser allègrement le montant de ma dernière paie. Et hop! Avec l'indexation des loyers annuelle, c'est le plus légalement du monde que les bailleurs peuvent escroquer les locataires, souvent des français moyens dans toute leur splendeur, sinon ils acheteraient, ces cons, et qui règlent déjà des loyers exhorbitants. 37 euros de plus par mois dans la figure, ça fait quand même 444 euros de plus par an, si ma calculette et ma tête n'est pas défectueuse : presque le montant de notre assurance invalidité-décès auquel j'ai souscrite, quand même, il y a quelques années, en hésitant beaucoup, en me disant que crever en couple dans un accident de voiture (et en laissant cinq orphelins sur le carreau) ça arrivait à des gens très bien. La preuve, j'en connais. Alors, avec la nette impression de nous offrir quelque chose d'un peu luxueux, je me suis permis de signer pour balancer plus de 500 euros par an à la poubelle, et ainsi garantir l'entretien de nos gosses (et le mien si jamais je deviens veuve; au train où vont les choses une crise cardiaque est vite arrivée, et j'aurais vraiment l'air stupide, avec mon superbe boulot d'assistante pour nourrir quatre gosses et moi-même au régime.) Rassurez-vous, si c'est moi qui ai la crise cardiaque, mon mari va pouvoir se payer lui-aussi les services d'une employée de maison quatre étoiles, comme sa femme.

Et notre propriétaire, soutenu par la législation et des fainéants patentés l'agence, hop!, en deux coups de cueillère à pot, sans même crier gare et le plus honnêtement du monde, pourra dorénavant se payer par nos soins sa propre assurance de ce qu'il veut, en plus, comme ça, l'air de rien, alors qu'il reçoit déjà de notre part le montant d'un loyer déjà énorme qui lui assure un revenu conséquent sans rien faire, appuyé par la législation, sans aucune contrepartie, sans même changer les portes de placard que je réclame depuis un an. Envoyez la monnaie!

Voleurs! Escrocs!

Mon père était également en veine de discutailles socio-politiques. Il me parle souvent de la Camif, où il a bossé durant toute sa vie professionnelle, si on peut appeler ça comme ça, à l'instar de tout jeune lambda des années 70 où il y avait du boulot pour tout le monde, paraît-il, même si ça nous semble inimaginable.

C'est quasiment 1000 personnes qui se sont fait débarquer récemment; on en a parlé dans les médias. Mon père en est choqué. Bien que les pertes de la Camif soient connues depuis plus de dix ans, ils ne pensaient pas, à Niort, que le monde moderne puisse les rattraper. Eh bien si. Ce n'est déjà pas facile de vivre à Niort quand on est jeune, je peux vous le dire, alors si c'est pour y bosser à la Camif ou dans une mutuelle! Horreur et damnation!

Moi qui suis native de Niort, la première chose que j'ai faite le jour de mes 18 ans a été d'enfourcher mon vélo pour me rendre à la mairie de mon bled, dans les environs de cette ville, pour faire une demande de passeport. La seule chose qui me semblait claire, c'est qu'à 18 ans il ne fallait pas rester pourrir là-bas. Faire du stop pour pouvoir me rendre à la médiathèque à 15 km, en centre-ville, mon seul amusement, commençait à me courir sévère sur le haricot!

Mon père m'a cependant appris hier une chose intéressante (à vérifier parce qu'il dit quand même pas mal de conneries), c'est que parmi les 900 ou 1000 licenciés de la Camif, sept se seraient depuis suicidés.

"Et y te l'disent pas dans les rubriques nécro pass'qu'y a pas l'motif d'la mort. Mais nous on l'sait. J'lai appris cette semaine sur'l'marché."

Un prochainement retraité pourtant, débarqué alors qu'il avait "30 ans de boîte" se serait "foutu un coup d'fusil." Un jeune couple surtout, la trentaine, aurait mis ses gamins chez la nounou pour se supprimer tranquillement, à deux, via barbituriques. Tous les deux virés, une maison dans le coin à payer, invendable vu la crise : il n'était pas forcément possible d'aller voir ailleurs. Le compte était bon.

J'expliquai à mon père que notre stratégie jusqu'à présent avait toujours été calquée sur "la crise", car on n'a jamais pu faire comme si elle n'existait pas, même il y a dix ans. Parce que c'est pas nouveau, même si l'escroquerie en 2002 lors du passage à l'euro à été de la taille d'une grande échelle. Figurez-vous, bande de petits joueurs qui ne vous rappelez de rien, que quand j'étais gamine il y a trois siècles la baguette de boulangerie dans mon bled des Deux-Sèvres valait 50 centimes de francs! Soit pas même 1 cent d'euro! Comment aller acheter une maison près d'une entreprise en province, alors que si jamais celle-ci ferme il n'y a pas grand chose à côté? Et comment aller se suicider pour ça? Y'a qu'à aller ailleurs, abandonner Niort! (quel crève-coeur!)

"Ouais bè eux y l'ont pas entendu de cette oreille..."

Les Trente Glorieuses, amis niortais et d'ailleurs, c'est bien fini. Comme dit mon mari, "On ne pourra jamais s'enrichir." Longtemps j'ai pensé que l'exemple de notre famille n'était pas caractéristique, et que mon mari exagérait. En effet, nous sommes loin d'être à plaindre. Sauf qu'il y a seulement 20 ans, les gens qui bénéficiaient de notre niveau de responsabilités dans le monde professionnel (surtout le niveau d'un) roulaient carosse, et qu'en 2009, c'est le hard discount, jamais de vacances au ski ou à la mer, et de manière générale pas d'extra. Autour de moi, en région parisienne certes, les parents d'un enfant s'interrogent pour savoir si faire un deuxième enfant est bien raisonnable, même avec un mari, mettons, ingénieur. Avec mes quatre mômes et mon beau-fils, je fais figure d'originale. Les seuls bien logés que je connais sont ceux qui ont échappé au divorce et qui ont pu acheter avant 1998, époque où les prix de l'immobilier ont entamé leur cycle de doublement en dix ans, ou ceux qui ont pu se faire pistonner pour avoir un logement social. Restent les chanceux d'une part, ou bien les mal logés, genre 50 m2 pour 1000 euros alors que le mari est comptable et l'épouse graphiste, avec un enfant.

Notre société présente actuellement le visage inédit d'un monde tronqué entre d'un côté les français moyens en voie d'extinction, parce qu'il semble que nous allons vers la pauvreté généralisée, j'espère que je me trompe, et de l'autre le monde des peoples, qui émargent à plus de 10 000 euros par mois au minimum, et encore à Paris ça file vite. Stars de la télé, grands journalistes, grands patrons, starlettes de merdes télévisuelles, comédiens, chanteurs, comiques, acteurs, ce sont les turlupins, les fous du roi, les bouffons des temps jadis qui tiennent le haut du pavé et qui n'ont jamais à tomber la veste pour réparer leurs canalisations, ou seulement si ça leur plaît. Les profs qui s'éreintent à tenter d'instruire des populations entières de prédélinquants mal éduqués par des parents happés par leur vie professionnelle, les infirmiers aux horaires de fous qui gagnent trois euros six sous, les employés de maison aux mains abîmés, les employés de bureau qui ne peuvent louer que des chambres de bonne, les cadres moyens qui ne partent plus en vacances, eux, ont droit au comptage et recomptage de leurs petites paies pour tenter de finir le mois, tandis que les autres font ce qui leur chante, y compris s'injecter du botox pour tenter de rester jeunes et bankabeules.

Et la cerise sur le gâteau est que le premier groupe, pour se distraire de ses déboires quotidiens et tenter d'oublier sa fatigue, pratique l'enrichissement du deuxième, qui ne nous offre d'ailleurs pas à cet effet des oeuvres artistiques de premier choix, ça me fait de la peine pour eux de le dire. C'est pourquoi, personnellement, j'évite le plus possible ces rebus de la société que sont la télévision, le cinéma -surtout américain- et même le monde du disque. Il faut vraiment que j'aie l'impression d'avoir affaire à un véritable artiste pour lâcher mon fric.

Et, en attendant, c'est moi qui reçois les trente glorieusains pas plus tard que ce week-end, qui profitent de leurs héritages tranquillement et vraiment sans s'être crevé le cul plus que la moyenne, tandis que les générations de moins de 45 ans pataugent dans la semoule depuis déjà fort longtemps. Remarquez, mon père compte m'apporter "un plat de poisson" pour le déjeuner. Ca tombe bien, je n'en achète plus depuis des lustres, c'est trop cher; je laisse dire à mes gosses que le poisson c'est marron et carré. Et s'il pouvait m'apporter la moitié du quart du tiers de ce que son propre père a fait pour lui, pendant et après son éclatante vie de labeur après-guerre pour toute la famille soi-disant, eh bien ça ne serait pas de refus.

Thècle Lescinqt, tu veux donc que tout t'arrive tout cuit dans le bec?

Eh bien oui, absolument. 

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