Il y a 15 ans, le Rwanda…Tristesse immense, incommensurable, comme une profonde déchirure, une béance éprouvante, une tragédie noire au cœur du pays des mille collines, une souffrance sans fond qui nous regarde tous de ses yeux ensanglantés, je pleure.
Sous le regard de millions d’humains quasi indifférents, il y a 15 ans déjà, des hommes perdaient la raison et massacraient leurs propres voisins, frères et sœurs de terre et d’histoire, parlant une même langue, mais radio mille colline crachait déjà son venin, j’ai peur.
Abandonnés à leur tragique destin, des milliers et des milliers d’humains, presque sans fin, étaient soumis au morbide vouloir d’horribles bourreaux aveuglés par une propagande infâme sans âme, d’un autre temps, mais les mains pleine de sang, je les entends.
Femmes, enfants, vieillards, hommes, tout ce monde livré à l’immonde, des cadavres en cascade, des larmes en ruisseau sous les lames rouillées de machettes affûtées à la haine froide et méthodique de milliers de fanatiques aux ordres du désordre, je les revois.
Il y a 15 ans, c’était hier, pourtant l’humanité semble avoir oublié, comme un complice compromis par les affres d’une histoire vertigineuse et invraisemblable, telle un cauchemar pire que l’enfer puisque sur terre, bien réel, mais irréel, je le sens encore.
Pourtant si beau ce pays, petit pays aux mille collines qui abrite dans ses vallées tant de douleurs toujours aussi vives, qui en avril se ravivent, s’ouvrent et laissent revenir tous ces innocents assassinés sans pitié à l’orée de ses belles forêts, je les touche du doigt.
Nombre de héros méconnus ont pourtant combattu les ombres, armés du courage le plus nu, arrachant quelques vies au gré des heures les plus sombres, parmi les rues pavées de corps découpés, rougies de tout ce sang versé, je leur rend hommage.
Il a 15 ans Patience, cet enfant né sous l’étoile d’une tragédie, il grandit aujourd’hui et tente de saisir sa vie comme il peut, comme il pleut, dans l’écho d’un chaos encore présent, dans le chantier d’une identité en construction sur de funestes fondations, je lui écris.
Ils sont légions tous les enfants de cette histoire qui est aussi la notre, ils sont multitude sous cette latitude, ils tendent les bras vers cette vie qui les attend, pleine d’incertitudes, pleine de ce vide d’une enfance sans mère ni père, je les respire.
Que dire de l’avenir, que penser du devenir, faut-il croire en l’espoir, faut-il trembler encore pour les vivants du présent, pour ces passants du maintenant, embarqués malgré eux dans ce navire aux mille collines qui tangue encore sur son passé, j’ouvre mon cœur.
Qu’en est-il de la justice, passe-t-elle ou glisse-t-elle sur ce million de morts, comme un souffle morbide qui hante les entrailles des rescapés de ce naufrage sans partage, comme une trace qui jamais ne s’efface sur la face du monde, je saigne toujours.
Il y a 15 ans au Rwanda, l’humanité pétrifiée tournait la tête et fermait les yeux, vaquait à ses vacuités infinies, alors que basculait dans la plus grande folie un si joli petit pays aux mille collines abandonné entre les mains des génocidaires, j’accuse.
La terre entière savait, à laisser faire, s’en est aller se laver les mains, comme si de rien n’était, faisant la sourde oreille sans pareil, comme une répétition de l’Histoire, comme une humiliation du genre humain, mais la honte s’écrie à deux mains, j’en suis certain.
Petit pays aux mille collines pourtant tu appartiens à toutes les consciences, résonance de toutes les souffrances qui ont traversé les âges, les cultures, les contrées, à la verticale et à horizontale du temps qui s’écoule, du sang qui coule, tu es nous à jamais.
Génocide, trou noir du vivant, hantise du temps, ennemi de tous, enfer sur terre, malédiction de notre espèce, absurdité archaïque, machine à fabriquer du vide, usine à mélancolie, moulin à sang, immense fracas à trépas, plus jamais ça.
- Pour rester à l’écoute de ce drame:
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture/dossiers/2009/rwanda/
- Illustration: Dégratias, album Stassen. Comment témoigner par la BD.