Brève histoire de Bahbahbe par A.Ciré Ba

Publié le 06 avril 2009 par Bababe

    

Au cours de deux millénaires avant Jésus Christ, de nombreuses populations noires, parmi lesquelles les Fulɓe, se sont concentrées dans la partie occidentale du Sahara. Selon le Tableau de Cheikh Sidiya, le Sahara takruri (Tagant, Adrar, Hodh, Awker, Affolé, Tiris) étaient peuplé de Fulaani qui cohabitaient avec les Soninké.

Le desséchement de la région et la pression des berbères Sanhadja (à partir du 8e-9e siècles les poussent à émigrer, et ils essaiment dans tout le Sahel. Partis du Dhar Tichitt (où se situait le Maasina originel) et des régions plus au nord, ils ont occupé le Fori (vallée du Gorgol) avant de descendre plus au sud, sur les deux rives du fleuve Sénégal, dans le Tooro, en particulier, où ils se sont installés en masse. Certains de leurs groupements iront, par la suite, s'établir dans le Ferlo et dans le Jolof, pendant que d'autres poursuivaient leur migration et allaient s'établir définitivement dans les montagnes du Fuuta Jaloŋ. Á partir du Maasina actuel (dans le delta intérieur du Niger), des groupes et clans fulɓe continuent leur progression vers l'est, s'établissent au Liptako (Liɓotaako, en Fulfulde), au Niger, au Tchad et jusque dans le Darfour, au Soudan.

Les Bahbahɓe Looti appartiennent au lignage (leƴol) des Uururɓe qui, avec les Jaawɓe, les Woɗaabe, les Yaalalɓe, les Yirlaaɓe, les Jeŋgelɓe et les Lacce constituent l'un des sept grands lignages de la société peuhle.

 Origine des Bahbahɓe de Looti


 

 Selon le professeur Oumar Kane, ces lignages se sont probablement formés sous la dynastie Termes, entre le début du 12e siècle et la moitié du 15e siècle.  Ces lignages fulɓe ont longtemps occupé le Jeeri Fuuta (ou Jeeri Lommbori) vaste aire de pâturages et de transhumance comprise entre Haayre Ngaal (montagnes de l'Assaba) et Hoore Weendu (Tamourt en Naj, Tagant), au nord, et les hautes terres de la rive droite du fleuve Sénégal, au sud. De nombreuses sources concordantes affirment que le groupe Uuruuro dont sont issus les Bahbahɓe Looti a habité pendant une longue période à Goojoowol, à proximité du village actuel d'Ajaar, dans la région du Guidimakha. Une longue migration à travers le Jeeri Fuuta les aurait conduits de là en Inchiri. C'est dans cette région qu'a vécu Baraahim, fils de Ñoxor, fils de Baraahim, dont Siree Abbaas Soh affirme qu'il est le fils de Musaa, fils de Souleymane, lui-même, à travers une longue lignée d'intermédiaires, descendant de Ruuru'bah, peut-être l'ancêtre éponyme des Uururɓe. 

De Baraahim Ñoxor descendent, outre les Bahbahɓe Looti, les Baalɓe (issus de Bukar Baraahim et d'Aali, fils de son frère cadet Usmaan Baraahim, qu'i avait grandi sous son aile), les Demdemɓe, les  Bahbahɓe de Hoore Foonde et au moins une partie des Lihduɓe de Jaaba.

Baraahim Ñoxor, que les Maures de l'Inchiri appellent Brahim Vullaani, git en un lieu dit Toum'Brahim, à environ 70 km à l'ouest d'Akjoujt, où sa tombe est encore aujourd'hui l'objet de vénération. Une partie de sa descendance se serait hassanisée et s'est constituée en un groupe tribal qui vit encore dans l'Inchiri.

Une partie significative des descendants de Baraahim Ñoxor a conservé ses traditions fulɓe et continuent à en tirer une légitime fierté. Une autre partie, non moins importante, s'est spécialisée dans les études islamiques et les choses de la religion, et ont rejoint le grand mouvement toorodo qui a connu son apogée au 18e siècle. Certains des membres de ce mouvement ont marqué de leur empreinte l'histoire du Fuuta et de la sous région. Sur les trente-deux almamy qui dirigèrent le Fuuta, à partir de 1776, huit, au moins, appartiennent à sa descendance. Le plus illustre de ses descendants aura été, et reste, Ceerno Suleymaan Baal qui fut l'initiateur, l'âme et le bras armé de la révolution tooroodo et de l'indépendance du Fuuta.

Tunti et Bele-Ndenndi

De nombreuses sources s'accordent sur le fait que c'est sous la conduite de Samba Baraahim, plus connu sous le nom de arɗo Cammbulel (diminutif de Sammba)que les Bahbahɓe Looti actuels s'installèrent dans le Laaw, à proximité de Tunti, un village seereer (ou wolof) dont le chef portait le nom de Sappe ou Sappeen. Dans un rapport publié au Journal Officiel de l'AOF, en 1911,  le lieutenant Cheruy écrit : "les Bahbahɓe, venus de Jeeri Fuuta (Segueïba), chassèrent de leur village de Tunti, auquel il donnèrent le nom de Bababé, les Wolofs et leur chef Sapine." Selon le même auteur, ils achevèrent de défricher et de mettre en valeur une vingtaine de kolaaɗe, dont ceux de Dogan, Jeejeego, Baarol Janel, Koylee, Bajogollo, Baarol Mbakkenɓe, Tule Bahbahɓe, Galombaay, Bahbahɓe Jeeri et une partie de Lewe et de Layma.

Il n'est pas certain que le nom qui succéda immédiatement à celui de Tunti fut Bahbahɓe. Les sources traditionnelles, que confirme Siree Abbaas, affirment qu'après le retrait des populations seereer, le village fut rebaptisé Bele-Ndenndi, et que Sammba Baraahim fut le premier à porter le titre de arɗo Looti, chef du village t des terrains de culture des Bahbahɓe. Looti était le nom d'une grande mare pérenne, au sud du village, sur le lit duquel se dresse aujourd'hui l'école II, et, à l'origine, le nom de Bahbahɓe Looti désignait simplement le clan peulh, de patronyme Bah, résidant à proximité de Looti.

Selon Siree Abbaas, "Bele-Ndenndi (…) était un grand village appartenant aux Bahbahɓe Looti, et renfermait sept quartiers entre lesquels se partageaient les "gens de la famille de Ñoxor fils de Baraahim fils de Musaa, fis de Suleymaan, etc., c'est-à-dire les Bahbahɓe Looti de Mbummba, de Demet, de 'Edi, les Uururɓe du Jeeri, de Mboolo Aali Siidi, de Neere et de Ndulummaaji…". Chacun des chefs de ces sept quartiers avait pour insigne de pouvoir un tambour (tabalde).

Vers la fin du 16e siècle, un des fils de Yero Jam, satigui du Fuuta à l'époque, fut tué à Bele-Ndenndi, par un des enfants de arɗo Birom, fils de arɗo Cammbulel, dans des circonstances qui ne nous sont pas connues, et dont la tradition a gardé un souvenir trop folklorique pour être vraisemblable. Á la suite de ce meurtre, le satigui expropria les Bahbahɓe Looti d'une partie de leurs terres de cultures et les offrit au chef des Janelnaaɓe, alors qu'arɗo Birom offrait à Buubu Jah, chef des Gammbinaaɓe d'autres kolaaɗe, en contrepartie de son intercession auprès du souverain.

En dépit de ces faits, ou peut-être grâce à eux, tout au long de la période des arɓe, puis de celle des premiers elimaan, les Bahbahɓe Looti ont liés d'étroites relations d'alliances avec les communautés voisines : les villages de Juude, et les Gammbinaaɓe, en particulier, les villages de Wan Wan, Foonde (les Bahbahɓe Looti, ceux de Foonde et de Haayre-Mbaar ont en commun les mêmes ancêtres), Wuro Jaalaw et Hocceere Cubalel, les Njaacɓe de Madiina et de Juude, les Wat de Cubalel et la famille des Tuureeɓe qui furent longtemps Ceerno Wocci.

Le meurtre du fils du satigui eut des répercussions considérables, dont la principale fut l'exode de la majeure partie des habitants de Bele-Ndenndi. Craignant les représailles du satigui, de nombreuses familles quittèrent le village, et la plupart ne revinrent plus jamais.

Ce premier exode furent probablement suivi d'un ou de deux autres de moindre envergure, entre la fin du 16e siècle et la moitié du 18e siècle. Chaque dispersion, constituait une perte des forces vives originelles de la communauté. De nombreux clans et familles qui ont habité Bele-Ndenndi ou Bahbahɓe Looti en sont partis définitivement.

 

La lignée des ardo

Il semble que la lignée de Birom arɗo Cammbulel ait assuré la permanence d'une présence du clan bahbaho sur les lieux, soit qu'elle ne les ait jamais totalement quitté, soit qu'après chaque exode, une partie d'elle y soit toujours revenue. C'est ce qui, semble-t-il, explique qu'au cours des deux cent cinquante que dura la période allant du début du 16e siècle au milieu du 18e, ce furent les descendants de Birom arɗo Cammbulel qui portèrent le titre de arɗo Looti. Le lieutenant Cheruy écrit, dans son rapport de 1911, que : "depuis arɗo Birom jusqu'à Maamuudu Maccuɗo (7e génération), les chefs du village et des terres de bahbahɓe portèrent le titre de arɗo". Si Cheruy dit que Maamuudu Maccuɗo prit le titre d'elimaan, il n'affirme pas expressément qu'il fût le dernier arɗo Looti. La mémoire des généalogistes et historiens traditionnels retient que le dernier chef à porter le titre a été Sammba Siree, qui avait été surnommé arɗo Cammbulel Tokooso. Cet arɗo Cammbulel Tokooso est l'ancêtre direct de la famille d'Al Hajji Sammba Boongel et celui d'Aamadu Zakaria, dit Duudu Bah, qui fut le premier maire de Bahbahɓe.

L'état actuel des connaissances ne permet pas d'établir la liste de ceux qui portèrent le titre d'arɗo Looti, encore moins la chronologie de leur règne. Les seules certitudes que l'on ait sont : 1- qu'ils appartenaient à la lignée de arɗo Birom (les autres enfants de arɗo Cammbulel ne l'ayant pas accompagné jusqu'à Tunti ou ayant quitté très tôt Bele-Ndenndi) ; 2- que les deux premiers arɓe furent arɗo Cammbulel et son fils arɗo Birom ; 3- que le dernier arɗo Looti fut arɗo Sammba Siree dit arɗo Cammbulel Tokooso. Des traditions de Galle Aamadu Daraa affirment qu'arɗo Sammba Siree succéda à arɗo Buubu Siley, et qu'Aamadu Daraa fut elimaan Bahbahɓe, à l'âge de 16 ans. L'état actuel des connaissances ne permet pas de confirmer ces assertions.

Contrairement à ce que certains ont pu croire, le titre d'arɗo, comme celui d'elimaan, par la suite, ne se transmettait pas de père en fils. Dans les traditions des fulɓe relatives à la dévolution du pouvoir, dynastie n'est pas synonyme de règle de succession par ordre de primogéniture. Pour prendre un exemple illustre, à la mort de Koli Teŋgella, premier satigui de la dynastie deeniyaŋke, ce fut son frère Labba Teŋgella qui lui succéda, et après la disparition de celui-ci, c'est un troisième fils de Teŋgella, Sammba Teŋgella qui monta sur le trône. Les fils de Koli (Gelaajo Bammbi, Gelaajo Tabara, Yero Jam et Gata Kummba) n'accédèrent au pouvoir qu'après l'extinction de leurs oncles paternels. Et le célèbre satigui Sawa Laamu, fils de Yero Jam, ne fut intronisé qu'après la mort de son "petit père" Gata Kummba.


 

L'installation à Bahbahɓe Waalo et l'élimanat

Le dernier grand exode des Bahbahɓe Looti eut lieu au milieu du 18e siècle, deux à trois décennies avant la victoire du mouvement tooroodo sur la dynastie deeniyaŋke et l'avènement de l'almamiyat. La décadence du régime deeniyaŋke, caractérisée par les guerres entre prétendants au trône, avait réduit à néant la reconquête, un siècle auparavant, d'une partie du Jeeri Fuuta, par satigui Sawa Laamu, et créé les conditions d'une immixtion des émirats du Trarza et du Brakna dans les affaires intérieures du pays. Les razzias répétées contraignirent de nombreux villages à se retirer sur la rive gauche du fleuve. C'est dans ce contexte que les Bahbahɓe Looti abandonnèrent une nouvelle fois leur terroir. Les clans de la lignée de arɗo Birom, se dispersèrent dans différentes régions de la rive gauche du fleuve : à Meri et à Pete, dans le Laaw, à Mboolo Biraan, dans le Yirlaaɓe-Hebbiyaaɓe, voire hors du Fuuta, à Piir, dans le Kayoor.

Abdul Xaadiri Kan, premier almaami du Fuuta après l'instauration du régime théocratique tooroodo, engagea une politique de réoccupation des terres de la rive droite, dont l'un des volets était, dans une première étape, la reconstruction de certains villages (que leurs habitants avaient désertés) sur des emplacements situés en face de leurs terres de culture de la rive droite. La mise en œuvre de cette décision prit certainement quelques années, compte tenu de l'ampleur de la tâche. Il est donc peu probable que ce qu'on appellera Bahbahɓe Waalo ait retrouvé une partie significative des anciens habitants de Bahbahɓe Looti dès 1776.

Le nouveau village faisait face au site de l'ancien, à proximité immédiate de Juude Waalo. De Gellaay Aali Faal à Sammba Jeeba, l'expression "Juude Jaaɓi sara Bahbahɓe", qui désignait la vieille escale fluviale, a longtemps eu les faveurs des poètes et chanteurs fuutaŋke.

 

Du régime des arɓe à celui des elimaan

Si l'on ne sait pas avec certitude à quelle date Bahbahɓe Waalo fut bâti, on sait, sans aucun doute possible, que le premier elimaan à y être intronisé fut elimaan Sammba Aali, probablement dans les années 1780-1790. Il n'y a pas forcément contradiction entre ce fait et l'information rapportée par le lieutenant Cheruy (1911) selon laquelle Maamuudu Maccuɗo fut le premier elimaan de Bahbahɓe Looti. Le titre de elimaan a pu se substituer à celui de arɗo dès le début du 18e siècle (donc avant le dernier exode) ou même coexister avec lui jusqu'à ce que le changement de rapport de forces  opéré par la révolution de 1776 contraigne les partisans du vieux titre des Fulɓe à laisser la place au symbole du nouveau pouvoir tooroodo.

Certains historiens traditionnels affirment que l'abandon du titre de arɗo au profit de celui de elimaan est la conséquence d'une décision prise par les dirigeants du mouvement tooroodo, en 1772, d'exclure de l'almamiyat qu'ils projetaient d'instaurer les porteurs de titres traditionnels (arɗo, joom, satigui, farba, jaagaraf, etc.) non liés aux grades de la hiérarchie musulmane. Á la suite de cette décision, une réunion regroupant plusieurs représentants des clans et familles issus de Baraahim Ñoxor, venus de tout le Fuuta, aurait adopté le principe d'une renonciation des Bahbahɓe Looti à leur titre d'arɗo et l'adoption de celui d'elimaan. Quelques figures majeures du mouvement tooroodo auraient participé à ce concile, parmi lesquelles, entre autres, Alfa Amar Seydi Yero Buso Demmba Baraahim, de Hoore Foonde, (qui joua le rôle de coordinateur du parti tooroodo, à la mort de Ceerno Suleymaan Baal), et tafsiiru Hammady Ibraa, qui était arɗo MBantu.

L'effacement du titre d'arɗo et son remplacement par celui d'elimaan est avant tout la conséquence de l'irruption d'une couche sociale nouvelle (les toorodɓe) aux commandes de la direction idéologique, sociale et politique de la société et de l'État fuutaŋke. Mais ce changement n'affecte pas aussi profondément les systèmes de pouvoir locaux antérieurs aussi profondément qu'on pourrait le croire, et laisse intact leurs modes de dévolution. Ainsi qu'il en était à l'époque des arɗo, tout descendant direct d'arɗo Cammbulel, par la lignée peut prétendre au titre d'elimaan, dès lors qu'il a seize ans révolus, et que sa candidature reçoit l'approbation des jaambureeɓe.

 

Grands électeurs et familles

Les jaambureeɓe constituent le pivot du système. Ce sont les familles propriétaires de terres de cultures, et dont les représentants assument la fonction de grands électeurs. En tant que tels, ils arbitrent les compétitions entre prétendants au lefol (l'écharpe qui est l'insigne de l'élimanat), et désignent le candidat devant porter le titre, qu'ils ont le pouvoir de destituer. Ils assurent la garde du lefol, entre deux mandats, et assurent l'intérim du titre encas de vacance du pouvoir. Les familles jaambureeɓe - dont la représentativité s'exprimait en ceŋele (grandes corbeilles servant au transport des épis de mil) sont les suivantes : les Sal, Baal, Jallo, Ndoŋgo et Jah de Galle Foogaa ; les Caam, Lih, Sal et Jallo de Galle Elimaan Maalik ; les Soh, Sal et Waar de Galle Elimaan Sammba Aali ; les Sal, Baal et Buso, de Galle Buubu.

Considérés comme les véritables autochtones des lieux, depuis l'époque de Tunti, les Somsomɓe (le patronyme Som a été fulanisé en Soh, mais retrouve, au pluriel, sa racine originelle), jouissent, en plus de leur statut de jaambureeɓe, du privilège exclusif de ceindre la tête du nouvel elimaan du turban du pouvoir, lors des cérémonies d'intronisation.

Si l'on doit en croire les traditions locales, les descendants d'arɗo Birom constituait une seule et même famille, de la fin de Bele Ndenndi au dernier grand exode. De fait, la structuration actuelle du village en quatre grands clans (Galle Foogaa, Galle Elimaan Maalik, Galle Elimaan Sammba Aali et Galle Buubu) est relativement récente. Le fait même que deux de ces clans portent les noms des deux premiers elimaan de Bahbahɓe Waalo incite à croire que cette réorganisation sociale n'est pas antérieure au premier tiers du 19e siècle. La proximité généalogique a certainement été le critère principal dans les regroupements opérés, mais elle n'est pas un critère exclusif. Des facteurs relevant des politiques familiales, d'alliances ponctuelles ou de relations d'amitié ont pu jouer dans la constitution des clans. Les Galle ne sont pas des entités figées et ont souvent été sujets à des changements d'affiliation.

Le retour au terroir originel

Après plus d'un siècle de présence à Bahbahɓe Waalo, sur la rive droite, les Bahbahlɗaaɓe se déplacèrent, pour une ultime fois, peut-être. Ils se réinstallèrent au bord des rives de la mare de leurs origines, sur le site de Bahbahɓe Looti, où leurs grands pères avaient grandi, méritant par là, à nouveau, le sobriquet de "Bah-jeeriɗaaɓe" que leurs parents et alliés des villages voisins aiment tant à leur jeter à la figure.

La principale cause de cette délocalisation était la lourde oppression à laquelle les autorités politico-administratives locales les soumettaient, et la volonté affichée des chefs de canton de l'époque d'instrumentaliser à leur profit les rivalités successorales autour de l'élimanat, voire de modifier l'ordre social existant.

Ce retour massif des populations à Bahbahɓe Looti se déroula au cours de l'année 1905, alors qu'Alfa Samba portait le titre d'elimaan.

 

Galle Aamadu Daado

Les Bahbahɓe du groupe familial qui constitue, au 19e siècle, Galle Aamadu Daado est une partie de la postérité d'arɗo Birom. Lors du dernier grand exode (milieu du 18e siècle), ils se sont établis à Mboolo Biraan (près de Galoya, dans le Yirlaaɓe Hebbiyaaɓe), sous la conduite de l'aîné de la famille, Aamadu Daraamaan Buubu Siley, plus connu sous le nom d'Aamadu Daado, secondé par son frère cadet Maccuɗo Daado. Leur mère était Daado Loru Sala Ɓiroowo, de la famille des Baalɓe qui compte aujourd'hui parmi les grands électeurs du clan (Galle) Foogaa.

L'exil à Mboolo Biraan durera quelque 70 ans, sinon plus. Quelques années après l'installation des Bahbahlnaaɓe sur la rive droite, par deux fois, des membres  des Somsomɓe se sont rendus à Mboolo Biraan pour convaincre la famille de rejoindre Bahbahɓe Waalo. Les deux tentatives furent infructueuses. C'est, dit-on, la pression insistante d'Abdul Njaay Buubu, qui fit le voyage de Mboolo Biraan, qui les décida à quitter le Yirlaaɓe Hebbiyaaɓe et à revenir dans le Laaw. En plus des arguments qu'il dut faire jouer (risques de perte de leurs terres de culture et de leur statut de lawake), Abdul Njaay bénéficiait d'un atout appréciable, à une époque où les liens de sang ou "de lait" (enɗam) comptaient parmi les fondements les plus solides dans relations intracommunautaires. Sa grand-mère paternelle était Ndamsa Loru Sala Ɓiroowo, sœur de la mère d'Aamadu Daado et de Maccuɗo Daado.

L'arrivée de ceux de Galle Aamadu Daado à Bahbahɓe Waalo a dû avoir lieu en 1834 ou 1835. C'est en tout cas ce que l'on peut déduire des chroniques orales de la famille qui affirment que le départ de Mboolo Biraan s'est effectué à la fin du neuvième et dernier mandat de l'almaami Yuusuf Lih.

Nous ne pouvons dire si Aamadu Daado et son frère étaient encore de ce monde à cette date. Il est plus probable que ce soit leurs enfants (Aali Aamadu, Abdullaay Maccuɗo, Umar Maccuɗo et Atumaan Maccuɗo), qui installèrent la famille à Bahbahɓe Waalo.

Ce retour tardif explique, entre autres raisons, le nombre réduit des elimaan issus de la famille. Sept, à ce jour, qui sont : elimaan Aamadu Saanun (vers la fin du 19e siècle), elimaan Samba Yero (années 1920), elimaan Umar Saanun dit elimaan Sooybu (deux fois, dans les années 1940) , elimaan Maamuudu Sammba (1953-1957), elimaan Musaa Saydu (1972-1974), elimaan Alfaa Dowut (1984-1988), elimaan Mammadu Ibraa (1996-2000).

Parentés et alliances

L'étroite parenté qui liait la famille aux Salsalɓe de Galle Buubu et le rôle déterminant joué par Abdul Njaay dans leur retour au sein de leur communauté d'origine, expliquent, en grande partie, l'agrégation des enfants, puis des descendants d'Aamadu Daraamaan et de Maccuɗo à Galle Buubu. Tout en conservant leur spécificité et une certaine autonomie, ceux de Galle Aamadu Daado sont une partie organique de Galle Buubu, vaste ensemble fédérant d'un nombre appréciable de familles aux patronymes divers : Sal, Baal, Dem, Joop, Wat, Mbaay, Sih, Taal, Njaay, Jah, Waar, Buso, Aan, Wañ, Bah et Jallo.

Á l'instar de tous ceux qui vivent en cet endroit depuis des générations et des siècles, les individus et les familles de Galle Aamadu Daado, (les Bah, les Jah et les Buso) sont liés à toutes les entités individuelles et familiales de Bahbahɓe Looti par "le lait" et par le sang. Mais aussi par cette parenté du cœur, le sattidaagal, que créent les relations anciennes, les services réciproques, les amitiés indissolubles, la confiance et le respect ; parenté qui est, quelquefois, plus forte que les liens fondés sur des gènes en partage. Une armée de généalogistes et des semaines entières de restitution des lignées familiales ou claniques ne sauraient démêler l'écheveau complexe des relations de parenté au sein de cette communauté.

En tant qu'ensemble social, Galle Aamadu Daado a des liens particuliers avec un certain nombre d'autres ensembles : clans, familles ou groupe patronymiques.

Du côté du sang (gorol), ils constituent, avec Galle Elimaan Maalik et Galle AlHajji Sammba Boongel, les trois branches de la lignée d'arɗo Birom Samba Baraahim. Et ils ont, ensemble, comme frères de lignage, les Bahbahɓe de Galle Elimaan Sammba Aali, descendants de Sawa Sammba Baraahim, ainsi qu'avec tous les Baalɓe, issus de Bukar Baraahim ou de Aali Usmaan Baraahim.

En plus des relations historiques qui les lient aux Salsalɓe Galle Buubu, ils ont du côté du lait, des relations particulières avec ceux d'entre eux qui, ainsi que les Wat, sont issus de Ndamsa Loru. Il en est de même avec les Waar, tous descendants de Takko Loru, et des Baalɓe Galle Foogaa qui sont du sang de Sawa Loru Baal.

 

Présentation du nouvel Elimaan

Celui qui, dans quelques instants sera revêtu de l'autorité d'elimaan se nomme Mohamed Haaruuna Bah. Né en 1959, il est le fils de Haaruuna Aamadu Sammba Saanun, plus connu, dans cette communauté sous le nom de Demmba Cuucu. Il appartient à la banche aînée des Bah de Galle Aamadu Daado, et à la quinzième génération de la postérité d'arɗo Cammbulel.

Du côté de sa mère, il st l'arrière petit-fils d'elimaan Sammba Yeo, et le petit fils de Aamadu Abuu Mammadu Dem que ceux d'ici connaissent mieux sous le nom de Saanun Dikkal, qui fût elimaan Siñcu.

Il sera le huitième elimaan issu d Galle Aamadu Daado, et le 38e depuis l'intronisation de Maamuudu Maccuɗo, ou le 37e, si l'on part de l'élimanat de Sammba Aali Yero.

Á cinquante ans, Mohammed Haaruuna est, depuis l'intronisation de Maamuudu Sammba Yero, en 1953, le plus jeune postulant à accéder au lefol en plus d'un demi-siècle. Cette jeunesse relative ne doit cependant pas tromper. Le nouvel elimaan possède l'intelligence, l'urbanité l'expérience politique et la force de caractère indispensables pour faire face aux exigences de sa charge.

Qu'Allah l'aide à encore mieux comprendre, et nous avec lui, que ce qui unit les gens de Bahbahɓe Looti depuis Tunti et Bele Ndenndi, il y a plus de cinq siècles, est infiniment plus fort que leurs dissensions passagères et leurs divisions superficielles ; que si ce terroir a été l'objet et le théâtre d'âpres combats, il a aussi été, et demeure plus fondamentalement, un creuset dans lequel des groupes humains venus d'horizons divers se sont construit une identité nouvelle. Que cette identité tire sa force des longues et inlassables pérégrinations des Uururɓe à travers le Jeeri Fuuta, de l'ardeur des guerriers venus de Guédé, du courage des Seereer de Sappeen, de la foi inébranlable de ceux, nombreux, qui semèrent en ces lieux les graines de la religion, et la plantèrent au plus profond d'une terre qui était restée longtemps sans la connaître.

Et, surtout, qu'Allah donne à notre nouvel elimaan les qualités et les talents de certains de ceux qui nous ont précédés en ces lieux :

-   la fierté. Celle d'elimaan Alfaa Sammba Kudi auquel le commandant de cercle de Boghé de l'époque vouait une rancune tenace. Á l'issue d'une réunion, au domicile de l'elimaan, au cours de laquelle l'administrateur avait contraint les notables à mettre fin à son règne, elimaan Alfaa Sammba Kudi dit au commandant : "tant que j'étais chef de ce village, il était de mon devoir de vous recevoir chez moi. Maintenant que je suis redevenu un simple citoyen, je vous prie de débarrasser les lieux". Ce que, bon prince, le commandant fit.

-   L'intelligence politique : celle d'Ibraa Dowut Atumaan, plus connu sous le fier surnom de Ngaari Looti, un esprit fin doublé d'une rare l'éloquence. Les séances des assemblées du village étaient levées dès qu'il avait fini de parler, tant il avait le don d'expliquer et de convaincre.

-   La noblesse de cœur et l'élégance. La noblesse de cœur de  Lamin Yero Aali qui, ayant été confirmé comme elimaan, au détriment de Maamuudu Elimaan Maalik, se désista en faveur de son rival, affirmant que ce dernier avait de plus grandes qualités que lui, et qu'il éprouverait de la honte à rentrer au village en victorieux de son aîné". Et l'élégance de elimaan Maamuudu qui, élu almaami du Fuuta, plus tard, usa de ses prérogatives, et rendit à Lamin Yero le lefol que celui-ci lui avait si gracieusement abandonné.

 

Je vous remercie.


 

 

Ordre de succession des elimaan Bahbahɓe

Dans son rapport publié en 1911, le lieutenant Cheruy affirme que Maamuudu Maccuɗo fut le premier elimaan Bahbahɓe Looti, et il n'y a aucune raison de douter de la fiabilité de ses sources. La mise en relation de cette information avec la généalogie permet de conclure que cette "innovation" a dû précéder la révolution tooroodo de une à trois décennies.

L'ordre de succession des elimaan, de l'intronisation d'elimaan Maalik jusqu'au premier tiers du 20 e siècle, ne semble pas avoir été conservé. Chaque famille lawake s'est préoccupée de comptabiliser les elimaan issus de ses rangs, et nul ne s'est soucié d'établir l'ordre et la durée des règnes.

Si à partir du retour à Bahbahɓe Looti (1905), la succession des elimaan est relativement aisée à reconstituer, l'ordre leur accession au titre dans la période allant des années 1880 à la fin du 19e est difficile à établir. Quelques repères permettent de dater avec plus ou moins de précision quelques uns des règnes. La confrontation de ces dates avec  l'ordre des listes établies par les familles lawakooɓe permet d'établir une approximation raisonnable, sans donner d'indication sur les durées des élimanats. Les familles sont très prolixes au sujet des règnes longs, mais restent étonnamment discrètes sur ceux qui furent brefs.

En 1957, sur proposition du guide spirituel de la communauté, Ceerno Njaay Umar, la décision fut prise d'adopter un système de rotation  des elimaan (tous les quatre ans) entre les trois familles lawakooɓe (Galle Elimaan Maalik, Galle Elimaan Sammba Aali, Galle Aamadu Daado), afin d'éviter les conflits inter claniques et limiter les risques de confrontations à la sphère familiale. Cette décision ne fut cependant mise en œuvre que onze ans plus tard. C'est elimaan Ibraahiima Alpha (Raasin Selli) qui inaugura la nouvelle règle, en 1968, et en respecta scrupuleusement les dispositions.

Certains elimaan ont exercé deux, voire trois mandats. Faute d'informations précises, nous ne les avons mentionnés qu'une fois

Ce premier travail est donc sujet à révision, et nous espérons que ceux qui s'intéressent à l'histoire locale contribueront à l'améliorer et l'enrichir.

Liste des elimaan Bahbahɓe

I-   Bahbahɓe Looti (avant la révolution tooroodo de 1776)

1-   Elim. Maamuudu Maccuɗo (probablement au cours de la période 1740-1770)

II-   Bahbahɓe Waalo (après la révolution tooroodo)

2-   Elim. Sammba Aali (années 1780à 1796)

3-   Elim. Maalik Hammaat (à partir de 1796-97)

4-   Elim. Demmba Kaasum

5-   Elim. Bookar Yero

6-   Elim. Mammadu Demmba

7-   Elim. Maamuudu Maalik (jusqu'à son élection comme Almaami du Fuuta, en 1860-61)

8-   Elim. Lamin Yero (à partir de 1861)

9-   Elim. Aamadu Demmba

10- Elim. Sammba Kaasum

11- Elim. Baydi Alfaa

12- Elim. Aamadu Saanun

13- Elim. Ibraa Kaasum

14- Elim. Alfaa Sammba (le retour à Bahbahɓe Looti eut lieu sous son élimanat, en 1905)

III-   Bahbahɓe Looti (après 1905)

15- Elim. Kaasum Baydi

16- Elim. Sammba Yero

17- Elim. Maalik Ceerno (Maalik Gallu)

18- Elim. Baaba Demmba

19- Elim. Demmba Aamadu

20- Elim. Umar Saanun (elim. Sooybu)

21- Elim. Aadama Jaafara

22- Elim. Sammba Kudi)

23- Elim. Karamoko Maalik (1947)

24- Elim. Ibraa Sidiiki (elim. Aali)

25- Elim. Abdul Aamadu Demmba

26- Elim. Maamuudu Sammba Yero (1953-1957)

27- Elim. Ibraa Daawuuda (Yeroyel Daawuuda) (1957-1968)

IV-  Elimanat par rotation (mandats de quatre ans)

28- Elim. Ibraahiima Alfaa Sammba (Raasin Selli) (1968-1972)

29- Elim. Musaa Saydu (1972-1976)

30- Elim. Bookar Siidi (1976-1980)

31- Elim. AlHajji Elimaan (Baabalih Maymuuna) (1980-1984)

32- Elim. Alfaa Dowut Maamuudu (1984-1988)

33- Elim. Aamadu Sammba Jibi (1988-1992)

34- Elim. Aamadu Demmba (Elimaan Maymuuna) (1992-1996)

35- Elim. Mammadu Ibraa (1996-2000)

36- Elim. Kaasum Dooro (2000)

37- Elim. Mammadu Karamoko (Tafsiiru Ismaa) (2004-2008)

38- Elim. Mohammed Haaruuna