Dimanche des Rameaux B: homélie de Benoît XVI

Publié le 06 avril 2009 par Walterman

Homélie de Benoît XVI pour la messe des Rameaux place Saint-Pierre

Journée mondiale de la jeunesse diocésaine



ROME, Dimanche 5 avril 2009 (ZENIT.org) - Benoît XVI a présidé la procession et la messe du Dimanche des Rameaux et de la Passion du Christ, ce matin à 9 h 30, place Saint-Pierre. Nous publions ci-dessous le texte intégral de son homélie.


Chers frères et sœurs,

Chers jeunes !


Avec une foule croissante de pèlerins, Jésus était monté à Jérusalem pour la Pâque. A la dernière étape du chemin, près de Jéricho, il avait guéri l'aveugle Bartimée qui l'avait invoqué comme le Fils de David, implorant sa pitié. Maintenant - devenu désormais capable de voir - il s'était inséré avec gratitude dans le groupe des pèlerins. Lorsque, aux portes de Jérusalem, Jésus monte sur un âne, l'animal symbole de la royauté davidique, spontanément, la joyeuse certitude éclate parmi les pèlerins : c'est Lui, le Fils de David ! Ils saluent donc Jésus par l'acclamation messianique : « Béni soit celui qui vient au Nom du Seigneur » et ils ajoutent : « Béni soit le Royaume de notre père David qui vient ! Hosanna au plus haut des cieux ! » (Mc 11, 9s).


Nous ne savons pas précisément ce que les pèlerins enthousiastes imaginaient qu'était le Royaume de David qui venait. Mais nous, avons-nous vraiment compris le message de Jésus, Fils de David ? Avons-nous compris ce qu'est le Royaume de Celui qui a parlé lors de l'interrogatoire devant Pilate ? Comprenons-nous ce que signifie que ce Royaume n'est pas de ce monde ? Ou désirons-nous peut-être qu'au contraire, il soit de ce monde ?


Dans son évangile, saint Jean, après le récit de l'entrée à Jérusalem, rapporte une série de paroles de Jésus dans lesquelles il explique l'essentiel de ce nouveau genre de Royaume. A la première lecture de ces textes, nous pouvons distinguer trois images différentes du Royaume dans lesquelles se reflète, toujours de façon différente, le même mystère.


Jean raconte avant tout que, parmi les pèlerins qui, au cours de la fête « voulaient adorer Dieu », se trouvaient des Grecs (cf. 12, 20). Faisons attention au fait que le vrai objectif de ces pèlerins était d'adorer Dieu. Cela correspond parfaitement à ce que Jésus dit à l'occasion de la purification du Temple : « Ma maison sera appelée maison de prière pour toutes les Nations » (Mc 11, 17). Le vrai but du pèlerinage doit être rencontrer Dieu ; de l'adorer et ainsi mettre dans l'ordre juste la relation de fond de notre vie. Les Grecs sont des personnes à la recherche de Dieu, par leur vie, ils sont en marche vers Dieu. Maintenant, par l'intermédiaire de deux apôtres de langue grecque, Philippe et André, ils font parvenir leur demande  au Seigneur: « Nous voulons voir Jésus » (Jn 12, 21). De grandes paroles. Chers amis, c'est pour cela que nous sommes rassemblés ici : nous voulons voir Jésus. Dans ce but, l'an dernier, des milliers de jeunes sont allés à Sydney. Certes, ils auront eu de multiples attentes, pour ce pèlerinage. Mais l'objectif essentiel est celui-ci : Nous voulons voir Jésus.


Pour ce qui est de cette demande, qu'est-ce que Jésus a alors dit et fait ? De l'Evangile, il ne ressort pas clairement s'il y a eu une rencontre entre ces Grecs et Jésus ; le regard de Jésus va bien au-delà. Le noyau de sa réponse à la demande de ces personnes est : « Si le grain de blé, tombé en terre, ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24). Cela signifie : ce n'est pas un entretien plus ou bref avec un petit groupe de personnes qui rentrent ensuite chez eux. Je viendrai, comme le grain de blé mort et ressuscité, d'une façon tout à fait nouvelle, et au-delà des limites du moment, à la rencontre du monde et des Grecs. Par sa résurrection, Jésus dépasse les limites de l'espace et du temps.


En tant que Ressuscité, Il est en chemin vers le vaste monde et l'histoire. Oui, en tant que Ressuscité, il va vers les grecs et parle avec eux, il se montre à eux si bien qu'eux, qui étaient loin deviennent proches et justement, dans leur langue, dans leur culture, sa parole est apportée de façon nouvelle, et comprise d'une façon nouvelle : son Royaume vient.


Nous pouvons ainsi connaître les deux caractéristiques essentielles de ce Royaume. La première est que ce Royaume passe par la croix. Puisque Jésus se donne totalement, il peut, en tant que Ressuscité, appartenir à tous et se rendre présent à tous. Dans la sainte eucharistie, nous recevons le fruit du grain de blé mort, la multiplication des pains qui se poursuit jusqu'à la fin du monde, et dans tous les temps. La seconde caractéristique dit : son Royaume est universel. L'antique espérance d'Israël s'accomplit : cette royauté de David ne connaît plus de frontières. Elle s'étend d'une mère à l'autre - comme le dit le prophète Zacharie (9, 10) - c'est-à-dire qu'elle embrasse le monde entier. Mais cela n'est possible que parce que ce n'est pas la royauté d'un pouvoir politique, mais qu'elle se base uniquement sur la libre adhésion de l'amour - un amour qui, lui, répond à l'amour de Jésus-Christ qui s'est donné pour tous.


Je pense que nous devons toujours apprendre à nouveau deux choses - avant tout l'universalité, la catholicité. Elle signifie que personne ne peut poser son moi, sa culture, et son monde, comme un absolu. Cela implique que nous nous recevions tous mutuellement en renonçant à quelque chose qui est nôtre. L'universalité inclut le mystère de la Croix - le fait de se dépasser soi-même, l'obéissance à la parole commune de Jésus dans la commune Eglise. L'universalité est toujours un dépassement de soi, un renoncement à quelque chose de personnel. L'universalité et la croix vont de pair. C'est seulement comme cela que l'on crée la paix.


La parole à propos du grain de blé mort fait encore partie de la réponse de Jésus aux Grecs, c'est sa réponse. Mais ensuite, il formule une fois encore la loi fondamentale de l'existence humaine : « Qui aime sa vie la perdra, qui hait sa vie en ce monde la conservera dans la vie éternelle » (Jn 12, 25). Qui veut avoir sa vie pour soi-même, vivre seulement pour soi-même, serrer tout contre soi, et en exploiter toutes les possibilités - c'est celui-là justement qui perd sa vie. Elle devient ennuyeuse et vide. C'est seulement par l'abandon de soi-même, dans le don désintéressé du « je » en faveur du « tu », seulement dans le « oui » à une vie plus grande, celle de Dieu, que notre vie aussi devient ample et grande.


Ainsi, ce principe fondamental que le Seigneur établit est simplement identique, en dernière analyse, au principe de l'amour. En effet, l'amour signifie se quitter soi-même, se donner, ne pas vouloir se posséder soi-même, mais devenir libre de soi : ne pas se replier sur soi-même - qu'est-ce que je vais devenir ? - mais regarder vers l'avant, vers l'autre - vers Dieu et vers les hommes qu'il m'envoie.


Et ce principe de l'amour qui définit le chemin de l'homme est encore une fois identique au mystère de la croix, au mystère de mort et de résurrection que nous rencontrons dans le Christ.


Chers amis, il est peut-être relativement facile d'accepter cela comme la grande vision fondamentale de la vie. Mais dans la réalité concrète, il ne s'agit pas simplement de reconnaître un principe, mais de vivre sa vérité, la vérité de la croix et de la résurrection. Et pour cela, à nouveau, une unique grande décision ne suffit pas. Il est sûrement important d'oser une fois la grande décision fondamentale, oser le grand « oui » que le Seigneur nous demande à un certain moment de notre vie.


Mais le grand « oui », le moment décisif de notre vie - le « oui » à la vérité que le Seigneur place devant nous - doit ensuite être reconquis quotidiennement dans les situations de tous les jours, où, toujours à nouveau, nous devons abandonner notre « je », nous rendre disponibles, alors qu'au fond nous voudrions nous agripper à notre « je ». Une vie droite est faite aussi de sacrifice, de renoncement.  Qui promet une vie sans ce don toujours nouveau de soi, trompe les gens. Il n'existe pas de vie réussie sans sacrifice. Si je jette un regard rétrospectif sur ma vie personnelle, je dois dire que c'est justement les moments où j'ai dit « oui » à un renoncement qui ont été les moments grands et importants de ma vie.


Enfin, saint Jean a recueilli, dans sa composition des paroles du Seigneur pour le « Dimanche des rameaux », aussi une forme modifiée de la prière de Jésus au  Jardin des Oliviers. Il y a avant tout l'affirmation : « Mon âme est troublée » (12, 27).  C'est ici qu'apparaît la peur, illustrée amplement par les trois autres évangélistes - sa peur devant le pouvoir de la mort, devant tout l'abîme du mal qu'il voit et dans lequel il doit descendre. Le Seigneur souffre nos angoisses en même temps que nous, il nous accompagne à travers l'ultime angoisse jusqu'à la lumière. Et puis, dans Jean, suivent les deux demandes de Jésus : « Que vais-je dire - Père, sauve-moi de cette heure » (12, 27). En tant qu'être humain, Jésus aussi se sent poussé à demander que lui soit épargnée la terreur de la Passion.


Nous aussi nous pouvons prier de cette façon-là. Nous aussi nous pouvons nous lamenter devant le Seigneur comme Job en lui présentant les demandes qui surgissent en nous face à l'injustice du monde et à nos propres difficultés. Devant Lui, nous ne devons pas nous réfugier dans des phrases pieuses,  dans un monde factice. Prier signifie toujours aussi lutter avec Dieu, et comme Jacob, nous pouvons lui dire : « je ne te lâcherai pas tant que tu ne m'auras pas béni  (Genèse 32, 27).


Mais la deuxième demande de Jésus vient ensuite : « Glorifie ton nom ! » (Jn 12, 28). Dans les synoptiques, cette demande est formulée  ainsi : « Que ce ne soit pas ma volonté qui soit faite mais la tienne » (Lc 22, 42). A la fin, la gloire de Dieu, sa seigneurie, sa volonté est toujours plus importante et plus vraie que ma pensée et ma volonté. Et c'est cela l'essentiel dans notre prière et dans notre vie : apprendre cet ordre juste de la réalité, l'accepter intimement ; avoir confiance en Dieu et croire qu'Il fait ce qui est juste ; que sa volonté est la vérité et l'amour ; que ma vie devient bonne si j'apprends à adhérer à cet ordre. La vie, la mort et la résurrection de Jésus sont pour nous la garantie que nous pouvons vraiment avoir confiance en Dieu. C'est ainsi que se réalise son Royaume.


Chers amis ! à la fin de cette liturgie, les jeunes d'Australie remettront la Croix de la Journée mondiale de la Jeunesse aux jeunes d'Espagne. La croix est en chemin d'un bout à l'autre du monde, d'une mer à l'autre.


Et nous, nous l'accompagnons. Nous progressons avec elle sur sa route et ainsi nous trouvons notre route. Lorsque nous touchons la Croix, mieux, lorsque nous la portons, nous touchons le mystère de Dieu, le mystère de Jésus Christ. Le mystère que Dieu a tant aimé le monde - nous - qu'il a donné son Fils unique pour nous (cf. Jn 3, 16). Nous touchons le mystère merveilleux de l'amour de Dieu, l'unique vérité vraiment rédemptrice. Mais nous touchons aussi la loi fondamentale, la norme constitutive de notre vie, c'est-à-dire le fait que sans le « oui » à la croix, sans marcher en communion avec le Christ jour après jour, la vie ne peut pas être réussie.


Plus nous pouvons faire aussi quelque renoncement par amour de la grande vérité et du grand amour- par amour de la vérité et de l'amour de Dieu -, plus la vie devient grande et riche. Qui veut conserver sa vie pour soi, la perd. Qui donne sa vie - quotidiennement, dans les petits gestes qui font partie de la grande décision - la trouve. Voilà la vérité exigeante, mais aussi profondément belle et libératrice, dans laquelle nous voulons entrer pas à pas, pendant le chemin de la croix à travers les continents. Veuille le Seigneur bénir ce chemin. Amen.


© Copyright du texte original en italien : Libreria Editrice Vaticana

Traduction : Zenit