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Mikado

Par Frédéric Romano
Lui : Regarde, je vais te faire un dessin…
Moi : … Heu ben ça c’est heu… c’est…
Lui : Ben ouais, ça c’est l’entrée de la foufoune !
Moi : Ha ouais, ok, j’ai compris…

Olivier avait le même âge que moi, il était le plus jeune fils de la famille dont nous allions louer la maison pendant trois années. Comme les “grands” devaient discuter des modalités d’occupation et de location, ils prièrent les enfants d’aller jouer dans les chambres, ce qu’ils firent bien volontiers. Tout naturellement, c’est Olivier que je suivis, pour quelques parties de Mikado sur le tapis de sa chambre. C’était au début de l’été 1988, un vendredi après-midi.

En début de soirée, mes parents montèrent à l’étage avec un large sourire. “Frédéric, nous allons y aller… tu dis au revoir à Olivier ?“. Les mikados s’effondrèrent, Olivier me salua et il me dit, avec une étonnante maturité : “hé bien, nous ne nous reverrons plus. Je pars avec mes parents en Afrique du Sud. J’espère que tu seras bien dans ma chambre“. C’était dommage, cet Olivier avait l’air gentil, nous aurions peut-être été amis si nous nous étions connus dans d’autres circonstances. Mais il disait vrai. Quelques semaines plus tard, j’installais mon lit à la place du sien. Nous étions tranquilles pour trois années de plus, trois années en famille, trois années à grandir.

Drêve du Petit Père Denis, un quartier à la limite de Braine-l’Alleud, entouré de champs et de bois. Qui n’a pas rêvé mieux pour grandir tranquillement ? En famille et entre amis. Car des amis j’allais en avoir. Après quelques semaines seulement, un samedi après-midi, ma mère m’appelait et me disait : “Frédéric, je pense que le voisin voudrait que tu lui rendes son ballon“. Je sortis au jardin sous le regard de ma mère qui souriait, heureuse et soulagée de nous voir si sociables, culpabilisant sans doute pour les trois déménagements précédents qu’elle nous avait malgré elle ”imposés”. Le jeune garçon s’appellait Cédric, il avait douze ans et pour trois années, il fut mon meilleur ami. De son initiative, je reçu la semaine d’après une lettre m’annonçant ceci : “Nous te souhaitons la bienvenue dans notre rue. Toi et tes frères, nous t’invitons à fêter ça mercredi après-midi“. C’est ainsi que je connu Michael, Alain et sa sœur Nadine, Stéphane et sa sœur Joëlle, Philippe et son frère Christophe, Valérie et Caroline. Tous les enfants du quartier et des environs étaient amis et ils passaient leur temps à pratiquer des jeux de pistes, à jouer au foot, au tennis ou tout simplement au Mikado.

Je pris petit à petit part à leurs amusements et mes frères suivirent. Comme dans toutes les belles histoires, le fermier nous détestait et les vieilles dames nous saluaient. Nous pouvions être tantôt diables, tantôt anges, selon l’humeur et les arrangements. En marge de cette sociabilité, je gardais un rapport plus intime avec Cédric qui me prenait pour un petit frère qu’il n’avait pas. Des escapades dans les bois nous ramenions parfois des caisses de magazines laissés par des promeneurs lubriques. Je feuilletais ces torchons avec l’œil innocent d’un enfant et posais ensuite quelques questions à Cédric : ”ils font quoi là ?“. Lui répondait : “bon ok, viens ici, je vais te faire un dessin sur le trottoir…“. Ce jour là, Cédric dessina avec la précision d’un professeur de biologie l’appareil reproducteur féminin et m’expliqua le grand secret de l’univers. J’avais dix ans et lui presque quatorze.

Le temps passa vite pendant ces trois années. Chaque mercredi, une casserole pleine de spaghettis et chaque samedi, une maison propre et un poulet qui cuisait dans le four. Une douce routine réconfortante pour une famille qui allait décidément de mieux en mieux. Je suis aujourd’hui fier de cette stabilité que mes parents nous offrirent et dont peu d’enfants peuvent se targuer. Au début du printemps 1991, une lettre recommandée nous confirmait le retour d’Olivier et de sa famille. Il était temps de plier bagages à nouveau. Cédric et ses parents étaient partis depuis janvier déjà. Ils avaient fait construire quelque part, ailleurs, dans le Brabant Wallon. Je ne sais ce que sont devenus les autres enfants du quartier. Cédric vit encore mon frère pendant quelques années. À dix-huit ans il devint la petite frappe qui terrorisait les rues de Braine-l’Alleud et à vingt ans il mettait enceinte sa petite amie. Après la théorie, Cédric était passé à la pratique.

Lorsqu’on quitta la maison de la drêve du Petit Père Denis, ma mère coinça un bout de plastique dans le tuyau de l’aspirateur. “Frédéric, je pense que ceci est à toi…“. Elle me tendit un bâtonnet blanc et noir, décoloré et poussiéreux. Stupéfait, je lui répondis : “Ho, une baguette de Mikado, ça doit bien faire trois ans qu’elle est là !“.


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