Le 22 janvier 2009 dans un colloque intitulé « Droit et solidarité » organisé à l’occasion de la rentrée solennelle du Barreau de Bruxelles, Jean-Paul COSTA, président de la Cour européenne des droits de l’homme a apporté une importante contribution à la justiciabilité des droits sociaux dans une intervention intitulée sur « La Cour européenne des droits de l’homme et la protection des droits sociaux ». Il a insisté sur le fait que cette thématique est “au coeur de se[s] préoccupations et de celles de [la] Cour”.
Il était accompagné par Françoise Tulkens, présidente de section, juge élue au titre de la Belgique, à laquelle le président Costa a rendu un hommage bien mérité “pour son engagement au service des droits de l’homme” - les lecteurs de ce blog (et particulièrement des lettres droits-libertés réalisées par Nicolas Hervieu) sont désormais familiers de ses opinions dissidentes toujours à la pointe du combat pour les droits de l’homme.
Or, précisément, le président Costa iniste sur le fait que la justiciabilité des droits sociaux est une “question d’intérêt majeur pour [sa] collègue et amie Françoise Tulkens” qui a, à plusieurs reprises, “traité cette question“.
Nous reproduisons ci-dessous quelques extraits pertinents de son discours qui vont dans le sens d’une justiciabilité des droits sociaux au même titre que les droits civils et politiques figurant dans la CESDH. Néanmoins dans la mesure où les droits économiques, sociaux et culturels (DESC) ne sont pas directement garantis par la Convention, leur protection ne peut être assurée que de manière indirecte, par ricochet, en se fondant sur des droits et libertés appartenant à la première génération (droit à la vie de l’article 2, vie privée et familialede l’article 8, liberté syndicale de l’article 11, principe de non-discrimination de l’article 14 ou du protocole n°12 ou encore la protection des biens de l’article 1er du premier protocole additionnel ) et en se référant à des sources externes comme le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) ou la charte sociale européenne révisée.
v. en particulier l’arrêt de grande chambre du 12 novembre 2008 “Demir et Baykara c. Turquie” (requête n° 34503/97 v. le communiqué ) et “Un arrêt test de la Cour de Strasbourg sur la liberté syndicale ” par Nicolas HERVIEU et Sylvia PREUSS-LAUSSINOTTE, CPDH, 14 nov 2008
Visite au Barreau de Bruxelles
23/01/2009
Le Président Costa a assisté, le 22 janvier 2009,
Discours du Président Costa
“Contrairement aux droits civils et politiques qui font l’objet d’une protectionjuridictionnelle ancienne et étendue, les droits économiques et sociaux, historiquement la deuxième génération de droits, sont moins bien garantis. Par exemple, les auteurs de la Convention européenne des droits de l’homme ont privilégié, comme l’a dit Maître Frédéric Krenc, des droits dont le contenu pouvait s’appuyer sur un consensus politique suffisamment solide et se couler dans des définitions juridiques fermes et précises. Dans l’immédiat après-guerre, il s’agissait des droits classiques fondés sur l’intégrité de la personne et sur l’idée de liberté (droit à la vie, interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants, ainsi que de l’esclavage et de la servitude, droit à la liberté et à la sûreté, droit au procès équitable, droit à la vie privée et familiale, liberté de pensée et d’opinion, liberté d’expression, etc.).
Or, il ne suffit pas que des droits soient affirmés : encore faut-il qu’ils soient protégés contre les atteintes qui leur sont portées.“
(…)Le système de la Charte sociale européenne, d’abord timide en matière de protection des droits garantis, s’est affermi pour aboutir à la création d’un mécanisme de réclamations collectives (mais non individuelles), traitées par un comité d’experts, qui peut conclure au respect ou à la violation de la Charte sociale et, le cas échéant, adresser une recommandation à l’Etat. Ce mécanisme est donc quasi-juridictionnel.
L’appellation du comité d’experts a d’ailleurs changé. Il porte maintenant le nom de Comité européen des droits sociaux, et la Cour suit de près sa « jurisprudence ». Elle la cite également, et s’en inspire, comme le montrent d’importants arrêts, tels que Sorensen et Rasmussen c. Danemark ou, récemment, Demir et Baykara c. Turquie.
On peut regretter l’absence de justiciabilité de la Charte devant notre Cour, car la protection juridictionnelle, par sa solennité, son autorité et sa valeur contraignante, est le mode de protection le plus efficace.
La réalité est heureusement moins négative : notre Cour a en effet élargi sa protection à certains droits économiques et sociaux. Le cloisonnement rigoureux prévu en droit n’a pas résisté longtemps à l’épreuve des faits.
(…)
Certes, la récente et grave crise bancaire, boursière et économique pourrait pousser les Etats dans la direction d’une restriction accrue en matière de droits sociaux, en raison du coût de leur protection. Inversement, et il y a là un paradoxe, mais seulement apparent, on peut aussi estimer que cette crise doit inciter nos sociétés à modifier leur rapport à l’argent, et à insuffler plus de solidarité et de justice sociale. Le retour de l’Etat peut être l’occasion d’un renouveau des droits sociaux.
Il faut en tout cas une sensibilisation des Etats, pour qu’émerge une volonté politique, seule susceptible d’élargir et d’approfondir les droits de l’homme, les droits de l’homme pour le XXIème siècle, car nous sommes certainement à un tournant important. Il faut, j’en suis profondément convaincu, un nouveau souffle pour les droits et les libertés”.
Ll’intégralité du discours en PDF