Cent semaines déjà que Nicolas Sarkozy a été élu. Il a été cette fois-ci affiché son volontarisme dans les plus hautes sphères internationales : la réunion du G20 à Londres, qu’il avait initiée, puis un sommet de l’OTAN à Strasbourg. Il retrouvait enfin un rôle à jouer à l’extérieur de nos frontières. Pourquoi faut-il qu’il caricature le débat, exagère ses colères, fustige des bouc-émissaires ? Sans doute pour cacher son désarroi à imaginer une sortie de crise.
Président satisfait Avant de partir aux sommets du G20 puis de l’OTAN, Nicolas Sarkozy a voulu partager son autosatisfaction avec les auditeurs d’Europe1. Mercredi, Jean-Pierre Elkabach s’est déplacé dans le salon Murat de l’Elysée, quelques heures avant le Conseil des Ministres, pour recueillir la parole présidentielle : il a répété son annonce sécuritaire de la semaine précédente, passée inaperçue. "Le simple fait d’appartenir à une bande armée, menaçante (...) sera punie d’une peine de 3 ans d’emprisonnement." Comme il a sauvé Gandrange, il a promis de sauver le site de Caterpillar en Isère. La veille, à Châtellerault, dans la Vienne, le président français avait lâché quelques renforts au pôle emploi : un temps désorganisé par la fusion des Assedic (15 000 agents) et de l’Anpe (30 000) en début d’année, le service de l’emploi va pouvoir recruter 1 840 agents supplémentaires. Le nombre de chômeurs a pourtant augmenté de près de 300 000 en trois mois. Côté médias, il a fait confirmer qu’il nommerait Jean-Luc Hees, réputé à gauche, à la tête de Radio-France le 12 mai prochain. L’ouverture à gauche se loge désormais dans les médias... Bref, tout va bien. Le Président à la "banane" !
Sarkozy caricature le G20 On ne reprochera pas à Nicolas Sarkozy de vouloir améliorer la régulation de la finance mondiale : la rémunération des traders incite à la prise de risques, les fonds spéculatifs sont mal encadrés ; les paradis fiscaux pullulent au grand désespoir d’Etats surendettés. La critique vise ailleurs : Sarkozy caricature le débat. Et il a occulté systématiquement d’autres éléments fondamentaux de la réunion du G20 : pourquoi l’Europe ne procède-t-elle pas à une véritable relance ? Quels moyens supplémentaires faut-il doter le FMI ? Quelle aide et quelle place dans la gouvernance mondiale accorde-t-on aux pays dits émergents ? Dans la crise actuelle, les économies, émergées ou émergentes, ont besoin d’un soutien financier public. A cet égard, le G20 n’a pas vraiment tenu ses promesses : les moyens du Fonds Monétaire International, comme ceux de la Banque Mondiale, ont été considérablement renforcés. Les 20 se sont également mis d’accord sur une relance de l’économie et de l’emploi, notamment par une accélération de "la croissance verte", l’augmentation de 4% du PIB de l’économie, et l’engagement à fournir l’effort budgétaire nécessaire pour restaurer la croissance. Néanmoins, aucun plan de relance coordonné ni effort supplémentaire de l’Europe n’a été retenu. Et la publication, jeudi en fin de journée, d’une nouvelle liste des paradis fiscaux ne change rien au secret bancaire. Mathieu Pigasse relevait cette semaine que le G20 est resté "très silencieux" sur les sanctions et les mesures de rétorsion à prendre à l’encontre de ces "zones de non-droit." Chacun sait que tout G20 ne règlera pas tous les problèmes. Il eut été simple de le dire, d’expliquer qu’un tel accord est déjà très bien Mais non. Pour Nicolas Sarkozy, le G20 a "éradiqué" le secret bancaire et les paradis fiscaux. C’est faux, mais ça impressionne le téléspectateur du journal télévisé de TF1.
Président immature ? Avant le G20, le président français a gesticulé. Il a fait semblant d’être terriblement déçu par la frilosité anglo-saxonne à l’égard du souci de régulation. Avant même d’en être, il a menacé de quitter le G20. On aurait dit un petit garçon tapant du pied pour qu’on cède à ses caprices. Barack Obama a semblé surpris. En arrivant à Londres, il s’est empressé de calmer le petit monarque : "Nous avons la responsabilité de coordonner nos actions et de nous concentrer sur les points communs et non sur des divergences épisodiques"" ; "les divergences entre les différentes parties [au G20] ont été très exagérées". Exagérées ? Par qui ? Lors des réunions du G20, Barack Obama a usé de diplomatie pour rapprocher les positions. Une attitude à l’opposé des menaces françaises : ""Je me suis engagé à respecter différents points de vue et à forger un consensus au lieu de dicter nos conditions. C’est comme cela que nous avons avancé ces derniers jours" a-t-il expliqué jeudi soir. Mercredi, Sarkozy s’était un peu calmé : « C’est embêtant pour moi de partir alors que je viens d’arriver ». Il a rejoué l’énervement contre les bouc-émissaires de la finance mondiale : la crise, c’est la faute aux "techniciens", une explication très vaseuse, que personne ne reprend ni ne comprend. Jeudi soir, mêmes caricatures : Nicolas Sarkozy tient à expliquer à la presse que son G20 a "acté que c’est la défaillance de la régulation qui est à l’origine de la crise financière, laquelle crise financière est à l’origine de la crise de l’économie". Pourquoi dépenser autant d’énergie à caricaturer la réalité ? Pour sauver la face ? Ou pour masquer un désarroi ?
Président boudé Vendredi, Nicolas Sarkozy avait enfin son entretien avec Barack Obama. Lequel a salué le leadership du président français. Dans la cour d’école européenne, le caïd, c’est Nicolas. Oublié l’affront du mois de janvier. Le 20 janvier, le président français avait félicité Obama le jour de son inauguration, tout en critiquant la débauche "bling bling" de cette célébration. Le président américain avait attendu deux semaines avant de le remercier. Cette fois-ci, Sarkozy jubile enfin. Après une heure et demi d’entretiens, il pouvait tenir une conférence de presse commune avec l’élu américain. Et Barack Obama ne tarit pas d’éloges... à double tranchant : « Sans son leadership, ce sommet (du G20) n’aurait pas été celui qu’il a été », puis : « Nicolas Sarkozy ne cesse de faire preuve d’imagination, de créativité » (...) « il est présent sur tellement de fronts qu’on a du mal à suivre ». Il a même remercié Sarkozy pour la réintégration de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN : « La France fait preuve d’un leadership courageux au sein de l’Otan grâce au président Sarkozy ». Plus loin, des heurts violents opposaient manifestants anti-OTAN et forces de l’ordre. En fait, Barack Obama ne pouvait faire mieux : à Londres, tous les observateurs avaient noté combien le président américain avait snobé son homologue français. Lors de la "photo de famille", Obama passe devant lui sans le saluer, pour aller surjouer son enthousiasme avec Medvedev et Berlusconi un rang derrière. Le petit caïd gaulois est remis à sa place.
Président impuissant Finalement, Nicolas Sarkozy ne semble ni comprendre ni vouloir comprendre les causes de la crise. La croissance mondiale s’est appuyée sur une bulle, celle d’un endettement généralisé des Etats et des ménages. On vit à crédit depuis des lustres, et pour toutes sortes de raisons comme financer des guerres (Irak, Afghanistan), ou compenser des pouvoirs d’achats sacrifiés (cf. le surendettement des ménages américains, la crise des subprimes, la faillite espagnole). On épuise aussi la planète. Dans une petite vingtaine d’années, les énergies fossiles seront inaccessibles, hors de prix ou épuisées. Face à ces défis, la France est impuissante. Et elle n’a pas le président visionnaire, ou à l’écoute que la crise exige. Il faudrait réflechir à une nouvelle économie, et non pas un toilettage incomplet, un nouveau partage des richesses, une nouvelle vision. Après son "travailler plus pour gagner plus", Sarkozy a simplement trouvé un nouveau slogan, simple et creux comme le précédent, sa réponse unique à tous nos maux : "moraliser le capitalisme". Le contraste avec la situation américaine est saisissant. Barack Obama parle d’investissements dans la recherche fondamentale, l’éducation des esprits, la protection du plus grand nombre, la responsabilité de chacun. Certes, il fait des erreurs et des compromis. Mais il les reconnaît et les assume. Il ne cherche pas systématiquement un bouc-émissaire. Quand AIG sert des millions de dollars de bonus à ses cadres, sa colère est publique, forte. Il a déjà plafonné le salaire des patrons des entreprises qu’il soutient, et viré le PDG de General Motors. En France, Sarkozy joue de sa grosse voix, publie un décret ridicule de minimalisme sur les bonus et stock-options (8 entreprises concernées !!), protège François Pérol, et couvre les dépôts occultes de ses amis dirigeants africains dans les banques nationales : on a en effet appris mercredi que le parquet de Paris s’oppose à l’ouverture d’une information judiciaire sur la plainte visant trois chefs d’Etat africains accusés d’avoir acquis en France des biens immobiliers grâce à des détournements de fonds... Belle Sarkofrance !
Président moralisateur de pacotille En Sarkofrance, le ménage n’est donc pas fait. Nicolas Sarkozy a beau jeu de crier au loup. Le magazine Alternatives Economiques, relayé par Marianne, a relevé combien les grandes entreprises françaises usent et abusent des paradis fiscaux. Terra Nova a rappelé que les listes noires sont inutiles si des sanctions fortes et précises ne sont pas établies et partagées. Pourquoi ne pas commencer en France ? Chaque jour qui passe révèle son lot de scandales en tous genres sur la gouvernance d’entreprise : retraites dorées pour les dirigeants de la Société Générale (lundi), de BNP Paribas (jeudi) ; enquête préliminaire sur la nomination de François Pérol à la tête des Banques Populaires et des Caisses d’Epargne (mercredi), etc... Le fameux décret, que le gouvernement a fini par lâcher mardi 31 mars, pour encadrer les stock-options et rémunérations variables des dirigeants de banques et des constructeurs automobile est stupéfiant de timidité. La question centrale, le partage des revenus et des efforts, est occultée, oubliée, sous-évaluée. Mercredi soir, le Sénat s’est même rebellé contre le gouvernement en élagissant la porté du décret anti-stock options et bonus à tous les sous-traitants de l’automobile et les entreprises aidées par le Fonds stratégique d’investissement (FSI). On attend toujours de la part de cette présidence si volontariste, un plafonnement des rémunérations des patrons d’entreprises aidées par l’Etat, sur le modèle de la décision de Barack Obama il y a deux mois. Du bouclier fiscal à la gouvernance d’entreprise, "Pas touche aux copains !" semble nous dire Sarkozy.
Les électeurs sont des citoyens adultes. Ils méritent un discours adulte et responsable. Moins de 100 jours après son entrée en fonction, Barack Obama est clairement président.
Plus de 100 semaines après son élection, Nicolas Sarkozy n’est toujours qu’un caïd.
Ami Sarkozyste, où es-tu ?
Juan de Sarkofrance