A quoi sert la sociologie ? Pour orienter la réflexion, deux citations de Bourdieu.
« Aujourd'hui, parmi les gens dont dépend l'existence de la sociologie, il y en a de plus en plus pour demander à quoi sert la sociologie. En fait, la sociologie a d'autant plus de chances de décevoir ou de contrarier les pouvoirs qu'elle remplit mieux sa fonction proprement scientifique. Cette fonction n'est pas de servir à quelque chose, c'est-à-dire à quelqu'un. Demander à la sociologie de servir à quelque chose, c'est toujours une manière de lui demander de servir le pouvoir. Alors que sa fonction scientifique est de comprendre le monde social, à commencer par les pouvoirs. Opération qui n'est pas neutre socialement et qui remplit sans aucun doute une fonction sociale. Entre autres raisons parce qu'il n'est pas de pouvoir qui ne doive une part - et non la moindre - de son efficacité à la méconnaissance des mécanismes qui le fondent. »
(Questions de sociologie, Minuit, 1980, rééd.1984, pp.26-27)
« Mon but est de contribuer à empêcher que l'on puisse dire n'importe quoi sur le monde social. Schoenberg disait un jour qu'il composait pour que les gens ne puissent plus écrire de la musique. J'écris pour que les gens, et d'abord ceux qui ont la parole, les porte-parole, ne puissent plus produire, à propos du monde social, du bruit qui a les apparences de la musique. »
(Dans un entretien avec Didier Éribon à propos de « La distinction », Libération, 3 et 4 novembre 1979. pp.12-13. Repris dans Questions de sociologie, Minuit, 1984, p.18)
Quels usages faire de la sociologie ?
" Malheureusement on peut toujours faire deux usages différents des analyses sociologiques du monde social, et, plus spécifiquement du monde intellectuel : des
usages que l'on peut appeler cliniques, tels que ceux que j'évoquais à l'instant en parlant de socioanalyse, en ce qu'ils consistent à chercher dans les
acquis de la science les instruments d'une compréhension de soi sans complaisance ; et des usages que l'on peut dire cyniques et qui consistent à
chercher dans l'analyse des mécanismes sociaux des instruments pour « réussir » dans le monde social (c'est ce qu'ont fait certains lecteurs de La Distinction en traitant ce
livre comme un manuel de savoir-vivre) ou pour orienter ses stratégies dans le monde intellectuel. Il va de soi que je m'efforce constamment de décourager les lectures cyniques et d'encourager
les lectures cliniques. »
(Réponses, Seuil, 1992, p.182)
Frédérique