Au fur et à mesure de ses deux mandats successifs – la transformation s'accélérant brutalement ces derniers mois – George W. Bush est devenu l'égal de Michael Scott, directeur en vente de papier dans la série The Office. Placés l'un comme l'autre à des postes dont ils ne possèdent ni les compétences, ni les plasticités (intellectuelles et humaines) nécessaires, ils mettent en scène leur autorité comme un enfant s'essayant au théâtre pour la première fois : alternance de tyrannie et de postures ébêtées, honteuses et mal assumées. Dans le rôle de Steve Carell comme dans celui de Junior, on en vient in fine à un renversement hiérarchique ; Michael Scott ne vise plus qu'à se faire aimer de ses employés et Bush, dans des tentatives désespérées de ne pas perdre la face à tout jamais, raconte des blagues à son auditoire et ironise son mal-être. Disparue, l'emprise qu'octroyaient leurs responsabilités : ils sont devenus ces mec bourrés qu'on oblige à se ridiculiser, debout sur une table, à faire des cabrioles dans l'espoir forcément déçu de retrouver un salut.
Chaque apparition médiatique de Bush est désormais plus triste et plus cruelle que la précédente. Comment avoir encore le courage de se présenter quand l'humanité entière s'accorde à nous définir comme un moins que rien ? Drôle de cadeau empoisoné que le trône du monde pour un ancien alcoolique incapable d'exister hors des traces de son père. Pas très fûté, avec une inclination lisible vers la dépression, Bush ne pouvait de toute façon pas réussir à cette position – et le moins que l'on puisse dire est que le résultat est sans ambiguïté. Alors, on peut nous aussi taper sur lui comme les autres, rouer de coup l'animal blessé, mais on peut également éprouver de la compassion, quelque chose qui n'exclut en rien un jugement politique sans pincettes. Bush est effectivement un responsable scandaleux et simultanément un homme pathétique et même touchant.
Ces derniers temps me donnent envie de regarder autour de lui la façon dont la haine et le mépris se propagent. Les républicains renient un monstre qu'ils ont pourtant clairement enfanté et dont ils sont coupables : la réélection de 2004 est bien le tampon d'une bétise que le sacre d'Obama ne doit pas occulter. Après tout, à ce moment-là, le personnage était déjà bien campé et les Américains se sont, en toute connaissance de cause, tirés une balle dans le pied. Quant à ce qui a motivé ce billet d'humeur, il s'agit de la façon malheureuse avec laquelle Bush a été snobé au G20 (la vidéo est à voir ici). Dans la mesure où ce dernier n'est plus président que dans le costume, ses invités ont considéré pertinent de rompre la douce hypocrisie qui baignait les rapports transatlantiques depuis huit ans. Ils ne l'ont pas salué ni même jeté le moindre regard. Il fallait faire comme s'il n'existait pas. Tout ça est aussi subversif qu'un sketch d'Anne Roumanoff – à ceci près qu'elle vise le rire et pas l'humiliation.
L'image met mal à l'aise : W avance tête basse, aussi rapidement qu'il le peut, les poings fermés et les bras lourds. On a l'impression qu'il pourrait se mettre à pleurer ou même, pourquoi pas, dans un bruit sourd disparaître en fumée. Il s'envolerait dans une drôle d'ascension métaphysique, le visage ahuri, braqué sur le seul qui daigne encore lui préserver sa dignité, son Dieu à lui. Dans ce tableau un peu cartoonesque tout le monde accomplirait son désir : Bush trouverait l'apaisement chrétien, il habiterait un ranch éternel, coupé des railleries d'une population qui aurait ce qu'elle voulait, a Dead Texan.
The Dead Texan - The 6 Million Dollar Sandwich
The Dead Texan - Aegina Airlines
The Dead Texan est un projet solo d'Adam Wiltzie, bien connu pour être un des deux cerveaux du groupe néo-classique Stars of the Lid. Ici il rend sa musique plus chaleureuse, moins squelettique. On y décèle beaucoup plus facilement son ancrage rock indé. Les deux morceaux que je vous propose illustrent le texte et particulièrement sa fin. Au-delà de l'adéquation hasardeuse entre le nom de cet album et la torture tranquille à laquelle est soumise Bush, ce décor désertique qu'évoquent tour à tour The 6 Million Dollar Sandwich et Aegina Airlines semble bien représenter cette solitude, ce manque-à-être dont notre bientôt retraité est le porte-drapeau.