Sapin : prix culturel décerné traditionnellement au moment de Noël. Il peut être d'or, d'argent ou de bronze et concerne nécessairement une discipline artistique (il est le plus souvent cinématographique, musical ou littéraire). Le sapin a été inauguré afin de célébrer les œuvres qui honorent le mieux l'année écoulée. Il est pour cela au carrefour de considérations bien différentes. Premièrement, le sapin est un choix affectif et donc éminemment subjectif. Il ne peut en aucun cas être simplement théorique ou rationnel. Le sapin est ensuite une œuvre lumineuse ; comme l'appellent les fêtes de fin d'année il se doit d'être généreux et porteur d'espoir. Enfin, le sapin doit constituer un symbole de l'année mourante. Il ne peut pas être une création totalement endogène, il doit témoigner de son époque. Le sapin n'est donc pas forcément l'œuvre la plus marquante de l'année, ni la plus ambitieuse, il est l'objet qui répond le mieux aux problématiques sociales, artistiques et individuelles que chacun est en droit de se poser en tant que citoyen, en tant qu'esthète et en tant que sujet. Tout ceci en ne perdant pas de vue que si certaines œuvres sont des bombes, la sapin est toujours un cadeau. L'hiver rigoureux qui nous attend avait besoin d'un sapin solide et indiscutable. Je suis donc heureux, en ces temps de neige, de pouvoir remettre un trophée qui ne souffrira d'aucune contestation. Parce qu'il est le disque qui synthétise le mieux tous les travaux de 2008, parce qu'il possède en plus une féérie toute enfantine, dans la catégorie musique, j'attribue le sapin d'or à Daedalus pour son superbe Love to Make Music ToJe ne peux maintenant pas faire l'économie d'une vraie argumentation sur ce choix, d'abord parce qu'il n'est pas un album ayant passé dans beaucoup de sillons auditifs, ensuite parce que le sapin ne jouit pas encore d'une réputation suffisante pour que son seul palmarès fasse autorité. Daedalus, donc, est un beatmaker américain signé entre autres chez Ninja Tune et Big Dada, qui pour son neuvième album en sept ans (!) arrive à rendre compte de façon intelligible de toutes les musiques qu'il picore (sous son nom, avec Busdriver ou d'autres). Love to Make Music To est en cela un album terriblement dense : chaque morceau est une nouvelle mutation entre des références aussi variées que le son de Baltimore, la pop sixties,
la musique rave, le r'n'b ou l'abstract hip-hop. A priori difficile d'accès, il doit plutôt son exigence à une compréhension sidérante de la modernité musicale ; quand Switch, Diplo ou Spank Rock tiennent le hip-hop par les couilles, quand l'Angleterre parle encore de nu-rave et de post-funk, quand enfin le folk innonde tout l'espace médiatique parce que ça fait bio, Daedalus, lui, s'imprègne de toutes ses tendances super-contemporaines pour les réinjecter dans sa mythologie personnelle. Un peu comme ces grands rêveurs de Flotation Toy Warning, Alfred Darlington s'invente une vie. Il serait un découvreur du XIXème revenu du futur avec de la musique plein les oreilles et dès lors considéré comme un illuminé rempli à raz bord de sons diaboliques. Au-delà de cette péripétie un peu improbable, Daedalus possède effectivement une âme de machiniste un peu romantique, très ancré dans l'ère victorienne – regardez comment il s'habille ! – et assailli de pensées grandioses et irréalisables. Pour ne pas ressortir les livres d'histoire, on peut en fait transposer cette drôle d'identité à un personnage beaucoup plus actuel et pas moins imaginaire. Tout cela me rappelle ce petit bricoleur nostalgique qu'est Wall-E, lui qui, avec des restes de technologies, un bric-à-brac de bouts de férailles, se reconstruit une chambre d'enfant et des rêves de gosses.
Daedalus - Make it So
Daedalus - Touchtone
Daedalus - I Car(ry) Us