Passons sur 'Cloverfield' comme 'le projet Blair Witch' macroscopique, la comparaison est facile, fermée sur elle-même et en cela ne permet pas de délimiter ce qui, dans le film Matt Reeves, spécifie une nouvelle façon d'aborder la caméra intradiégétique. Une nouvelle utilisation qui, en somme, ne vise pas tant à localiser l'horreur dans le hors-champ qu'à la situer frontalement, en plein dans les yeux. Cette caméra ne cache rien, elle ne suscite que peu le registre de l'imaginaire, elle est au contraire pleinement dans la pulsion scopique : il faut voir autant que possible, autant que le destin des héros le permet, y compris à l'instant de la mort. L'objet-caméra se personnalise en quelque sorte, devient animal, affamé de la seule chose qui peut le nourrir, des images encore et toujours.
L'énorme charge projective que possède Cloverfield vient précisément de là, de cette absence manifeste de mise en scène ; débit incontrôlable de l'image, soubresauts de la technologie comme premier principe de montage. Les personnages en action traînent parfois la caméra comme un boulet qui les retarde et les rend imprécis, mais sont pris dans une espèce d'injonction à filmer qui les dépasse, qu'ils n'arrivent pas à justifier autrement que par la stéréotypie : ils continuent à « faire voir », à ne rien dissimuler, à montrer au péril de leur vie et même leur dignité, tout ça pour en fait présenter un bloc de réel pur, aride, impossible à décrire et encore moins à romancer. Stupéfaction du spectateur, donc, d'avoir affaire à des images qui se suffisent à elles-mêmes, qui se substituent à la parole sans jamais la représenter.
La première moitié de Cloverfield très immersive ; elle l'est précisément trop. Jusqu'à l'accalmie dans la bouche de métro, l'intensité va crescendo : sidération massive face aux destructions du monstre-terroriste, face au viol des militaires qui en un instant inondent l'espace - géographique et sonore, hyper-réalisme des comportements qui vire à l'insoutenable dans la station où Rob est obligé de dire la mort de son frère. À ce moment du film quelque chose bascule, et je pose l'hypothèse que c'est en réaction à cette image à laquelle on se colle trop. Dès lors, si le dispositif filmique ne change pas, c'est bien la diégèse en elle-même qui perdra son exigence de l'illusoire et redeviendra scénario, lignes d'une écriture fantaisiste et sans complexe. Rappelons à ce titre cette scène en hélicoptère complètement anachronique : le monstre, pataud et mal agile, se débat contre l'armée cent mètres en contrebas, mais affaibli il réalise un bond impossible, de l'ordre de trois ou quatre fois sa propre taille pour faire décrocher l'hélicoptère. Ce dernier chute des cieux à pleine vitesse et en s'écrasant laisse tout de même trois survivants, dont l'un se fera manger dans une séquence qu'on croirait extraite de Komodo.
On pourra regretter ce changement de bord, ce revirement vers l'incohérent et le spectaculaire, mais peut-être est-ce aussi une réponse du film à son propre dispositif, une sorte de débouché maladroit à la crise éthique qui s'instaure en son sein : qu'en est-il du fantasme d'être dans l'image, de ne plus faire qu'un avec le projecteur ? À ses questions Cloverfield répond donc par un point de butée, une limite théorique à partir duquel le cinéma devient béhavioriste, infléchissant mécaniquement la réaction du spectateur. Matt Reeves ne s'aventurera pas dans ce terrain dangereux, il est bien suffisant pour lui d'en baliser les frontières : tout cela n'est finalement qu'une absurde histoire de monstre (évanoui le parallèle du 11 septembre), peut-être vaut-il mieux réserver le simulateur aux parcs d'attractions, à l'effroi lucide, consenti et rigolard, et si cela n'est pas assez sérieux, on pourra choisir la solution tragique, la ligne droite amoureuse qui parcourt le film littéralement de bout en bout, début et fin de cassette.
—Dennis Ferrer - Hit It Off
Je ne peux pas reprocher grand chose à Dennis Ferrer. Il est vraiment un type solide, peut-être le plus irréprochable de Defected avec Dj Gregory et bien sûr Osunlade. Mais je ne peux pas m'empêcher d'y voir de temps à autres une musique décorative, trop linéaire et désintéressée. Là, avec Hit It Off, je retrouve ce caractère transcendant que je peux tant aimer en musique électronique : quelque chose de rachitique, simple comme bonjour, mais qu'on ne voudrait jamais voir s'arrêter. Trop Disco-Soul.