Cette définition est déjà elle-même, en partie, une transformation de la notion habituelle, culturelle, formelle, de poème. Mais, je dirais, plus en apparence qu’en partie. Parce que je pose qu’un poème a toujours été cela, que c’est un universel poétique, dont Mallarmé approche, ou qu’il implique allusivement, et, là, partiellement, quand il oppose, dans sa réponse en 1891 à l’enquête littéraire de Jules Huret, nommer à suggérer.
De cette définition sortent, à mon sens, quatre conséquences.
La première est qu’un poème est un acte éthique. Parce qu’il fait du sujet, il vous fiat du sujet. De qui l’écrit, d’abord, fondamentalement, mais aussi, et autrement, de qui le lit et éventuellement en est transformé. Si c’est un acte éthique, un poème n’est un poème que s’il est d’abord un acte éthique, qui transforme à la fois une vie et un langage et par là transforme aussi l’éthique : c’est une éthique en acte de langage. Sa poétique n’est rien d’autre. Toute la différence avec l’esthétique.
La deuxième conséquence est que, étant la définition même du poème, ce qu’on appelle la poésie ou plutôt l’histoire de la poésie, en est pleine, puisqu’elle est faite de poèmes, et elle le vérifie constamment. Ce qui devrait constituer aussitôt un critère pour reconnaître un poème de ce qui fiat tout pour ressembler à la poésie. Mais non, parce que l’histoire de la poésie en est tout aussi pleine. Ainsi la question des critère tient toute dans la notion même de valeur. Toute la différence avec les produits du marché ou de la mode. La poétique est l’éthique du poème.
Troisième effet, cette définition du poème déborde la définition traditionnelle, qui est essentiellement une définition formelle : les poèmes à forme fixe. Elle englobe tout ce qu’on peut appeler art du langage. En ce sens un roman n’est un roman que s’il a du poème en lui. A chaque phrase. Et ce n’est qu’un exemple parce que tout ce qu’on appelle les genres littéraires y est inclus. Et tout autant ce qui est de l’art de la pensée, qui fait un poème de la pensée.
D’où la notion apparemment étrange d’un athéisme du divin, ou d’une athéologie du divin de la vie, qui n’est autre qu’un humanisme radical, déthéologisé, faisant d’une éthique du sujet un universel anthropologique et poétique, faisant de l’anthropologie une poétique, de la poétique une anthropologie. Et de la poétique du divin l’infini de l’histoire, l’infini du sens.
Le signe fiat une anthropologie de la totalité, ou de totalisations telles que chaque fois un plus un égale tout, comme la forme et le contenu sont le tout du signe. Mais le poème est l’infini du sujet, et l’infini du sens.
D’où une autre conséquence de l’éthique du langage et de l’éthique du poème, c’est la nécessité d’une éthique du traduire.
Henri Meschonnic
Ethique et politique du traduire
Edition Verdier, p.27-28