Après l'enchantement de la pentalogie du Poids des secrets, le ravissement de la lecture de Mitsuba, je me suis plongée avec délice dans le nouveau roman d'Aki Shimazaki, Zakuro.
Tsuyoshi Toda n'a plus vu son père depuis que ce dernier est parti en Mandchourie, en 1942, travailler pour la gloire du Japon. Les dernières nouvelles reçues fut celle de sa déportation, après sa capture par l'armée russe, en Sibérie où semble-t-il il a perdu la vie. cependant, malgré les années, sa mère est toujours dans l'attente d'un retour, de plus en plus improbable, de l'homme qu'elle épousa malgré la désapprobation de sa famille.
Un jour, un de ses amis lors d'un séjour en Californie, lui rapporte avoir vu son père dans un restaurant. Renseignement pris, son père serait propriétaire d'un restaurant au Japon, à Yokohama. Tsuyoshi est bouleversé et après mûre réflexion décide de prendre contact avec son père. C'est alors qu'il apprend la raison de ce silence, qu'il découvre le secret douloureux de l'homme qui fut son père et que ce dernier offrira le plus beau des présents à sa mère.
Aki Shimazaki, avec son art habituel, explore à nouveau le douloureux passé japonais, ce passé que l'Histoire japonaise tente d'effacer de la mémoire collective, comme si cela était un poids trop lourd, trop honteux, à porter. Subtilement, joliment, poétiquement, sans avoir l'air d'y toucher, Shimazaki retrace le désarroi de l'absence inexpliquée, la douleur de l'attente d'un corps qui ne revient pas, la souffrance provoquée par les demi-mensonges et semi-vérités que les diverses administrations peuvent avancer pour tenter de répondre à ceux qui sont restés au Japon.
Le fil conducteur est le zakuro, le grenadier qui parcourt le texte tel un ikebana de mots et d'images plus poétiques les unes que les autres. Entre les feuilles du grenadier, ses fleurs et ses fruits, se déroulent les conditions de retour des prisonniers japonais vers leur patrie après les multiples tractations entre le Japon et l'URSS: le bateau qui les éloigne à jamais de l'enfer peut se révéler être un passage vers un autre enfer, celui de la culpabilité du sang versé...dans les camps, il se trouve toujours des hommes pour faire souffrir leurs semblables, leurs compatriotes. La vengeance est un plat à l'amère saveur lorsque l'on est un japonais au sens de l'honneur bien ancré, au sentiment de honte exacerbé.
Le zakuro, fruit préféré du père de Tsuyoshi, image de l'intime recherche de la vérité bouleversant la vie d'une famille comme la neige recouvre de ses flocons, subtile et douce, les branches du grenadier: peu à peu la douceur légère des flocons d'une pure blancheur pèse sur les branches pour les alourdir d'une eau cotonneuse étoilée. "Je regarde le jardin, où il est tombé quelques centimètres de neige. L'arbre du zakuro en est légèrement couvert. Je me demande si ma mère aussi regarde la neige par la fenêtre de sa chambre. Je ferme les yeux et je vois l'image de mes parents qui dansent, tout vêtus de blanc." (p 149). Le zakuro est aussi le symbole de l'amour (le grenadier du jardin est honoré par la mère de Tsuyoshi toujours unie à son mari disparu par un amour indéfectible), de la fécondité et de la sottise (dans le langage des fleurs, celle du grenadier est l'image de la fatuité, de la suffisance)...sottise de l'absurde culpabilité du père qui ne peut reprendre le cours normal de son histoire intime, sottise de l'esprit rationnel qui refuse de croire aux espoirs de la mère qui se perd dans les méandres de la sénélité, sottise d'un passé qui refuse de se dire et de s'assumer?
Avec Zakuro, Aki Shimazaki offre à ses lecteurs une nouvelle page de poésie, de beauté tout en retenue, de narration subtile de la douleur et du passé inavoué de son pays d'origine, le Japon. L'ensemble est (je plagie Sérial lecteur qui a trouvé la juste formule) "Tout simplement beau".
Les avis de naïna bellesahi michel frisette mandorine