L'auteure s'interrogeait sur la conscience du monde civilisé et s'exprimait en ces termes : "Peut-être ne faut-il pas toujours mettre cette conscience sur le compte des autres, des entités, du Général de Gaulle, (…) des armées alliées, du président Roosevelt, c'est trop facile. La conscience du monde civilisé c'est aussi très humble, c'est la nôtre, c'est la vôtre, c'est la mienne. Nous sommes tous responsables, les hommes sont responsables les uns des autres, l'histoire est faite d'un enchaînement infini de tout un réseau de responsabilités."
Quoique prononcée en des circonstances évidemment exceptionnelles et dramatiques, il me semble que cette phrase devrait retentir avec force dans le contexte actuel. Elle est en effet d'une puissance politique et sociale qui n'a rien perdu de son actualité, alors même que depuis de nombreuses années l'individualisme démocratique mâtiné d'irresponsabilité généralisée menace de grignoter, pas à pas, lentement mais sûrement, toute notion d'intérêt général et de bien commun.
Ces derniers mois, aussi bien dans le contexte national (la France et les réformes) qu'international (la crise financière), chacun comprend bien que le simple citoyen de bonne volonté se retrouve complètement piégé entre deux manichéismes :
-- d'un côté, le syndrome du "catch 22" dont j'avais parlé en novembre 2007 au sujet de la réforme des Universités (d'ailleurs les manifs sur cette question, qui avaient cessé pendant plusieurs mois, ont repris avec force depuis déjà de nombreuses semaines) mais qu'on aurait tout aussi bien pu appliquer à n'importe quelle autre réforme. Grosso modo chaque corporation, chaque petit morceau social représentant un métier ou un groupe d'intérêt, ne voit pas plus loin que le bout de son nez et ne cherche plus à préserver un intérêt général un peu plus élevé, un modèle politique et/ou social qui profite un peu à tous, et se contente de demander ou de défendre toujours plus dans tous les sens.
-- d'un autre côté, un pouvoir qui fait des choix éminemment contestables à un instant T (le fameux "pack fiscal") et qui ne semble absolument pas en mesure, qu'il pleuve, qu'il vente, que la crise financière soit passée par là, d'éventuellement se remettre en question, ne serait-ce qu'en tentant une réelle évaluation des mesures mises en œuvre pour voir si oui ou non elles ont un effet positif ou négatif et en tirer les conséquences.
Alors que faire ? Peut-être précisément méditer cette belle phrase résumée par la maxime "Nous sommes tous responsables" et nous consoler de la médiocrité politique ambiante en comprenant que c'est nous tous, chacun dans notre coin, qui contribuons à cette médiocrité et qu'il ne devrait théoriquement tenir qu'à nous, chacun ajouté l'un à l'autre, d'y remédier. Après tout, la société est-elle autre chose que l'agencement des individualités qui la composent ?
N'est-il pas trop facile de vouloir toujours s'en remettre à des gens que certes nous élisons mais qui ne peuvent pas tout ? N'est-il pas trop facile de donner toujours la faute aux autres et jamais à soi un petit peu ? N'est-il pas trop facile de rêver à un monde parfait, toujours autre, par définition inatteignable, pour s'exempter de nos responsabilités concrètes ici et maintenant ?