Le tableau dont Arturo Pérez-Reverte parle dans le titre de son livre a été peint par le peintre flamand Pieter Van Huys en 1471. Vous ne le connaissez pas? Moi non plus. Il a été complètement inventé par l'auteur. Deux chevaliers s'y affrontent aux échecs avec, derrière eux, une dame, vêtue de noir, un livre entre les mains. La toile se trouve à Madrid, chez Julia qui est restauratrice d'art et qui doit nettoyer le tableau pour une prochaine vente. Mais une radiographie qu'elle fait lui montre une curieuse inscription, dissimulée sous une couche de peinture par le peintre lui-même: "Quis necavit equitem?" C'est-à-dire: "Qui a tué le chevalier?".
Il y a deux mouvements ensuite. Grâce à un expert en échec et en remontant de quelques coups la partie, Julia découvre que l'un des joueurs qui avait été assassiné ne l'avait pas été par celui qu'on accusait depuis cinq siècles mais par quelqu'un autre. Deuxième mouvement: quelqu'un reprend la partie en cours, assimile les pièces du jeu d'échec à Julia et à son entourage, et continue à jouer, tuant réellement les vivants que les pièces symbolisent.
Ça vous semble compliqué? Rassurez-vous, si le scénario est assez machiaviélique, et les personnages manipulateurs, vous n'aurez aucune peine à comprendre tellement Arturo Pérez-Reverte a le sens de la pédagogie et prend ses précautions pour que tout soit clair, détaillé, précisé, au point que le texte semble bientôt longuet, appliqué, délayé et téléphoné. Il vous apparaitra assez vite que vous êtes bien plus intelligent que les personnages décrits, et les énigmes proposées ne vous sembleront pas si insolubles que ça.
Un exemple: ce n'est pas pour me vanter, mais je suis un joueur d'échec très médiocre. A peine si je connais le maniement des pièces et n'importe qui peut me flanquer une rouste sur l'échiquier. Mais alors que l'expert du livre, qui pourrait vaincre les plus grands maîtres du monde paraît-il, met un jour entier et plusieurs pages pour retourner en arrière d'un coup dans le jeu, il m'a fallu cinq minutes. C'est la même chose avec l'assassin: je l'ai découvert cinquante pages avant ces êtres d'une finesse et d'une déduction extraordinaires.Il y a donc deux solutions: soit je suis un génie, soit Arturo Pérez-Reverte nous prend un peu pour des cons.
Arturo Pérez-Reverte, Le tableau du maître flamand, Le livre de poche