Paso Doble n°132 : Faut-il occire l’Occident ?

Publié le 05 avril 2009 par Toreador

A las cinco de la manana…

Reactio Occidentalis

Kiwis avait produit, par scission, LHC. Voici que par scissiparité, les fondateurs de LHC, outés par Jegpol, sortent du bois et fondent un nouveau réseau de blogs qui s’appelera « Renovatio Occidentalis« , en s’inspirant des thèses de Philippe Nemo. L’objectif s’inscrit dans une lecture culturaliste des relations internationales, dans la droite ligne d’un Samuel Huntington et autres néoconservateurs américains : « Face à l’évolution du monde, nous, blogueurs occidentalistes francophones, estimons nécessaire pour les nations occidentales de s’unir politiquement, afin d’être plus fortes, et ainsi de pouvoir faire face aux défis du XXIe siècle. Pour autant, l’Occident ne pourra se passer d’une refondation morale. »

Evidemment, Criticus jubile que la Gauche lui soit tombé dessus à bras raccourcis, tout en se posant comme victime de l’intolérance. Approche culturaliste, invocation de la nécessité de régénération morale, constat de la décadence – il faut dire qu’il fait tout pour provoquer – ou pour exister. Sans rentrer dans le débat sur l’utilité d’un tel réseau, ni sur cette manie qu’a Criticus de multiplier les groupes avec des Chartes, je vais essayer de décrypter sur le fond les incohérences de ce projet. 

Guerres identitaires

Le réseau se définit comme un antidote à 4 idéologies : nationalisme, européisme, atlantisme et  mondialisme. Cette profession de foi est cependant relativement contradictoire avec le logo de R.O, dessiné par Lomig, qui reprend l’étoile de l’OTAN, symbole de l’atlantisme triomphant. D’ailleurs les deux rédacteurs de la Charte, qui « se réclament de la civilisation occidentale, héritière de l’Antiquité gréco-latine et des religions juive et chrétienne » prennent bien soin dans la suite de leur texte de « réaffirmer leur amitié profonde et indéfectible à l’égard de l’ensemble des nations occidentales, notamment les États-Unis, ainsi qu’à l’égard d’Israël. » Barack Obama sera sans doute rassuré et dormira mieux ce soir. 

En réalité, c’est l’aveugle qui dénonce le borgne. L’occidentalisme cherche à définir une identité qui ne soit ni la France, ni l’Europe, ni le Monde, ni l’Atlantisme. C’est une idéologie prédatrice, ni plus, ni moins, que les autres. Il s’agit d’une approche intéressante cependant car le concept d’Occident est récent. Il a émergé pendant la guerre froide, pour définir le monde libre par rapport au bloc soviétique.  Je prétends que le concept d’Occident est un slogan identitaire voulue par les Américains pour donner un sentiment d’appartenance commune. D’ailleurs, le mouvement d’extrême droite « Occident » se définissait comme anti-communiste, puis a progressivement évolué vers le pro-américanisme. 

Il est donc assez piquant de constater que le réseau Renovatio Occidentalis veuille conceptualiser l’Occident sans l’atlantisme, Romulus et Remus de la Guerre froide. Ses parrains s’en expliquent en commentaires en faisant émerger un concept d’Occident multi-polarisé, par opposition à un Occident sous hégémonie américaine. Néanmoins, si l’Occidentalisme réfute l’Europe comme contre-poids à la puissance américaine et se détourne dans le même paragraphe de la vision gaullienne, qui met la Nation française seule face au reste des puissances occidentales, je vois mal sur quelles bases concrètes pourrait émerger une telle multipolarité. L’Occidentalisme est un intellectualisme idéalisé.

 Le monde de Nemo

La Charte du réseau est d’ailleurs elle-même assez contradictoire sur ses inspirations, en cherchant à marier deux identités contraires. N’oublions pas que pendant longtemps, l’Europe n’a pas existé. Le véritable bassin de civilisation était la Méditerranée, avec une culture gréco-romaine qui a uni les deux rives de la Méditerranée. C’est l’émergence de l’identité Chrétienne qui a progressivement scindé la mare nostrum entre une Europe soumise aux Papes et une rive sud dominée par les Califes. En proclamant que l’identité Occidentale est l’héritière à la fois de l’Antiquité Gréco-latine et du monde judéo-chrétien, les concepteurs de Renovatio Occidentalis commettent donc non seulement un contre-sens historique, mais aussi sapent les propres fondements de leur idéologie. Le monde arabo-musulman est lui aussi l’héritier du monde gréco-latin : faut-il l’inclure dans l’Occident ? 

En lisant Philippe Nemo, je me suis aperçu que Criticus et Gabriel Bendayan n’ont fait que reprendre ses erreurs. Nemo, par exemple, prétend que la civilisation musulmane est extra-occidentale et reliée à nous par la Bible. Il réfute en revanche que le monde arabo-musulman puisse être héritier du monde gréco-latin, en pointant : 

« Bien que l’islam se soit installé, pour moitié de son expansion, dans des sociétés qui avaient été gréco-romaines et chrétiennes et qu’il ait reçu d’elles une forte empreinte, il serait difficile de soutenir qu’il avait fait siens les principes du civisme grec et ceux du droit romain. Il est vrai que la philosophie islamique s’est nourrie de la philosophie grecque, mais elle s’est surtout intéressée, dans celle-ci, à des questions métaphysiques et mystiques qui ne sont pas [...] celles qui ont joué le rôle le plus important pour la constitution des sociétés occidentales modernes. Il est vrai aussi que les Arabes ont relayé les acquis scientifiques des Grecs et apporté à la science, entre les IXe et XIIe siècles, des contributions originales. Mais on ne peut que constater que la science ne s’est acclimatée durablement dans aucune société musulmane. Il faut bien qu’il y ait eu à cela des raisons profondes tenant à la structure des mentalités et des représentations du monde imposées par la religion. « 

Il s’agit d’une argumentation qui se rapproche de celle de Benoît XVI à Ratisbonne, sans cependant en avoir la subtilité. Benoit XVI défendait, à grands traits, l’idée que la Foi chrétienne s’était basée sur la raison, alors que la Foi musulmane, fondée sur l’obéissance, avait exclu toute construction rationalisante. Nemo développe un argument qui est tout autre et inverse les deux héritages. Pour moi, le monde arabo-musulman n’est pas lié à nous par la Bible. Le concept de « religion du livre » est une fumisterie car ce n’est pas le même livre. Le Jésus du Coran n’a ni le même rôle ni le même message que le Jésus de la Bible. Et l’islam prétendent que la Thorah et la Bible sont des versions dévoyées du livre suprême conservé au-delà du jujubier de la limite, dans l’équivalent du paradis musulman. Expliquer que « la science ne s’est pas acclimatée » dans les sociétés musulmanes est un raccourci qui mériterait des explications. Disons de manière plus précise que l’héritage de l’Empire romain d’Orient, celui de Constantinople, pont entre l’Europe et l’Asie, a été progressivement « oublié » dans les pays arabes, au profit d’un autre vecteur identitaire. Réduire  le monde arabe à l’islam est cependant de courte-vue, car ces héritages n’ont pas disparu. Ainsi, il y a cinquante ans, c’est le panarabisme laïc qui dominait intellectuellement cette région voisine de la nôtre.  

Voilà pourquoi je pense que l’Occidentalisme est un concept incohérent. Il a le mérite de clarifier cependant le positionnement des inspirateurs de LHC qui, jusqu’ici, se retranchaient derrière l’étiquette de libéraux. Désormais, on le sait, il s’agit d’une néo-droite culturaliste. 

Update chez LHC :

Le départ de LHC de Rubin

Les interrogations de l’Hérétique

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