Succès, vous avez dit succès ? Eva joly, l’ancienne magistrate franco-norvégienne spécialisée dans les dossiers politico-financiers ne cache pas son scepticisme face aux mesures issues du sommet du G20 de Londres. Rien de plus à ses yeux qu’un “pur exercice de communication“. Une appréciation peu relayée mais pourtant largement partagée par de nombreux spécialistes.
“Le temps du secret bancaire est révolu” affirme la déclaration finale du G20. Un peu présomptueux. Du mieux sans doute en terme de coopération et d’échanges d’informations mais, guère plus. Le communiqué final, indique que les pays du G20 prévoient des sanctions à l’encontre des récalcitrants sans préciser toutefois lesquelles. Seule indication, les travaux préparatoires du sommet et un rapport de l’OCDE de 2002. Elles iraient de la sanction fiscale, la dénonciation d’une convention fiscale passée avec des pays qui ne respecteraient pas la règle du jeu, à la sanction non fiscale à savoir suspendre les transactions financières avec les pays non coopératifs.
Eva Joly fait remarquer que pour être efficace, il conviendrait de s’attaquer aux structures juridiques, aux trusts, qui permettent de cacher l’identité de leurs bénéficiaires. Même son de cloche du côté d’Henri Guaino et de Jacques Attali qui tempèrent l’enthousiasme médiatique. Alors que Dominique Strauss-Kahn, directeur du FMI, parle du “plus grand plan de relance coordonné jamais décidé”, l‘ancien sherpa de François Mitterrand estime que ce ne sont pas les bonnes intentions qui vont régler les problèmes.
Sur France Info, l’ancien dirigeant de la BERD a salué le début d’une gouvernance mondiale mais émit de sérieuses réserves. “Il y a une bonne intention mais on se permet quelques turpitudes assez graves” comme de “vieux alcooliques” qui boivent un dernier verre pour fêter la fin de leur addiction. Selon lui, les décisions prises ne permettront pas d’arrêter les manipulations ou les excès de spéculation. Pour ce qui est des paradis fiscaux,Jacques Attali estime qu’il ne s’agit que d’un “déplacement de l’argent dans d’autres endroits”
Eva Joly va plus loin estimant, que la lutte contre les paradis fiscaux, constitue un nouveau Mur de Berlin. Prix de l’Intégrité décerné par l’ONG Transparency International, conseillère du gouvernement norvégien chargée de la lutte contre la corruption, elle connaît le sujet et ose en parler haut et fort. Dans un livre qui vient de sortir,”Des héros ordinaires“, elle brosse une galerie de portraits d’anonymes courageux qui, dans toute l’Europe, à leur niveau, luttent contre la corruption, la délinquance en col blanc.
L’ancienne magistrate du pôle financier de Paris dénonce la volonté des élites mondiales de se protéger du juge. notamment contre en pleine forme intouchable. Dans son collimateur, la délinquance offshore et les hedge funds des fonds d’investissement qui pèsent quelques 2000 milliards de dollars, accusés d’être à l’origine de la crise financière mais, qui ne sont soumis à aucune réglementation, aucune surveillance, aucune transparence.
Dans un entretien au site capital.fr, Eva Joly indique :”Je ne pense pas en effet que le G20 s’attaquera aux multinationales qui possèdent toutes de nombreuses filiales implantées dans les paradis fiscaux pour faire de “l’optimisation fiscale”. Or il faut prendre ce problème à bras le corps : les sociétés doivent payer des impôts dans les pays où elles opèrent et non transférer leurs résultats dans des filiales présentes dans les paradis fiscaux pour ne pas payer d’impôts. Mais je doute que des pays comme les Etats-Unis soient prêts à franchir le pas. En revanche, il existe une volonté politique unanime pour lutter contre l’évasion fiscale des particuliers qui ont placé leur fortune dans les paradis fiscaux. Les sommes en jeu sont colossales. Selon Cap Gemini et Merrill Lynch, les personnes les plus riches de la planète possèdent 11 000 milliards de dollars de dépôts placés dans les paradis fiscaux.”
Pourquoi axer son combat sur les paradis fiscaux ? Pare que pour combattre la corruption efficacement, il faut l’attaquer là où se déroulent les transferts massifs de fonds criminels, c’est à dire dans les paradis fiscaux. “J’ai mis quinze ans à comprendre le système, tellement il est pervers” avoue la franco-norvégienne. Dire justement que l’accord du G20 sur les paradis fiscaux suscite des réserves est un euphémisme. Les listes établies sont jugées biaisées, accusées de négliger les paradis “judiciaires” en retenant le critère de la seule coopération financière. Avant même le début du G20, un autre “petit juge”, Renaud Van Ruymbeke avait dénoncé une “hypocrisie” des grandes puissances sur le sujet et affiché son scepticisme au vu de son expérience personnelle.
« On ne pourra pas refonder le système financier mondial avec les paradis fiscaux. Et certains se trouvent en Europe : les plus nocifs sont le Liechtenstein, le Luxembourg, Gibraltar et Chypre, Jersey et Vaduz. Non seulement ils favorisent l’opacité des flux financiers, mais on sait aussi qu’ils participent au blanchiment de l’argent sale » écrit Eva Joly. Quelques-uns figurent dans la black-list dressée par le G20 mais pas tous, dont la City de Londres qu’elle considère comme le plus grand d’entre eux.
Arnaud Montebourg et Vincent Peillon, auteurs de rapports d’enquête sur ces questions, mettent en cause la technique même des listes “noire” ou “grise“, déjà utilisées en vain, et font remarquer qu’aucune modalité de sanction concrète n’a été pour l’instant arrêtée. Étrangement, ils apparaissent en marge d’un PS qui se contente officiellement de saluer de “premières mesures contre les paradis fiscaux“
La France et ses grands groupes industriels est loin d’être en capacité de donner des leçons. Le recours aux pots-de-vin pour obtenir des marchés internationaux est souvent pointé du doigt tout comme, le versement de commissions Une pratique pénalement répréhensible en droit français seulement depuis 2000 à la base des plus grands scandales financiers de ces vingt dernières années (Elf,Total dans l’opération pétrole contre nourriture en Irak, les frégates de Taiwan…). Autant de casseroles qui collent aux grands groupes industriels français, toujours présents dans les bagages des déplacements officiels du président de la république.
Contrairement à ce qu’il tente de laisser croire, Nicolas Sarkozy n’est pas un chevalier blanc. Ses déclarations va-t-en guerre contre les paradis fiscaux contrastent avec sa volonté d’ancien avocat d’affaires de dépénaliser la vie économique et financière. Depuis son arrivée à la tête de l’Etat, tout est fait pour restreindre le risque judiciaire. Les pôles financiers n’ont pas les moyens humains et matériels de fonctionner. L’exécutif qui a directement repris le contrôle des parquets parle désormais de couper les ailes aux juges d’instruction amenés à être saisis d’un infime pourcentage d’affaires potentiellement sensibles.Dans le même temps, il a pris le soin, en toute discrétion, d’étendre de façon très large la notion même de secret défense.
Dans Le Progrès de Lyon cette fois, Eva Joly dénonce une rhétorique et une communication très énergiques du G20, pour répondre à la colère de l’opinion. La vraie solution à ses yeux est simple, et ne coûterait rien : obliger les entreprises cotées, implantées dans de nombreux pays, à préciser où elles font des bénéfices, et où elles paient des impôts.
Elle n’hésite pas à revenir sur Nicolas Sarkozy et à l’épingler. “Barack Obama a pris une mesure très efficace contre les fraudeurs américains. Mais Nicolas Sarkozy ne le fera pas en France, contre ses électeurs: allez en Corse, vérifiez le registre des hypothèques, et vous verrez que 99% des propriétés les plus huppées sont détenues par des sociétés offshore.”
Et quand on lui parle d’une enquête en France sur les pratiques de grandes société Michelin, Adidas…, elle répond “Mais la France n’avait pas souhaité ces révélations. Et en ouvrant une enquête préliminaire, sous le contrôle du pouvoir exécutif, elle fait semblant de chercher la vérité. Il faudrait ouvrir une enquête judiciaire, confiée à un juge d’instruction indépendant.”
* Des Héros ordinaires Eva Joly, Maria Malagardis, Edition les arènes, en librairie depuis le 02 avril.