Ô mon sauveur et mon juge ! Comment te recevrai-je dans une demeure si souillée ? Comment déposerai-je ton Corps sacré dans ce lit de dragons et ce nid de serpents ? Qu’est-ce qu’une âme emplie de péchés sinon une maison de démons, une étable de bêtes, une porcherie, un dépotoir ? Comment pourras-tu, toi, pureté virginale et source de beauté, te trouver en un lieu aussi abominable ? Qu’y a-t-il de commun entre la lumière et les ténèbres, la compagnie de Dieu et celle de Bélial ? Oh, fleur des champs, lys très pur et pain des anges ! Comment peux-tu vouloir devenir maintenant la nourriture de bêtes ? Comment cette divine nourriture peut-elle être donnée aux chiens, et cette perle précieuse aux pourceaux ? Ô amant des âmes pures et sans taches, qui prends ton repos parmi les lis jusqu’à ce que s’inclinent les ombres, quel pâturage mon cœur pourra-t-il t’offrir, lui en lequel ne poussent pas ces fleurs mais seulement des chardons et des épines ?
Ton lit est taillé dans du bois du Liban, ses colonnes sont d’argent, on s’incline devant toi sur un prie-Dieu en or et la montée vers toi est toute parée de pourpre. Mais il n’y a rien de tout cela en ma demeure. Quel siège t’offrirai-je quand tu entreras en elle ? Ton corps sacré a été enveloppé dans un linceul propre, et tu as été enseveli dans un tombeau neuf, où nul n’avait jusque-là été déposé. Mais que reste-t-il en mon âme qui soit propre et neuf pour t’y ensevelir ? Qu’est donc ma bouche, sinon un tombeau ouvert, d’où s’exhalent l’odeur et la corruption de mes péchés ? Et mon cœur, sinon une source de désirs mauvais ? Et qu’en est-il encore de ma volonté, sinon une maison et un foyer de l’ennemi ? Comment oserai-je donc te recevoir sur mes lèvres souillées et t’apporter le repos ? Il n’y a rien en mon âme qui soit resté pur et qui n’ait été bien des fois corrompu par le péché. Où est donc le sépulcre neuf et propre où tu puisses être enseveli ?
Oh, mon rédempteur et mon Sauveur, il me coûte tant de me voir ainsi. J’ai honte de voir en quel état je m’approche du lit et des bras de l’époux du ciel, qui veut bien de nouveau me recevoir. Jusqu’où ne va pas ta bonté, toi qui ne crains pas, roi de gloire, de recevoir chez toi et de prendre pour épouse celle qui a été dépouillée et déshonorée par le plus vil des brigands, le démon, celui qui m’a volé la fleur de mon honnêteté, comme si tu acceptais de te contenter des restes de dépouilles qu’il t’abandonne. « Toi – me dis-tu – tu as forniqué avec tous ceux que tu as voulu, mais malgré tout, reviens à moi, et je te recevrai ».
Je connais, Seigneur, mon indignité et je connais ta grande miséricorde. C’est elle qui m’encourage à m’approcher
de toi tel que je suis. Si indigne que je puisse être, ta gloire n’en est que plus grande de ne pas rejeter ni prendre en dégoût une créature si vile. Ne rejette pas les pécheurs, Seigneur, mais
appelle-les et attire-les à toi. C’est toi qui as dit : « Venez à moi, vous tous qui ployez sous le fardeau, et je vous soulagerai ». Tu as dit aussi :
« Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin d’un médecin, mais les malades », et encore : « Je ne suis pas venu chercher les justes mais les
pécheurs » On disait publiquement de toi que tu recevais les pécheurs et que tu mangeais avec eux. Tu n’as pas changé, Seigneur, ce que tu étais alors, et c’est pourquoi je crois que tu
appelles maintenant, du haut du ciel, ceux que jadis tu appelais sur la terre. Emu par cet appel, je viens à toi chargé de péchés, afin que tu m’en décharges, et que tu me soulages des misères et
des tentations qui me torturent. Je viens comme un malade à son médecin, pour que tu me guérisses, et comme pécheur je viens au Juste, source de justice.
Tu dis que tu reçois les pécheurs, que tu manges avec eux, que ta joie est de t’entretenir avec eux. S’il en est
ainsi, accueille ici un pécheur pour partager avec lui cette nourriture. Je crois fermement, Seigneur, que les larmes de la pécheresse publique t’ont bien plus été agréables que de partager le
festin superbe du pharisien. Tu n’as pas méprisé ses larmes, tu ne l’as pas rejetée parce qu’elle était pécheresse. Bien au contraire, tu l’as reçue, lui a pardonné, l’a défendue, et pour
quelques larmes tu lui as pardonné une multitude de péchés. Voici maintenant, Seigneur, une nouvelle occasion de plus grande gloire, qui est celle que t’apporte un pécheur chargé de plus de
péchés encore, et de bien moins de larmes. Cette miséricorde-là n’est ni la dernière, ni la première de tes miséricordes. Tant de fois tu l’as exercée, et tant de fois tu l’exerceras encore.
Accepte d’ajouter celle-là au nombre de toutes les autres et pardonne à celui qui t’ayant davantage offensé en a pourtant moins été peiné. Celui-ci n’a pas autant de larmes à t’offrir, pour laver
tes pieds, mais toi tu as répandu tant de sang qu’il peut laver tous les péchés du monde.
(à suivre)
© Traduction Hermas.info