Harvey Milk, années 70, San Francisco : il faut que tout le monde sache qu’il a un gay dans son entourage, et ainsi on cessera d’en avoir peur, de les considérer comme anormaux et dangereux.
2008, Calais : il suffit que Simon, maître nageur fatigué en instance de divorce, fasse la connaissance d’un jeune clandestin pour qu’il cesse de regarder les réfugiés qui errent en ville avec indifférence. Le jeune Bilal, qui s’entraîne à la piscine dans l’espoir de franchir la Manche à la nage, prend soudainement les traits du fils qu’il n’a pas eu. Comme lui, il aime, il souffre. Comme lui, il est avide de performance, même si ses espoirs ont la naïveté des rêves formés à 17 ans.
Toutes les scènes consacrées au désamour du couple de Simon m’ont semblé assez fades. Sa femme paraît trop jeune pour Vincent Lindon, ne téléphone à son ancien compagnon qu’en s’apprêtant à faire entrer ses collégiens en cours (peu crédible…) et son inquiétude pour lui à grand renfort de sourcils froncés et de pli au front m’a un peu exaspérée.
Par contre, la relation entre Simon et Bilal est très touchante. On sait bien qu’elle ne sera qu’éphémère, parce que Bilal n’est pas là pour s’attacher. C’est un courant d’air, un garçon plein de ressources et de courage, un vrai chevalier servant, en un sens. Simon est pour lui une sorte de mentor, mais on sait qu’il ne pourra que le décevoir : il ne peut que réfréner l’ambition folle du jeune homme, il se doit de l’inciter à la prudence.
Comment garder espoir ? Le film a le mérite de peindre l’absurdité et le scandale de la situation faite à ces immigrés qui espèrent gagner l’Angleterre.
Etranges étrangers, ils font peur et honte, et la population préfère ne pas les voir, ne pas s’interroger sur leurs conditions de vie, s’en tenir à une hospitalité de façade (à l’image de ce paillasson annonçant un bien ironique Welcome). Indésirables partout, ils subissent des vexations (comme ces opérations policières qui perturbent les distributions de nourriture et affament les demandeurs d’asile), vivent dans la saleté, passent leurs journées à attendre, prisonniers d’un problème insoluble : comment passer ? comment retourner au pays alors qu’on a déjà franchi tant d’obstacles et qu’on représente l’espoir d’une vie meilleure pour la famille restée au pays ? Et les scènes montrant des clandestins tentant de franchir la frontière sont glaçantes : ce n’est pas seulement l’arrestation mais la mort que risquent ces hommes qui tentent le tout pour le tout.
Quant aux Calaisiens, on tente de leur faire oublier le plus possible la proximité des clandestins, les supermarchés allant même jusqu’à leur interdire l’accès aux rayons histoire de ne pas gêner la « véritable » clientèle. Pire, s’intéresser à leur sort devient un délit et on pourrait même chercher à décourager les bénévoles… Bref le film exhibe ce que l’on cache (les vies brisées) et les efforts faits par l’administration pour continuer à masquer cette réalité et décourager les clandestins de rester à Calais…
Si l’on peut reprocher au film un couple central pas très crédible et des effets appuyés (en particulier la dernière scène, le match Manchester United-Lyon un peu superflu), on doit lui reconnaître la vertu de mettre en lumière un système désespérant (et on n’échappe pas à une fin tragique).
Firat Ayverdi
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