L’Histoire pardonne rarement aux vaincus. C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles Napoléon III ne jouit pas, en France, d’une bien glorieuse réputation. Meurtrie par la défaite de 1870, amputée de ses provinces orientales, la IIIe République naissante s’empressa d’en faire porter la responsabilité à l’empereur exilé en Angleterre. Tout argument devenait recevable, pourvu qu’il fustigeât l’ancien régime (par ailleurs non exempt de travers), la défaite étant même attribuée par les nouveaux promoteurs de l’ordre moral à la « licence des mœurs » et à la corruption généralisée. A titre d’exemple, dans un opuscule publié au lendemain de la guerre, un ancien officier des Dragons de l’impératrice, oubliant un peu vite – mais fort opportunément – à qui il devait sa carrière, n’hésitait pas à stigmatiser « la pourriture de l’Empire qui [avait] mené fatalement au désastre de la France ».
Cependant, il faut bien reconnaître que le développement du pays doit beaucoup au Second Empire, après les heures sombres de la Restauration et l’intermède plus affairiste de la Monarchie de Juillet si bien décrits par Balzac. C’est au cours du Second Empire que put en effet s’épanouir une révolution industrielle qui hissa la France aux premiers rangs des puissances économiques mondiales. C’est surtout à partir du règne de Napoléon III que se dessina une vision élaborée de la politique internationale de la France. Celle-ci reposait sur trois principes, issus du siècle des Lumières et de la Révolution : une volonté « civilisatrice » qui tendait à promouvoir hors des frontières un certain nombre de valeurs (notamment le progrès et la prise en compte de l’expression populaire), le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (bien avant que ce principe ne soit officialisé par les 14 points de Wilson et la Charte des Nations-Unies) et la défense des intérêts de la France.
On sait le rôle capital que joua Napoléon III dans la création de l’Etat italien. On sait aussi que, bien involontairement, il ne fut pas étranger à l’unité de l’Allemagne… En revanche, on a depuis longtemps oublié qu’il fut l’artisan de la création de la Roumanie. La question des nationalités, trop rapidement enterrée lors du Congrès de Vienne, refaisait surface ; elle allait progressivement bouleverser la géographie européenne. Cet épisode nous est rappelé par une exposition remarquablement documentée, Napoléon III et les principautés roumaines, organisée du 21 mars au 29 juin 2009 au Musée national du château de Compiègne.
L’empereur avait bien des raisons de souhaiter l’union de la Moldavie et de la Valachie. « Si l’on me demandait, avoua-t-il plus tard, quel intérêt la France avait dans ces contrées lointaines qu’arrose le Danube, je répondrais que l’intérêt de la France est partout où il y a une juste cause. » Au-delà des déclarations de principe, les intérêts en jeu se comprenaient facilement. Ces deux principautés, situées à la charnière de l’empire Ottoman, de la Russie et de l’Autriche-Hongrie, de l’Orient et de l’Occident, représentaient une position géopolitique (le terme ne sera employé qu’au début du XXe siècle) et géostratégique majeure. Napoléon III voyait en elles un possible état-tampon permettant, dans un souci d’équilibre de l’Europe, de limiter les vues expansionnistes éventuelles des trois empires voisins ; il pensait aussi, à juste titre, que ce territoire aux racines latines se rapprocherait naturellement de la France. Dans un premier temps, la Convention de Paris de 1858 permit le rapprochement des deux principautés. L’élection providentielle, par chacune d’elles l’année suivante, d’un même prince, éclairé et particulièrement francophile, Alexandre Jean Cuza, entérinait de facto la création d’un Etat roumain qui ne sera cependant officialisée qu’en 1880.
L’exposition de Compiègne fournit un éclairage sur l’action diplomatique déployée par Napoléon III ; elle aborde aussi, à travers 200 œuvres et documents, l’histoire des liens qui unirent la France à l’un des pays – encore aujourd’hui – les plus francophones et francophiles d’Europe. Si les plus anciens remontent au XVIIIe siècle, c’est naturellement du XIXe siècle que date la majeure partie des objets exposés. Documents historiques, livres, meubles, gravures, photographies, tableaux et sculptures ponctuent le parcours des visiteurs. Les amateurs d’histoire découvriront des objets précieux et insolites, comme le Monument funéraire de Napoléon III, un projet de gisant de Jean-Baptiste Carpeaux qui fut acheté à la vente de l’atelier du sculpteur par un collectionneur roumain, ou l’austère couronne du roi Carol Ier, réalisée dans l’acier d’un canon pris aux Turcs lors de la guerre de 1877-1878. On trouvera également des objets d’orfèvrerie, des porcelaines et la reconstitution à l’identique de l’appartement qu’occupa au château Charles de Hohenzollern (futur Carol Ier) lors de sa visite en France en 1863. Parmi les meubles de l’appartement, on ne peut passer sous silence un serre-bijoux de bois noir orné de scènes galantes de porcelaine, dans le goût de Watteau.
La présence des principautés unies à l’Exposition universelle de 1867 est évoquée, en particulier, par la présence du trésor de Pietroasa, comprenant une majorité d’objets du Ve siècle, en or avec incrustations de pierres précieuses, qui n’avait pas été exposé en France depuis 1970.
L’art tient une grande place dans cette exposition qui souligne les multiples passerelles qui furent tirées entre la France et la Roumanie, grâce aux échanges culturels. On notera un beau portrait du prince Carol Ier par George Peter Healy (1873) et une importante réunion de toiles de Theodor Aman, peintre formé à Paris, dont L’Union des principautés (1857), Vlad Tepes reçoit les envoyés du sultan (1862) ou encore Scène d’intérieur (1858). Si les trois œuvres citées relèvent du classicisme, d’autres, comme la Femme au perroquet, trahissent une influence réaliste. D’autres peintres roumains s’attacheront à divers mouvements. Les Lavandières à la rivière, le Travailleur de Fontainebleau ou A l’Abreuvoir de Nicolae Grigorescu qui fréquenta l’Ecole de Barbizon s’inscrivent, par exemple, dans la lignée de Millet et de Théodore Rousseau. Les jeux d’influences se comprennent facilement par la confrontation, dans le cadre de l’exposition, d’œuvres de peintres français (Millet, Rousseau, Alfred Stevens, Diaz, Dupré, Sisley) et roumains. Les visiteurs retrouveront en outre deux toiles impressionnistes qui furent acquises par un collectionneur, le docteur Georges de Bellio : La Femme à la robe verte (1866), de Claude Monet, et l’extraordinaire Rue Montorgueil (1878), du même artiste. A souligner encore un très bel autoportrait de Degas à l’eau-forte.
Un catalogue richement illustré (RMN, 248 pages, 49 €) réunit un ensemble d’articles permettant aux visiteurs d’approfondir leur connaissance du sujet.
Illustrations : Theodor Aman, L’Union des principautés (1857), © Iaşi, Complexe Muséal National « Moldavia », Musée d’Art – Serre-bijoux à plaques de porcelaine Moritz-Meyer (vers 1859), Musée national du Château de Compiègne © Rmn/ Daniel Arnaudet – Grande fibule du Trésor de Pietroasa, © Musée national d’histoire de Roumanie, Bucarest – Nicolae Grigorescu, Une jeune fille parmi les fleurs, 1870© Musée national d’art de Roumanie, Bucarest.