De la décroissance subie à la reconversion voulue

Publié le 04 avril 2009 par Pslys

Nous sommes entrés dans une phase de décroissance subie et n’avons pas fait  le choix d’une décroissance organisée comme certains le prônaient. D’où un cumul  d’inconvénients dont il convient de sortir. Nous sommes entrés dans une phase de  décroissance qui ne se traduit pas seulement dans une stagnation voire une  récession de nature purement cyclique, liée aux conséquences de la crise des  subprimes.

Certes, cette crise à la fois économique et financière, dont les effets ne se  sont pas encore pleinement fait sentir, est à certains égards de nature  cyclique. De nombreux analystes en ont mis en lumière les ingrédients,  l’explosion de la bulle immobilière ou les restrictions de crédits consécutives  aux risques gigantesques pris par certains établissements bancaires américains  dans l’allocation de crédits à des ménages dont les finances ne leur  permettaient manifestement pas de les supporter.

Mais il s’agit également d’une crise systémique, y compris sur le plan  financier, qui se traduit en amont par les ravages d’un capitalisme financier de  moins et moins intéressé par le développement de l’économie réelle et en aval  par un endettement massif de l’économie américaine et un enrichissement sans  précédent des pays producteurs de pétrole et des BRIC et en particulier la  Chine.

C’est là précisément que la crise financière rejoint la crise énergétique. Le  renchérissement du coût de l’énergie et des matières premières ponctionne les  agents économiques et les ménages des pays industrialisés et enrichit les  producteurs de matières premières, Etats et sociétés pétrolières, entraînant un  appauvrissement encore plus grand des citoyens des pays industrialisés qui  voient racheter à bas coûts leurs entreprises et leur système bancaire et  assurantiel. C’est donc bien le système qui est en cause et pas seulement une manifestation momentanée de désordres passagers.

Les pays industrialisés vivent une décroissance qui ne dit pas son nom, mais  qui est bien réelle et dont les conséquences seront bien au-delà d’une simple  récession puisqu’il s’agit en réalité d’une réorganisation du pouvoir financier  et économique dans le monde.

A ce premier volet s’en ajoute un second qui est la conséquence directe des crises énergétiques, écologique, et alimentaire. Comment a-t-on pu imaginer un seul instant en prônant à juste titre une réduction de l’utilisation des matières premières, une réduction de la consommation  énergétique, un comportement plus responsable et en appelant à des changements dans les modes de production et de consommation, que ces invocations resteraient dans le domaine du virtuel et qu’elles ne produiraient aucun effet?

Comment a-t-on cru que le “greenwashing” politique et économique tiendrait  lieu de changements dans les modes de consommation  et de production? La hausse du prix de l’énergie et  de l’alimentation a été l’élément déclencheur des changements de comportement  des consommateurs, conduits à réduire les dépenses et à réorienter les choix  d’investissement.

La situation du secteur automobile traduit très précisément cette situation et pas seulement en France, puisqu’aux  Etats-Unis les ventes de 4×4 de Ford ont baissé de 55% en un an et le nombre de kilomètres parcourus en automobile a diminué de 4,3% pour la première fois  depuis 1942. En France, la baisse de la production industrielle de 1,6% sur le premier semestre est largement due à la crise du secteur automobile.

Nous sommes donc bien entrés dans une phase de décroissance pour la production d’un certain nombre de biens et de services  qui appartiennent à la société du pétrole et à celle du XXème siècle, mais qui constituent, malheureusement le socle de notre activité industrielle. Nous  sommes donc appelés à une reconversion industrielle d’une ampleur sans précédent. Plus nous réduirons notre dépendance au pétrole, plus nous réduirons la ponction que nous subissons, plus nous bénéficierons du développement des secteurs de substitution.

Nous en sommes loin, parce que nos intérêts industriels poussent encore en  sens contraire et que nous nageons en pleine paranoïa. D’un côté, les politiques publiques ont poussé depuis plusieurs années aux changements dans les modes de  production et de consommation  pour entrer dans le développement durable; mais, d’un autre côté, rien n’a été  sérieusement engagé pour développer les secteurs industriels de l’économie post-pétrolière, sobre et orientée sur le mieux-être et non sur le toujours plus. Le grand tort des politiques publiques a été précisément de ne jamais penser global et de ne pas envisager un instant que les orientations qu’ils prônaient pourraient entrer dans la réalité.

Dès lors, nous assistons, relativement impuissants à la baisse d’activité de  secteurs condamnés, sans avoir massivement investi dans les industries du XXIème  siècle et l’organisation sociétale qui va avec. Bref: nous défendons l’industrie des bougies alors que celle de l’électricité est mature! Nous entrons dans une nouvelle ère que nous devons pas subir mais construire.

Cela implique d’abord une politique très active de restructuration industrielle autour des nouveaux secteurs porteurs en cessant de maintenir en survie des secteurs du passé, ce qui rend difficile voire impossible la  réorientation massive des investissements de notre économie a besoin. Barak  Obama évoque le chiffre de 150 milliards de dollars de dépenses publiques pour créer 5 millions d’emplois en col vert lié à l’environnement.

Energies renouvelables, maisons et produits à basse consommation énergétique, process de production industrielle  économes, économie circulaire réutilisant systématiquement la matière première secondaire, nouvelle conception des villes faisant de la réduction du trajet  domicile-travail un objectif prioritaire (dans certaines banlieues lointaines de  Los Angeles les prix de l’immobilier ont baissé de 40% en un an), rapprochements des lieux de production des bassins de consommation en particulier dans l’alimentaire, développement de tous les  services liés au mieux-être… Les secteurs de développement ne manquent pas.

Encore faut-il accepter cette reconversion assez éloignée faut bien le reconnaître de l’idéal jacobin, puisqu’elle est fondée largement sur la décentralisation, y compris énergétique. Une telle “révolution industrielle”, car il faut bien l’appeler par ce nom ne fera à l’économie d’une remise à plat  du système de valeurs sur lequel fonctionne notre modèle économique, qu’il s’agisse de considérations éthiques ou de modalités de comptabilité. Le temps d’un nouveau modèle est venu, fait de décroissance dans l’utilisation des ressources, matières premières et produits, et de développement dans le mieux vivre, le mieux-être et le mieux connaître.

Par  Corinne Lepage, ancien ministre, présidente de CAP  21, vice-présidente du Modem.

Source : La Tribune