Après un très long périple, certains diraient égarement, de 15 ans aux Etats-Unis, John Woo est revenu en Chine pour mettre en scène un projet titanesque : "Les 3 Royaumes" qu’il mûrissait depuis plus d’une décennie. Force est de constater que le long métrage est d’une classe folle, d’un gigantisme intégralement maîtrisé et d’un esthétisme parfait.
En 208 après J.C, dans une Chine divisée en trois grands royaumes, Cao Cao (Fengyi Zhang) est le Premier Ministre tout puissant du trop faible Empereur Hau Xiandi. Cao Cao rêve de montrer sur le trône impérial et souhaite asservir les royaumes de Shu et de Wu pour unifier le pays. Liu Bei (Yong Yu) souverain de Shu envoie Zhuge Liang (Takeshi Kaneshiro) comme émissaire au royaume de Wu pour convaincre le roi Suan Quan (Chen Chang) d’unir les deux entités et de lutter contre la puissance dévastatrice de l’armada de Cao Cao.
Zhuge Liang rencontre le vice-roi Zhou Yu (Tony Leung) et une solide amitié naît entre les deux hommes ainsi qu’une alliance militaire entre les royaumes de Shu et de Wu.
Cao Cao donne l’ordre à son armée de 800 000 hommes et de 2000 bateaux de faire route pour mettre au pas les nouveaux alliés.
La bataille décisive aura lieue sur les rives du fleuve Yangtse aux abords de la Falaise Rouge.
Ce qui frappe d’entrée est le gigantisme de ce long métrage. Il y a comme un parfum de démesure qui flotte de la première à la dernière seconde. On se rend compte que John Woo a eu les moyens financiers, techniques, humains pour mettre en scène sa vision de la bataille de la Falaise Rouge.
Sans faire de la politique il faut quand même dire que le cinéma est la vitrine respectable de l’Etat Chinois et qu’à ce titre la production a du vraisemblablement bénéficier du concours de l’armée. Le déploiement à l’écran de ces dizaines de milliers de figurants impressionne le spectateur. Sur le plan technique John Woo a déployé au-delà de l’équipe de tournage principale, une deuxième et troisième équipes chargées des tâches "secondaires" (rien ne péjoratif). Coordonner le travail de ces différentes structures relève d’un sacré pari. Quand on voit le résultat à l’écran, le spectateur ne peut avoir que du respect pour la réalisation dans sa globalité.
"Les 3 Royaumes" est un véritable long métrage historique aux antipodes des Wu Xia Pian, les films de sabre, qui ont envahi nos écrans depuis une dizaine d’années. L’œuvre de John Woo ne fait pas d’incursion dans le merveilleux mais s’appuie sur l’un des plus importants fait d’armes de l’histoire chinoise pour nous proposer un film de guerre à la fois médiéval et oriental. Nous ne sombrons pas dans l’excès de personnages virevoltants ici ou là. Nos référents sont des chevaliers, des armées qui s’affrontent. Il y a des catapultes, des bateaux, des archers. Si la Chine n’était pas au cœur de l’événement, on pourrait très bien se retrouver sur une plaine de Flandre au 15ème siècle où s’affronteraient l’Ost Française et l’Ost Anglaise. Le spectateur n’est donc pas dépaysé par ce qu’il voit à l’écran tant les renvois sont nombreux.
"Les 3 Royaumes" est un spectacle, un cinéma où le fond et la forme se compétent naturellement. John Woo braque ses projecteurs sur des figures emblématiques de l’histoire chinoise, sur des seigneurs de guerre qui ont marqué leur temps. Ces hommes et ces femmes ont des attributs vestimentaires, capillaires bien à eux. Le spectateur a l’étrange impression de voir se matérialiser sous ses yeux les archétypes des estampes chinoises.
Son propos vise aussi à mettre en exergue des valeurs à la fois humaines, l’amitié et l’amour en tête, et un comportement chevaleresque sur le champ de bataille. Au combat ces hommes défendent leur honneur, font parfois le don de soi et se battent pour lutter contre l’influence grandissante et menaçante d’un Premier Ministre qui rêve d’être un jour Empereur. Le propos de John Woo est étonnamment moderne.
"Les 3 Royaumes" regorge de duels âpres, de combats légendaires, de moments
stylisés qui (re)mettent l’art de la guerre sur un piédestal. Ces phases de lutte regorgent d’inventivité, de créativité.
L’œuvre fait alterner les scènes de foule démesurées et des passages plus intimistes avec une parfaite alchimie. Des moments de comédie pure où les traits de caractère des personnages s'affirment avec plus de force.
L’intérêt aussi est de constater que le metteur en scène prend son temps pour nous amener tranquillement à la bataille finale. Dès le début le spectateur sait que les 3 armées (2 contre 1) vont inexorablement en découdre sur le pré. Les ¾ du film sont consacrés à la préparation de cette bataille qui décidera du sort de la Chine.
Je ne suis pas le seul spectateur qui a remarqué que le cinéaste chinois a placé au cœur de son propos la météorologie et la topographie. Le vent devenant par exemple la clé de la bataille de la Falaise Rouge. Une manière de voir les choses subtile, raffinée. Un temps de préparation savoureux, bien mis en scène, doté d’un rythme qui monte crescendo. Car le bouquet final est extraordinaire, hors normes.
La bataille de la Falaise Rouge est le clou du spectacle, une conclusion digne du
reste de l’œuvre. Les dernières 45 minutes du film sont à classer parmi les moments d’anthologie du cinéma mondial. Cette dernière partie est démente, épique, échevelée, jouissive. Les séquences
de la bataille de la Falaise Rouge s’enchaînent de manière hallucinante. Nous sommes au cœur de ce cinéma qui devrait être toujours un divertissement. Les images ont de la force, du raffinement.
Les mouvements de caméra, les angles de prises de vue sont osés, racés. John Woo étale tout son savoir faire de cinéate.
"Les 3 Royaumes" dans sa version européanisée est un long métrage absolument
admirable. Les acteurs, dont Fengyi Zhang (Cao Cao), Takeshi Kaneshiro et l’indispensable Tony Leung, sont énormes de par le charisme et la présence à l’écran, la maîtrise du jeu
d’acteurs.
Je rêve de voir l’œuvre sous sa forme originelle. La coupe de deux heures relève
du crime de lèse majesté. Parfois je me dis que les distributeurs et les grands argentiers du cinéma européen n’ont rien compris…au film.
Au lieu de nous infliger 250 comédies par an, il aurait été plus judicieux de présenter "Les 3 Royaumes" sous la forme de deux longs métrages. Certes cette version raccourcie a l’avantage d’être plus nerveuse mais nous y perdons forcément au change. Il y a des éléments (intrigues secondaires, personnages plus présents à l’écran) qui nous échappent et c’est bien dommage.
Mais bon… "Les 3 Royaumes" est déjà un mythe.
A voir absolument.