J’ignorais qu’un Prix Arcimboldo récompensait le travail d’un photographe numérique, mettant ainsi l’accent sur la technique, et donc sur ce que la technique révèle de spécifique dans une photographie (les lauréats depuis 1999 étaient présentés au Musée du Montparnasse, joli lieu, jusqu’au 29 mars).
L’accent est donc mis ici sur ce que la technique numérique exacerbe, sur la déformation ou l’exagération qu’elle autorise, sur l’effet qu’elle crée, le jeu qu’elle autorise, souvent aux dépens du sens. La plupart des lauréats se jonchent dans des couleurs acides et saturées, des flous artistiques qui me rendraient nostalgique du pictorialisme, des artifices vains habillés d’un discours sur la représentation très convenu. Il y a ici profusion d’images reconstruites, de paysages fictifs (Nicolas Moulin, Patrick Fournial), de figures recomposées ou décomposées (Orlan, Catherine Ikam, Florian Schneider), de scènes irréalistes (Clark et Pougnaud, Tom Drahos, Jean-Baptiste Barret). Cette emphase mise sur l’effet, sur l’étrangeté artificielle nuit, à mon sens, à la pureté du sens de la photo, elle me semble ‘anti-éthique’.
Y échappent ceux qui ont un vrai propos, ceux pour qui la technique est au service d’une intention, au lieu d’être l’intention même. C’est sans doute vrai de Nicolas Moulin, d’Orlan (à qui je n’ai jamais été vraiment sensible, mais dont je reconnais la pertinence), c’est vrai de Nicole Tran Ba Vang (et sa belle série De l’autre côté du miroir, vue au Café de Flore l’an dernier). C’est vrai aussi de deux photographes que j’ai découverts là; il se trouve que ce sont les deux derniers lauréats, 2007 et 2008, peut-être un signe de maturation du Prix (Mathieu Bernard Raymond, lauréat 2009, n’était pas présenté dans l’exposition).
D’abord Alain Delorme dont les petites filles maquillées en femmes fatales débordent de sensualité ambiguë, tout comme le splendide gâteau posé devant elles (Little Dolls, Angèle, 2006). Dans cette idylle pastelliste, entre (ici à droite) une main d’adulte, une main qui, toujours ou presque, exerce une contrainte, un empêchement, une domination : rien n’est dit, mais la gêne s’installe. Cette féminité outrageuse, cette tension sont particulièrement dérangeantes. Et ici la saturation acide des couleurs n’est pas une fin en soi, elle me semble être au service de la visée de l’artiste, de l’histoire qu’il ne nous raconte pas, elle contribue à l’étrangeté.
Le lauréat 2008, Jean-François Rauzier, montre au contraire des grands formats très gris, une ville déserte abandonnée au sol défoncé, un univers de BD à la Bilal (La cité idéale, Piero della Francesca). Il y a là une contorsion de l’espace, comme une aspiration qui nie la perspective, un espace qui se dilate et se contracte (évoquant pour moi les panoramiques de prisons sud-africaines de Mikhael Subotzky). Partout des antennes et des paraboles, partout ce lien avec le monde, le seul lien possible; ici et là, des écrans de téléviseurs avec l’image d’un homme cagoulé. Les habitants ont disparu ou se cachent, seules restent quelques traces, un nounours, du linge qui sèche. Au centre, dans l’immeuble, une ouverture, un corridor, de la lumière, un arbre, un autre monde et une scène étrange que vous découvrirez ici. C’est une photo de reliques, de vestiges, de l’instant après, après la catastrophe peut-être, après le ‘désastre surpassant’. Rauzier explique ici comment il a construit cette image, assemblant des éléments et les modelant à l’image du tableau (faussement attribué à) Piero della Francesca. Sans aller jusqu’à évoquer Jeff Wall ou Gregory Crewdson, c’est un bel exemple d’utilisation de la technique numérique pour construire une oeuvre, bien plus probant que la majorité des autres travaux présentés ici.
Nicole Tran Ba Vang étant représentée par l’ADAGP, sa photographie sera retirée du blog au bout d’un mois.