Merci à Philippe qui a attiré mon attention sur la vidéo.
Le Nouvel Observateur a eu l’excellente idée d’interroger Denis Bertrand, professeur de sémiologie à Paris 8, sur le style des discours de Barack Obama et de Nicolas Sarkozy (vidéo ici). Il en opère une comparaison éclairante ! La sémiologie est l’étude des signes. Ceux-ci peuvent être des images (dessins, photos, pub), des paroles (discours, entretiens off, etc.), des attitudes (gestes, poses, présence)… La sémiologie cherche à en analyser le sens, à montrer comment le locuteur raconte son histoire. Roland Barthes l’a fait dans les années 1950 dans son célèbre ‘Empire des signes’ à propos du Japon.
Obama et Sarkozy ont deux discours, deux attitudes, deux visions de leur fonction diamétralement différentes. Obama est posé, marmoréen, rationnel – Sarkozy est agité, théâtral, passionnel. Le premier est leader de l’équipe Amérique – le second se veut le héros Sauveur d’une France minimisée dans le monde. Dans le discours, la différence se marque par le pragmatisme d’Obama (« mettre de l’argent dans la poche des gens »), au contraire de l’abstraction de Sarkozy (« lancer un plan de relance »). La faute aux technocrates qui écrivent ses discours, peut-être ? L’Amérique retrousse ses manches pour faire des choses concrètes ici et maintenant, la France grimpe aux rideaux des Grands Principes pour faire la morale aux banquiers, aux patrons, à tous les peuples – pour refaire le monde, « changer le capitalisme », et ainsi de suite. Quoi d’étonnant à ce que Barack Obama soit apparu comme l’arbitre planétaire des dissensions entre Français et Chinois au G20 ? Les Chinois (et avec eux tous les pays émergents) ne supportent pas de se voir forcer la main sur des conceptions « morales » qui n’ont rien d’universelles, mais reflètent les intérêts étroits et la bonne conscience des anciens maîtres du monde : Blancs, Chrétiens, Occidentaux, droit-de-l’hommistes.
Nul ne peut faire grief à Barack Obama ou à Nicolas Sarkozy d’être ce qu’ils sont : de parfaits représentants de leur pays, de leur culture et de leur vision du monde. L’Amérique, sortie du traumatisme des attentats du 11-Septembre, a retrouvé sa vision globale, responsable de l’équilibre planétaire et soucieuse de demeurer leader pour la génération à venir. La France, peu à peu enfoncée dans un état de pays moyen, submergée par l’émergence de pays bien plus grands qu’elle, se débat pour exister au travers des institutions multinationales : Union Européenne, OTAN, FMI, OCDE. Ce pourquoi Barack Obama reflète la sérénité rationnelle d’Apollon au fronton du temple de Delphes, contemplant les héros en lutte contre les titans. Ce pourquoi Nicolas Sarkozy se lance plutôt dans l’arène, héros aux côtés de ceux qui le suivent, pour se mettre en valeur face aux titans.
D’un côté l’institution, la responsabilité globale, le rationnel – de l’autre le théâtre, la clownerie franco-politicienne, le passionnel. Obama met de l’ordre, il rassure - Sarkozy dramatise le désordre pour apparaître en Sauveur, il inquiète. Obama négocie et apparaît au G20 comme partenaire et rassembleur – Sarkozy menace de faire un coup d’éclat (sur des mesures dont il s’est assuré qu’elles iront dans son sens), pour apparaître comme le héros qui les a fait prendre. Obama est le capitaine à la barre, ordonnant l’équipage. Sarkozy se présente comme le capitaine qui prend à lui tout seul toutes les vagues, on se demande où est l’équipage et comment il peut tenir droit la barre.
Les Français veulent être considérés et adorent la pose et le théâtre. Leur moteur social est l’honneur, si bien décrit par Philippe d’Iribarne. Les Américains veulent des résultats concrets et leur puritanisme déteste qui se met en avant sans raison. Leur moteur social est la réussite, si bien décrite par Alexis de Tocqueville. Deux mondes, deux représentants bien de chez eux. Mais, avant de critiquer le Président français, quelle attitude aurait eue les autres prétendants à la magistrature suprême ? Ségolène Royal aurait-elle sauvé toutes les entreprises qui ferment ? François Bayrou propose-t-il autre chose que tout ce qui déchaîne l’opinion médiatique (et avec retard) ? Les pays ont les dirigeants politiques qu’ils méritent – parce qu’ils les représentent le mieux.