Mat 26 57-75, 27 1-2; Mc 14 53-72; Lc 22 54-71, 23 1; Jn 18 12-27
La consultation des différentes Synopses, notamment sur cet épisode des reniements de Pierre, est décevante. Au lieu de nous montrer la parenté entre les différents évangiles,
elle souligne bien plutôt, sans le vouloir, les différences avec, comme conséquence inévitable, la naissance de doutes sur l’historicité de ces textes. Comment, en effet, expliquer ces
différences, alors qu’il aurait été si simple, pour les différents auteurs, de se référer au moins aux textes déjà rédigés? Et comment faire reposer notre foi sur des textes aussi différents?
Parler des reniements de Saint Pierre est ambigu. Le Christ avait annoncé à Pierre qu’il le renierait trois fois: sur ce point les quatre évangélistes concordent. Mais, que de
différences sur le reste! Que de déclarations et d’affirmations de Saint Pierre! Nous ne sommes pas devant trois reniements, mais devant une accumulation de reniements!
Je crois qu’il y a, à la base, une erreur de méthode. On m’a toujours enseigné que l’on ne pouvait comparer que des choses comparables. On peut, certes, comparer les récits du
premier reniement, puis du deuxième reniement, et enfin du troisième reniement. Mais, à l’intérieur de chacun, il faut respecter le texte, et ne mettre en parallèle, ou sur la même ligne quand il
s’agit d’une Synopse, que les passages qui sont véritablement identiques.
C’est une erreur par exemple, à mon avis, de mettre sur le même plan des affirmations qui ne concordent pas: Sur l’interpellation: “Toi aussi”, “Celui-là aussi”... Ou bien sur
la réponse: “Je ne sais pas ce que tu dis”, “je ne le connais”, “je n’en suis pas”. Ou encore, sur l’identité des personnes qui s’adressent à Pierre: “la servante”, “une autre”, “un second”, “un
autre”, “ils lui dirent”.
On est trop habitué à penser à trois reniements “linéaires” dirais-je. Pierre se trouve là pour attendre le dénouement. Quelqu’un le voit (une servante), l’interpelle, et il
nie. Une deuxième fois, quelqu’un (la servante, une autre, un autre) le voit et l’interpelle: et il nie à nouveau. Une troisième fois, quelqu’un (un autre, plusieurs personnes: “ils”)
l’interpellent, et il nie pour la troisième fois.
La mise en parallèle, rigoureuse, de ces textes, lieux, moments, personnages, et réponses, en s’efforçant de conserver et d’allier la logique interne dans le déroulement des
événements, la chronologie de ces mêmes événements, et le contenu des demandes et des réponses, qui indique aussi à qui Saint Pierre répond, permet de mieux comprendre le drame qu’il a vécu et
qui est loin d’être “linéaire”, c’est-à-dire, qui se résumerait à trois simples demandes-accusations aboutissant aux trois reniements.
Pierre a connu une véritable attaque, en des endroits proches mais différents, une attaque qui a duré dans le temps, et qui a été menée par plusieurs personnes qui se sont
relayées en quelque sorte et succédées: la question ou l’interpellation de l’une entraîne l’interpellation de l’autre ou des autres, ainsi que les différentes réponses successives de Pierre à
ceux qui l’attaquaient. Et ces réponses ne peuvent se résumer à trois seulement.
Si l’on parle de trois reniements il faut apporter, je crois, la précision du lieu et du temps. Les trois fois où Pierre a été amené à nier connaître le Christ sont différentes
dans l’espace et dans le temps, et chacune d’elle a duré un certain temps. Une attaque continue, pourrait-on dire, amenée par une simple question au départ, et qui se répercute, s’amplifie,
passant d’une personne à ceux qui étaient là à se chauffer. Pour Pierre, les accusations fusaient de toutes parts; il était cerné, acculé, ce qui l’a amené, comme nous le verrons, à répondre,
pour un “même reniement” à ses différents interlocuteurs, à accumuler les réponses, comme un homme en train de se noyer, pris de panique et poussé dans ses retranchements par l’acharnement de ses
interlocuteurs. Au lieu de parler des “trois reniements de Pierre”, je parlerais plutôt des “trois moments des reniements de Pierre”.
Pierre venait de faire l’expérience de ce qu’était “la tentation”, contre laquelle le Christ avait mis les Apôtres en garde en les invitant à prier “pour ne pas entrer en
tentation”. Pierre décrira fort bien, dans sa 1° Epître (5, 8-9), ce qu’est la tentation, une lutte sans merci, avec un adversaire de taille: “Fratres: sobrii estote et vigilate: quia adversus
verster diabolus, tamquam leo rugiens circuit quaerens quem devoret: cui resistite fortes in fide”.
Mgr J. Masson
(à suivre)