" Une partie de l'histoire a déja été conté.
L'imprévoyance, l'orgueil, l'incendie, la lourdeur bureaucratique, l'air insalubre, la contamination de la moitié de l'Europe, le nuage radioactif poussé par les vents. Un accident. A Bakou, c'est
à peine si la Pravda a fait circuler la nouvelle, en bas de page ; petite information sans conséquences : un accident à la centrale de Tchernobyl que nos valeureux pompiers ont réussi à
maîtriser. Vive le communisme. Vive Lénine. Vive l'Urss. C'était tout ce que nous devions savoir. Selon les versions officielles, au bout de quelques heures, tout était revenu à la
normale.Malgré ses désirs réformistes, sa volonté de rompre avec des décennies de tromperie et de silence,
Gorbatchev, pasteur d'hommes, s'est comporté comme ses prédecesseurs : il a balbutié deux ou trois mensonges, nié les faits, maudit les impérialistes. Brejnev, momie rusée, n'eût pu mieux faire. Il
fallait cacher le soleil du doigt. Il n'y a aucun danger, aucun danger, aucun, l'Union soviétique est plus forte que l'atome.
Mais les gens ont commencé à douter. C'a a été le premier signe. Ou peut-être les doutes étaient-ils là depuis longtemps mais ne s'amplifiaient que maintenant avec le bruit de
l'explosion. Même mes camarades d'Azmorneft, silencieux ou soumis ou suspicieux, exprimaient leurs critiques à haute voix. On nous cache la vérité, on nous traite comme des enfants. Là, dans les
riches champs pétrolifères de Neft Dashlari, nous pouvions constater tous les jours l'inexorable dégradation de nos machines. Nous n'étions pas étonné qu'une catastrophe eût lieu à
Tchernobyl : nous survivions presque par miracle. L'industrie
soviétique, comme tout ce qui était soviétique, était un mastodonte pesant. Rien ne fonctionnait, malgré les plans quinquennaux qui ne parlaient que de progrès, de percées, d'objectifs atteints.
Baratin. Phrases somptueuses pour remplir les oreilles des chefs ( et peut-être leurs poches ).Tchernobyl avait éventé le secret : L'Union soviétique était une
fiction. "
Jorge Volpi : " Le temps des cendres " Seuil 2008
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